CJUE, 16 mars 2023, aff. C-565/21 – Caixabank SA c/ X 

  

– Contrat de crédit – Commission d’ouverture – Déséquilibre significatif – 

  

EXTRAIT  

  

« L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que : il ne s’oppose pas à une jurisprudence nationale qui considère qu’une clause contractuelle prévoyant, conformément à la réglementation nationale pertinente, le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture destinée à rémunérer les services liés à l’examen, à la constitution et au traitement personnalisé d’une demande de prêt ou de crédit hypothécaire, peut, le cas échéant, ne pas créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, à condition que l’existence éventuelle d’un tel déséquilibre fasse l’objet d’un contrôle effectif de la part du juge compétent, conformément aux critères issus de la jurisprudence de la Cour. » 

 

 

ANALYSE   

  

En vertu de l’article 3 § 1 de la directive 93/13, « une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». 

Or, la règle susvisée permet-elle à une jurisprudence nationale de considérer qu’une clause prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture ne crée pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ? Telle est l’une des questions posées à la Cour dans cette affaire, qui a également tranché le point de savoir si la commmission d’ouverture porte sur l’objet principal du contrat (La clause prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture dans un contrat de crédit ne relève pas de l’objet principal du contrat) une fois qu’elle sera en ligne) et comment doit s’apprécier le défaut de clarté d’une prestation accessoire (Le caractère compréhensible d’une clause de commission d’ouverture suppose que l’emprunteur soit mis en mesure d’en évaluer les conséquences économiques).  

La Cour rappelle que l’existence d’un déséquilibre significatif ne s’apprécie pas uniquement du point de vue économique, par une comparaison entre le montant total de l’opération contractuelle et les coûts pesant sur le consommateur du fait de la clause litigieuse. Le déséquilibre peut résulter aussi d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique du consommateur (voir en ce sens arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, point 51).  

Le contrôle du juge en la matière doit être concret : il doit tenir compte par exemple de la nature des biens ou services relevant de l’objet du contrat et de toutes les circonstances entourant sa conclusion (voir en ce sens arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19, point 76). La Cour ajoute que ce contrôle concret du juge national doit s’appliquer également à la clause du contrat de crédit prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture, pour savoir si elle entraîne ou pas un déséquilibre significatif au détriment du consommateur. Au regard des documents contractuels remis au consommateur, le juge national doit vérifier notamment si les services fournis en contrepartie du paiement de cette commission relèvent réellement de l’examen, de la constitution et du traitement personnalisé de la demande de crédit ; il doit également vérifier s’il y a ou pas une disproportion entre la commission payée par le consommateur et le montant total de l’emprunt souscrit (voir en ce sens le point 59).  

C’est seulement après cette évaluation préalable que la jurisprudence nationale peut considérer qu’une clause prévoyant une commission d’ouverture ne crée pas de déséquilibre significatif au détriment du consommateur, et donc qu’elle n’est pas abusive. N’est pas admissible une jurisprudence nationale énonçant qu’une telle clause est insusceptible d’être abusive du seul fait qu’elle a pour objet des services inhérents à l’activité du prêteur, sans appréciation concrète.  

La jurisprudence nationale peut donc considérer qu’une clause d’un contrat de crédit prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture n’est pas abusive, à condition d’avoir effectué au préalable une évaluation concrète de cette clause.   

 

 

Voir également :  

CJUE, 16 mars 2023, C-565/21 – Caixabank  

Prêts hypothécaires – Commission d’ouverture du prêt – Caractère clair et compréhensible – Prestations accessoires 

EXTRAITS : 

« L’article 5 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que aux fins de l’appréciation du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture, le juge compétent est tenu de vérifier, au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents, que l’emprunteur a bien été mis en mesure d’évaluer les conséquences économiques qui en découlent pour lui, de comprendre la nature des services fournis en contrepartie des frais prévus par ladite clause et de vérifier qu’il n’existe pas de chevauchement entre les différents frais prévus par le contrat ou entre les services que ces derniers rémunèrent. » 

 

 

ANALYSE : 

Par le présent arrêt, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue préciser les différents éléments que les juges nationaux doivent vérifier pour apprécier le caractère clair et compréhensible d’une clause de commission d’ouverture contenue dans un contrat de crédit hypothécaire.  

 

Pour ce faire, la Cour commence par rappeler que l’article 5 de la directive 93/13 pose une exigence générale de transparence selon laquelle les clauses contractuelles doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible (pt.28). Elle énonce qu’il s’agit de la même exigence de transparence que celle visée à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13. Les deux exigences ayant la même « portée », il en résulte que l’interprétation extensive du principe de transparence des clauses s’applique de la même façon aux clauses portant sur l’objet principal du contrat (art. 4, paragraphe 2 de la dorective93/13) et à aux autres clauses (art. 5 de la directive 93/13). 

 

Par conséquent, en application de cette interprétation extensive du principe de transparence, une clause de commission d’ouverture ne peut être considérée comme claire et compréhensible si elle ne l’est que d’un point de vue grammatical et formel (pt.30) (CJUE, 16 juillet 2020, C-224/19 et C-259/19, Caixabank et Banco Bilbao Vizacaya Argentaria).  

 

La Cour considère ainsi que pour satisfaire à l’exigence de transparence susmentionnée, une clause de commission d’ouverture doit être intelligible pour le consommateur d’un point de vue grammatical mais il faut aussi que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère ladite clause ainsi que, le cas échéant, la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses. Il faut ainsi vérifier que le consommateur a bien été mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques découlant d’une clause de commission d’ouverture (pt. 31) (CJUE, 16 juillet 2020, C-224/19 et C-259/19, Caixabank et Banco Bilbao Vizacaya Argentaria).  

 

La Cour appuie notamment sa position en rappelant sa jurisprudence selon laquelle il importe que la nature des services fournis puisse être raisonnablement compris ou déduite à partir du contrat considéré dans sa globalité et que le consommateur puisse vérifier qu’il n’existe pas de chevauchement entre les différents frais ou entre les services que ces derniers rémunèrent (pt. 32) (CJUE, 3 octobre 2019, C-621/17, Kiss et CIB Bank).  

 

La Cour conclut en précisant que pour apprécier la clarté et la compréhensibilité d’une clause de commission d’ouverture, telles que définies ci-dessus, les juges nationaux doivent se fonder sur des éléments de fait pertinents. La Cour précise que peuvent ainsi constituer des éléments de faits pertinents la publicité (pt. 43) et les informations que l’établissement financier est légalement tenu de fournir à l’emprunteur (pt. 42), le niveau d’attention attendu d’un consommateur moyen vis-à-vis d’une telle clause (pt. 44) ainsi que l’emplacement et la structure d’une telle clause (pt. 46). La Cour retient néanmoins que la notoriété d’une clause de commission d’ouverture ne saurait constituer un élément de fait pertinent dans le cadre de l’appréciation de son caractère clair et compréhensible (pt. 42).  

Voir également :

CJUE, 16 mars 2023, aff. C-565/21 – Caixabank SA c/ X 

  

– Contrat de crédit – Commission d’ouverture – Objet principal – 

  

EXTRAIT  

  

« L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que : il s’oppose à une jurisprudence nationale qui, eu égard à une réglementation nationale prévoyant que la commission d’ouverture rémunère les services liés à l’examen, à l’octroi ou au traitement du prêt ou du crédit hypothécaire ou d’autres services similaires, considère que la clause établissant une telle commission relève de l’« objet principal du contrat », au sens de cette disposition, au motif qu’elle représente l’une des composantes principales du prix. »  

  

ANALYSE   

  

En vertu de l’article 4 § 2 de la directive 93/13 sur les clauses abusives, l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation entre le prix ou la rémunération et les biens ou services fournis, pour autant que ces clauses soient rédigées de manière claire et compréhensible. 

La question en l’espèce est de savoir si une clause d’un contrat de crédit prévoyant le paiement d’une commission d’ouverture par l’emprunteur relève ou non de l’objet principal de ce contrat, cette clause étant une composante du prix de ce contrat.  

La Cour commence par rappeler le principe selon lequel les clauses relevant de l’objet principal d’un contrat sont celles qui fixent les prestations essentielles d’un contrat, qui définissent son essence même (voir en ce sens arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C-186/16).  

La Cour rappelle également que l’article 4 § 2 de la directive 93/13 encadrant les clauses relevant de l’objet principal du contrat constitue une exception, qui doit être interprétée strictement afin de garantir une protection optimale des consommateurs contre les clauses abusives. Dans un contrat de crédit, l’objet principal consiste en la mise à disposition par le prêteur d’une certaine somme d’argent au profit de l’emprunteur, tenu à son tour de rembourser ladite somme (voir en ce sens  arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19, point 57). L’objet principal d’un contrat de crédit n’inclut donc pas les prestations simplement accessoires à la mise à disposition et au remboursement.  

La Cour avait déjà énoncé qu’une commission d’ouverture ne saurait être considérée comme étant une prestation essentielle d’un contrat de crédit du seul fait qu’elle était comprise dans le coût total de ce contrat (voir en ce sens Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria C-224/19 et C-259/19, point 64).  

Dans cette continuité, la présente décision énonce que la clause prévoyant une commission d’ouverture ne relève pas de l’objet principal du contrat et peut donc être contrôlée par le juge au titre des clauses abusives, peu importe le fait qu’elle soit claire et compréhensible ou pas. En effet, cette clause est accessoire aux prestations essentielles du contrat de crédit, que sont la mise à disposition d’une somme d’argent et le remboursement de ladite somme.  

 

Voir également :  

  

Cass. civ. 1ère, 1 mars 2023, n° 21-20.260 

 

Contrats de prêt immobilier – Prêt libellé en devise étrangère (franc suisse) – Consommateur moyen – Objet du contrat – Remboursement en devise étrangère 

 

EXTRAITS : 

«Après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » relatives à l’objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu’il n’existait aucun risque de change, la cour d’appel en a exactement déduit, (…), que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif ». 

 » 

 

ANALYSE : 

Les juges du fond étaient saisis d’un litige concernant le caractère abusif des clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » de deux prêts immobiliers libellés et remboursables en francs suisses consentis par une banque suisse à des emprunteurs, résidents français percevant des revenus en francs suisses.  

 

Les juges du fond ont considéré que ces clauses relevaient de l’objet principal du contrat. Par conséquent l’appréciation de leur caractère abusif était subordonnée au défaut de clarté et d’intelligibilité entendue de manière extensive lorsqu’il s’agit de prêts en devises (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance). 

 
Cependant ils sont approuvés par la Cour de cassation pour avoir jugé que les clauses étaient parfaitement claires et qu’elles ne présentaient pas un caractère abusif.  

La solution est donc différente de celle des arrêts rendus dans le sillage de l’affaire BNP Paribas Personal Finance.  

 

Cela s’explique par la spécificité des prêts en cause dans la présente affaire. Contrairement aux affaires Helvet Immo où les prêts étaient libellés en francs suisse et remboursables en euros, ici les prêts sont libellés en francs suisse, remboursables en francs suisse et en outre le consommateur perçoit son salaire dans la devise de remboursement. Par conséquent, le consommateur ne subit aucun risque de change. La clause exposant les conditions de remboursement ne peut être considérée comme abusive. 

 

Cass. civ. 1ère, 1er mars 2023, n° 21-10.186 

Contrat de bail —– Clause abusive  

 

EXTRAITS : 

« Pour écarter l’application des dispositions du code de la consommation, l’arrêt retient que le contrat de bail d’immeuble ne constitue pas un contrat de consommation, même s’il est acquis que M. [J] n’a pas poursuivi un but professionnel. En statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif qu’une clause du contrat aurait pour objet ou pour effet de créer au détriment de M. [J], non-professionnel, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 

 

ANALYSE : 

Les juges du fond ont été saisis d’un litige concernant une clause insérée une promesse de bail emphytéotique pour l’installation de panneaux photovoltaïques, conclue par un particulier. Ils avaient estimé que ce dernier tout en ayant contracté pour ses besoins personnels ne pouvait bénéficier de la législation sur les clauses abusives dans la mesure où « le contrat de bail d’immeuble ne constitue pas un contrat de consommation ».  

 

L’arrêt est cassé par la première chambre civile qui juge que les motifs de l’arrêt d’appel sont « impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif qu’une clause du contrat aurait pour objet ou pour effet de créer ». Ce faisant, la première chambre civile de la Cour de cassation considère que le contrat de bail emphytéotique est un contrat de consommation lorsqu’il est conclu entre un professionnel et un consommateur. Ainsi, il peut faire l’objet d’une appréhension par le juge au titre des clauses abusives. 

 

La solution est conforme tant au caractère horizontal de la législation sur les clauses abusives qui s’applique à « tout contrat » qu’à la jurisprudence européenne qui soumet le contrat de bail à la directive sur les clauses abusives CJUE 30 mai 2013 C-488/11 – Asbeek Brusse et de Man Garabito 

 Voir également : 

CJUE 30 mai 2013 C-488/11 – Asbeek Brusse et de Man Garabito 

 

Cass. Com., 8 février 2023, N°21-17.763 

Contrat de prêt — Clause abusive — saisie immobilière –– autorité de la chose jugée – pouvoir du juge commissaire – relevé d’office 

 

EXTRAITS : 

« Il s’en déduit que l’autorité de la chose jugée d’une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d’une procédure collective, résultant de l’article 1355 du code civil et de l’article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l’obligation incombant au juge national de procéder à un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles. 

Il en découle que le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen » 

 

ANALYSE : 

Dans une très importante décision rendue après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l’article 1015-1 du code de procédure civile, promise au Rapport annuel et accompagnée d’une notice , la chambre commerciale de la Cour de cassation étend  à son tour l’obligation pour le juge de relever d’office les clauses abusives aux frontières des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée.  

L’affaire concernait un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel avait été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d’un prêt immobilier, qu’il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur.  

A l’occasion de la procédure de saisie immobilière du bien l’emprunteur avait soulevé à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution une contestation portant sur le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses de l’acte de prêt notarié. L’arrêt avait retenu que les décisions d’admission des créances avaient autorité de la chose jugée à l’égard du consommateur relativement aux créances qu’elles fixent. L’arrêt avait observé que le consommateur, convoqué à l’audience du juge-commissaire pour qu’il soit statué sur ses contestations, s’était présenté en la même qualité devant le juge de l’exécution statuant en saisie immobilière que devant le juge-commissaire, et avait relevé que, devant ce juge, le débiteur n’avait formulé aucune observation concernant la première créance et qu’il n’avait pas davantage contesté la seconde.  

 La décision est cassée sous le visa des articles 7, § 1, de la directive 93/13 et de l’article  L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation.  

La Cour de cassation confirme que la décision du juge commissaire ayant admis des créances au passif d’une procédure collective dispose en effet de l’autorité de la chose jugée. Cependant, elle énonce que ce principe ne doit en aucun cas vider de sa substance l’obligation reposant sur le juge national d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause. Elle en déduit que « le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites. Pour appuyer sa décision, la Chambre commerciale se fonde sur une série de décisions de la CJUE imposant au juge national un contrôle juridictionnel effectif des clauses abusives pour assurer l’effet utile de la directive, de telle sorte qu’une règle procédurale interne relative à l’autorité de la chose jugée ne puisse y faire obstacle (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, Banco Primus ; CJUE 4 juin 2020, aff. C-495/19, Kancelaria Médius ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-600/19, Ibercaja Banco ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-693/19, SPV « Project 503 Srl » aff. C-831/19, Banco di Desio e della Brianza). Autrement dit, en vertu du principe d’effectivité, un mécanisme national ne peut pas faire obstacle au droit européen. 

Elle apporte cependant une exception au principe posé dans l’hypothèse où « il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée » que le juge s’est livré à l’ examen du caractère éventuellement abusif des clauses. 

Voir également : 

Civ. 1, 1er février 2023, n° 21-20.168 

Contrat de crédit immobilier – prêt libellé en francs suisses –  clarté et intelligibilité – déséquilibre significatif – clause de remboursement. 

 

EXTRAITS : 

« la cour d’appel a retenu que la stipulation litigieuse comportait des informations contradictoires sur la devise de remboursement du prêt, que le contrat ne comportait aucune information sur la manière selon laquelle elle était mise en oeuvre et sur les modalités de remboursements en francs suisses et de conversion, alors que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs français puis en euros, que les autres clauses du contrat ne permettaient ni de déterminer le taux de change applicable pour le paiement des intérêts et le remboursement du capital ni de connaître les modalités de conversion, qu’il n’était justifié d’aucune information délivrée aux emprunteurs sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de leur engagement et qu’ils n’avaient pas pu évaluer les conséquences économiques de la clause sur leurs obligations financières 

[…] 

Faisant ainsi ressortir, d’une part, que la banque n’avait pas fourni aux emprunteurs, en leur qualité de consommateurs moyens, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de la clause litigieuse sur leurs obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, d’autre part, que la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard des emprunteurs, à ce que ces derniers acceptent, à la suite d’une négociation individuelle, les risques susceptibles de résulter de la clause litigieuse sur leurs obligations, la cour d’appel, (…), en a exactement déduit que cette « clause de remboursement », qui portait sur l’objet du contrat, n’était ni claire ni compréhensible et qu’elle créait un déséquilibre significatif entre la banque et les emprunteurs, de sorte qu’elle devait être réputée non écrite. » 

 

ANALYSE : 

Un contrat de prêt immobilier in fine souscrit en francs suisses remboursable en une échéance exigible le 31 janvier 2015 a été conclu le 14 mars 2000. Ce prêt a été conclu avec intérêts indexés suivant l’index LIBOR 3 mois. Les emprunteurs n’ayant pas remboursé l’intégralité du capital, la banque met en oeuvre différentes mesures d’exécution mais elle est assignée par les emprunteurs en annulation d’une « clause de remboursement du crédit » . 

Ladite clause était ainsi stipulée : « Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et commissions et cotisations d’assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débités sur un compte en devise ouvert au nom de l’un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur et que la monnaie de paiement est le franc français ou l’euro, l’emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom au nom de l’un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. Les frais des garanties seront payables en francs ou en euros. Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l’échéance le prêteur est en droit de convertir le montant de l’échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l’emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré. » 

 

En premier lieu, les magistrats de la Cour de cassation considèrent que la cour d’appel a exactement déduit que la clause de remboursement, qui portait sur l’objet du contrat, ne respectait pas les exigences de clarté et d’intelligibilité. En effet, d’une part la cour d’appel a constaté que la stipulation litigieuse comportait des informations contradictoires concernant la devise de remboursement. D’autre part, la Cour d’appel a relevé que « le contrat ne comportait aucune information sur la manière selon laquelle elle était mise en oeuvre et sur les modalités de remboursements en francs suisses et de conversion, alors que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs français puis en euros, que les autres clauses du contrat ne permettaient ni de déterminer le taux de change applicable pour le paiement des intérêts et le remboursement du capital ni de connaître les modalités de conversion, qu’il n’était justifié d’aucune information délivrée aux emprunteurs sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de leur engagement et qu’ils n’avaient pas pu évaluer les conséquences économiques de la clause sur leurs obligations financières et prendre conscience des difficultés auxquelles ils seraient confrontés en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus ». Ce faisant les juges du fond ont mis en œuvre la jurisprudence de la CJUE selon laquelle, l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, doit être entendue de manière extensive CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance 

Effectivement, elle doit être comprise comme imposant deux exigences pour le professionnel, à savoir :  

  • que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical,   
  • mais également qu’un consommateur moyen, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières . 

Cette jurisprudence est désormais régulièrement rappelée par les juges dans les affaires de prêts en devise étrangère depuis le revirement de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 20 avril 2022, n° 20-16.942 

En second lieu, les magistrats de la Cour de cassation approuvent les juges du fond d’avoir jugé que la clause créait bien un déséquilibre significatif. Ici, la Cour de cassation, appliquant la jurisprudence de la CJUE, rendue à l’occasion de l’affaire BNP Paribas, énonce que « la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard des emprunteurs, à ce que ces derniers acceptent, à la suite d’une négociation individuelle, les risques susceptibles de résulter de la clause litigieuse sur leurs obligations ». En d’autres termes, le déséquilibre significatif s’induit ici du défaut de transparence et de bonne foi de la banque.  

 

CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-395/21 – D. V.   

  

Contrat conclu entre un avocat et un consommateur – Honoraires – Révision du prix – Contrat sans prix – Réputé non écrit – Disposition supplétive 

  

EXTRAIT  

  

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, telle que modifiée par la directive 2011/83, doivent être interprétés en ce sens que : lorsqu’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause déclarée abusive qui fixe le prix des services selon le principe du tarif horaire et que ces services ont été fournis, ils ne s’opposent pas à ce que le juge national rétablisse la situation dans laquelle se serait trouvé le consommateur en l’absence de cette clause, même si cela conduit à ce que le professionnel ne perçoive aucune rémunération pour ses services. Dans l’hypothèse où l’invalidation du contrat dans son ensemble exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, ces dispositions ne s’opposent pas à ce que le juge national remédie à la nullité de ladite clause en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties audit contrat. En revanche, ces dispositions s’opposent à ce que le juge national substitue à la clause abusive annulée une estimation judiciaire du niveau de la rémunération due pour lesdits services.»  

  

ANALYSE   

 

La cour commence par rappeler qu’en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, il incombe au juge national d’écarter l’application des clauses abusives sauf si le consommateur s’y oppose. Cependant, le contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible (arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C-269/19, EU:C:2020:954, point 29 et jurisprudence citée). 

 

Lorsqu’un contrat ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive, l’article mentionné ci-dessus ne s’oppose pas à ce qu’une disposition de droit national à caractère supplétif ne remplace la clause afin d’éviter pour le consommateur les conséquences dommageables qui résulteraient de l’annulation du contrat dans son ensemble (arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C-269/19, EU:C:2020:954, point 32 et jurisprudence citée). Elle précise que cette solution rendue à l’égard de contrats de prêts vaut pour l’annulation d’un contrat portant sur la prestation de services juridiques qui ont déjà été fournis, puisse mettre le consommateur dans une situation d’insécurité juridique, notamment dans l’hypothèse où le droit national permettrait au professionnel de réclamer une rémunération de ces services sur un fondement différent de celui du contrat annulé. En outre, l’invalidité du contrat pourrait éventuellement avoir une incidence sur la validité et l’efficacité des actes accomplis en fonction du droit national applicable (pt 62). 

 

S’agissant des clauses relatives au prix, la Cour estime, que dans le cas où un nuge national estimerait que les contrats ne pourraient pas subsister après la suppression de la clause relative au prix, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’oppose pas à l’invalidation de ceux-ci, même si cela conduit à ce que le professionnel ne perçoive aucune rémunération pour ses services. 

 

En ce qui concerne la clause abusive fixant les honoraires d’avocat, la Cour considère que « le rétablissement de la situation dans laquelle se serait trouvé le consommateur en l’absence de cette clause se traduit en principe, y compris dans le cas où les services ont été fournis, par son exonération de l’obligation de payer les honoraires établis sur la base de ladite clause «  (pt 58). 

 

 

La Cour précise que les choses changent seulement dans l’hypothèse où l’invalidation des contrats dans leur ensemble exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de telle sorte que ce dernier en serait pénalisé. La juridiction de renvoi dispose alors de la possibilité exceptionnelle de substituer à une clause abusive annulée une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties au contrat en cause.  

 

Il importe, cependant, qu’une telle disposition ait vocation à s’appliquer spécifiquement aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur et n’ait pas une portée à ce point générale que son application reviendrait à permettre, en substance, au juge national de fixer sur le fondement de sa propre estimation la rémunération due pour les services fournis (voir, en ce sens, ,  arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C-80/21 à C-82/21, EU:C:2022:646, points 76et 77ainsi que jurisprudence citée). En effet une telle solution irait à l’encontre du principe selon lequel un juge national ne peut réviser le contenu des clauses abusives. La révision des clauses est en effet contraire à l’effet dissuasif du caractère non contraignant de la clause puisque les professionnels demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, le contrat pourrait subsister en étant corrigé (arrêt du 18 novembre 2021, A. S.A., C-212/20, EU:C:2021:934, point 69ainsi que jurisprudence citée). 

 

Elle conclut donc que s’il existe en droit national un texte supplétif permettant de fixer le prix des services de l’avocat,celui-ci peut être appliqué par le juge. En revanche, tout estimation judicaiire étant exclue, à défaut de texte, le juge national doit rétablir la situation dans laquelle se serait trouvé le consommateur en l’absence de la clause absuive, même si cela conduit à ce que le professionnel ne perçoive aucune rémunération pour ses services. 

 

 

Voir également :  

CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-395/21 – D. V.   

  

Contrat conclu entre un avocat et un consommateur – tarif horaire – Transparence – déséquilibre significatif.  

  

EXTRAIT  

  

« L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du conseil, telle que modifiée par la directive 2011/83, doit être interprété en ce sens que une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur, fixant, selon le principe du tarif horaire, le prix de ces services et relevant, dès lors, de l’objet principal de ce contrat, ne doit pas être réputée abusive en raison du seul fait qu’elle ne répond pas à l’exigence de transparence prévue à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, telle que modifiée, sauf si l’État membre dont le droit national s’applique au contrat en cause a, conformément à l’article 8 de ladite directive, telle que modifiée, expressément prévu que la qualification de clause abusive découle de ce seul fait. »  

  

ANALYSE   

  

La Cour commence par rappeler que s’agissant de l’article 5 de la directive 93/13, le caractère transparent d’une clause contractuelle constitue l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif de cette clause qu’il appartient au juge national d’effectuer en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive. Dans le cadre de cette appréciation, il incombe au juge d’évaluer, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, dans un premier temps, le possible non-respect de l’exigence de bonne foi et, dans un second temps, l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif au détriment du consommateur, au sens de cette dernière disposition (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, EU:C:2019:820, point 49 ainsi que jurisprudence citée). 

 

Par ailleurs, en vertu des articles 4 paragraphe 2 et 5 de la directive 93/13, l’exigence de transparence ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur le plan formel et grammatical et doit être entendue de manière extensive (point 36 de l’arrêt et voir en ce sens arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C-26/13, EU:C:2014:282, point 69). Partant, il n’y a pas lieu de traiter différemment les conséquences du défaut de transparence d’une clause contractuelle selon qu’elle concerne l’objet principal du contrat ou un autre aspect de celui-ci.  

 

De plus, si l’appréciation du caractère abusif d’une clause repose, en principe, sur une évaluation globale qui ne tient pas uniquement compte de l’éventuel défaut de transparence de cette clause (arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C-26/13, EU:C:2014:282), les Etats conservent la possibilité d’apporter un niveau de protection plus élevé aux consommateurs.  

 

En effet, la Cour précise que dans la mesure où les États membres demeurent libres de prévoir, dans leur droit interne, un tel niveau de protection, la directive 93/13, sans exiger que le défaut de transparence d’une clause d’un contrat conclu avec un consommateur entraîne de manière automatique la constatation de son caractère abusif, ne s’oppose pas à ce qu’une telle conséquence découle du droit national, en l’occurrence le droit lituanien. 

 

On observera que, s’agissant du défaut de clarté et de compréhensibilité, le droit français a transposé fidèlement la directive sans se montrer plus protecteur. Il faut donc en déduire qu’en principe la clause fixant l’objet principal de ce contrat ne doit pas être réputée abusive du seul fait qu’elle ne répond pas à l’exigence de transparence.  

 

Voir également :