Cour de justice de l'Union européenne
La renonciation éclairée du consommateur à se prévaloir d’une clause abusive ne peut être subordonnée à la présentation d’une déclaration formalisée devant les juridictions

CJUE, 7 décembre 2023, SM, KM contre mBank S.A

Mots clés :  

Clauses abusives – Protection du consommateur- Principe d’effectivité – Principe d’équivalence. 

 

 

EXTRAITS 

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que, dans le contexte de l’annulation intégrale d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, au motif que ce contrat contient une clause abusive sans laquelle il ne peut pas subsister : 

ils s’opposent à l’interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle l’exercice des droits que ce consommateur tire de cette directive est conditionné par la présentation, par ledit consommateur, devant une juridiction, d’une déclaration par laquelle il affirme, premièrement, ne pas consentir au maintien de cette clause, deuxièmement, avoir connaissance, d’une part, du fait que la nullité de ladite clause implique l’annulation dudit contrat ainsi que, d’autre part, des conséquences de cette annulation et, troisièmement, consentir à l’annulation du même contrat » 

 

 

ANALYSE 

 

En l’espèce, le caractère abusif concerne des clauses de conversion d’un prêt hypothécaire, assorti d’intérêts à taux variables libellé en zlotys polonais et indexé sur le franc suisse, conclu entre des particuliers et un établissement de crédit polonaise, en date du 18 février 2009. La Cour Suprême polonaise dans une résolution du 7 mai 2021 conditionne l’exercice des droits du consommateur, qui souhaiterait demander la nullité d’une clause abusive à une déclaration formalisée devant le juge dans laquelle le consommateur affirme, premièrement, ne pas consentir au maintien de cette clause, deuxièmement, avoir connaissance, du fait que la nullité de ladite clause implique l’annulation dudit contrat ainsi que des conséquences de cette annulation et, troisièmement, consentir à l’annulation du même contrat.  

 

Une juridiction de renvoi va alors poser une question préjudicielle à la Cour de justice européenne afin de savoir si l’introduction d’une telle déclaration, comme permettant l’exercice des droits du consommateur qui lui sont conférés dans la directive 93/13, est une interprétation valable de l’article 6 paragraphe 1 de la directive.  

 

La Cour commence par rappeler les grands principes formulés par la directive 93/13, à savoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs comme prévu à l’article 6 paragraphe 1 de la directive. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants, un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (l’arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen notamment).  

Elle rappelle en outre que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel. Puis, en se fondant sur l’arrêt Abanca Corporacion Bancaria et Bankia du 26 mars 2019, elle affirme une nouvelle fois que le consommateur peut s’opposer à la protection qui lui est réservée dans la directive. Cependant, si le consommateur a la possibilité de refuser l’application de la directive et sa protection en consentant de façon claire et éclairée à la survie d’une clause qui aurait été réputée non écrite sous l’égide de la directive, cette faculté de renonciation relève de la protection qui lui est faite par la directive. Ainsi, la protection découlant de la directive ne s’efface qu’en cas de renonciation claire et éclairée et ne peut être entravée par l’obligation positive d’invoquer les dispositions de la directive au moyen d’une déclaration formalisée présentée devant une juridiction pour faire valoir ses droits et sa protection, qui sont inhérents à sa qualité de consommateur.  

 

La Cour s’oppose donc à une interprétation du droit national selon laquelle un consommateur est tenu, afin de faire valoir les droits qu’il possède de cette directive, de présenter devant une juridiction, une déclaration formalisée au titre de l’article 6 §1 de la directive qui prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs.  

 

Dans cette décision, la Cour se prononce également sur le calcul des restitutions (CJUE, 7 déc. 2023, SM, KM, aff. C-140/22)