CJUE, 12 octobre 2023, aff. C-645/22 -Luminor Bank AS 

  

EXTRAIT 

  

“L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, 

  

Doit être interprété en ce sens que : 

  

il s’oppose à ce que, lorsqu’un juge national a constaté l’impossibilité de maintenir un contrat après la suppression d’une clause abusive et que le consommateur concerné exprime la volonté que ce contrat soit maintenu en modifiant cette clause, ce juge puisse statuer sur les mesures à prendre afin que l’équilibre réel entre les droits et  les obligations des parties audit contrat soit rétabli, sans examiner au préalable les conséquences d’une annulation du même contrat dans son ensemble, et cela même si ledit juge a la possibilité de remplacer ladite clause par une disposition de droit interne à caractère supplétif ou par une disposition applicable en cas d’accord de ces parties. » 

  

ANALYSE 

  

La clause abusive de l’espèce figurait dans des contrats de prêt libellés et remboursables en francs suisses. Un examen du caractère abusif de certaines clauses de ces contrats a été effectué par les juridictions lituaniennes à la demande de ces requérants. 

Leur demande ayant été rejetée, ils se sont pourvus en cassation devant la Cour suprême de Lituanie, qui a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel du pays pour examiner à nouveau le caractère abusif desdites clauses. Les requérants au principal ont indiqué à cette juridiction qu’ils souhaitaient modifier les clauses dites abusives en remplaçant le franc suisse par l’euro. 

La Cour d’appel de Lituanie fait droit à cette demande en qualifiant les clauses d’abusives pour les modifier ensuite. 

La défenderesse au principal saisi la Cour Suprême de Lituanie d’un pourvoi en cassation contre cette décision. Elle estime que ces clauses ne sont pas abusives et que puisqu’en droit lituanien, il n’existe pas de dispositions supplétives pouvant remplacer lesdites clauses, la juridiction n’était pas fondée à les remplacer, leur modification sur la base de principes d’équité, bonne foi et raison, étant prohibée par la directive en son article 6. 

  

La juridiction de renvoi ne remet pas en cause la qualification du caractère abusif des clauses mais seulement la modification des contrats opérée par la Cour d’appel. Les requérants au principal souhaitent que les contrats soient maintenus et que les clauses abusives soient modifiées. La Cour d’appel de Lituanie n’a pas examiné au préalable si des conséquences particulièrement préjudiciables pour ces requérants pourraient découler d’une telle annulation desdits contrats litigieux. La juridiction de renvoi a donc saisi la CJUE de deux questions préjudicielles, auxquelles la Cour répond en même temps. 

  

La première question préjudicielle tient au point de savoir si le juge pouvait statuer sur la modification d’une clause abusive, demandée par le consommateur tout en maintenant le contrat, sans examiner au préalable la possibilité d’une invalidation du contrat dans son ensemble alors qu’il a constaté l’impossibilité de maintenir ledit contrat après la suppression de la clause. La seconde question était de savoir si la réponse à la première question dépend de la possibilité pour le juge de substituer à la clause abusive une disposition de droit interne à caractère supplétif ou applicable en cas des parties. 

  

La CJUE énonce qu’en vertu de la directive, le juge national doit examiner les conséquences d’une annulation du contrat dans son ensemble avant de statuer sur les mesures à prendre afin que l’équilibre réel entre les droits et obligations des parties audit contrat quand bien même : 

  • Le juge national a constaté l’impossibilité de maintenir le contrat après la suppression de la clause abusive 
  • Le consommateur concerné exprime la volonté que ce contrat soit maintenu en modifiant la clause abusive 

  

La CJUE précise que cette obligation d’examen préalable des conséquences de l’annulation du contrat incombe au juge y compris lorsqu’il a la possibilité de remplacer ladite clause par une disposition de droit national à caractère supplétif ou une disposition applicable en cas d’accord des parties au contrat.  

La CJUE consacre une obligation d’examen préalable, incombant au juge national, des conséquences de l’annulation d’un contrat tout entier avant de statuer sur les mesures que peut prendre ce même juge pour rééquilibrer la relation entre les parties. 

  

La Cour s’était déjà prononcée sur la possibilité d’annuler un contrat dans son ensemble, lorsqu’il ne peut subsister sans les clauses abusives, en précisant que pour prononcer cette annulation, le juge ne peut se fonder sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties de cette annulation de tout le contrat (CJUE, 15 mars 2012, C-453/10 – Pereničová et Perenič). 

La CJUE avait également déclaré que le juge devait examiner, lorsque le consommateur exprime la volonté de se prévaloir de la protection de la directive, si le contrat pouvait subsister sans la clause abusive concernée au regard du droit interne et indépendamment du fait que le consommateur exprime la volonté de maintenir ce contrat. Dans ce cas, la Cour avait admis que si le contrat ne peut subsister sans la clause abusive, la directive ne s’oppose pas à une annulation dudit contrat (CJUE, 12 janvier 2023, D.V. C-395/21). C’est seulement si l’annulation de tout le contrat expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables (pas seulement pécuniaires) que le juge national peut substituer à la clause abusive une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties. 

La Cour a également déjà rappelé l’obligation pour le juge national de prendre les mesures nécessaires pour protéger le consommateur de ces conséquences et restaurer l’équilibre entre les parties lorsqu’il n’existe pas de telles dispositions internes et que l’annulation du contrat expose le consommateur auxdites conséquences préjudiciables (CJUE, 25 novembre 2020, C-269/19, Banca B.). 

Si la CJUE s’était donc déjà prononcée sur l’obligation du juge d’examiner si le contrat peut subsister sans la clause abusive concernée au regard du droit interne lorsque le consommateur exprime la volonté de maintenir ledit contrat, elle se prononce, ici semble-t-il, pour la première fois sur l’obligation du juge d’examiner les conséquences de l’annulation du contrat tout entier avant de prendre les mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre entre les parties. 

  

En droit français, l’article L241-1 alinéa 1 du Code de la consommation dispose que les clauses abusives sont réputées non écrites. Dans son alinéa 2, il affirme que le contrat reste applicable dans son entièreté, hormis les clauses jugées abusives, si le contrat peut subsister sans ces clauses. 

CJUE, 13 juillet 2023, aff. C-35/22 -CAJASUR Banco SA

Mots clés : Conditions générales d’un contrat de prêt hypothécaire déclarées nulles par les juridictions nationales – Recours juridictionnel – Acquiescement avant toute contestation – Réglementation nationale revenant à exiger d’un consommateur l’accomplissement d’une démarche précontentieuse auprès du professionnel concerné afin de ne pas être condamné aux dépens de la procédure juridictionnelle – Principe de bonne administration de la justice – Droit à une protection juridictionnelle effective. 

  

EXTRAIT 

  

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que : il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en l’absence d’accomplissement par un consommateur d’une démarche précontentieuse auprès d’un professionnel avec lequel il a conclu un contrat contenant une clause abusive, ce consommateur doit supporter ses propres dépens relatifs à la procédure juridictionnelle qu’il a engagée contre ce professionnel pour faire valoir les droits que lui confère la directive 93/13 lorsque ledit professionnel a acquiescé à la demande dudit consommateur avant toute contestation, même si le caractère abusif de cette clause a été constaté, sous réserve que le juge national compétent puisse tenir compte de l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie constatant le caractère abusif de clauses analogues et de l’attitude du même professionnel pour conclure à la mauvaise foi de ce dernier et, le cas échéant, le condamner en conséquence à supporter ces dépens. ». 

  

ANALYSE 

  

La clause abusive du cas d’espèce était relative aux frais hypothécaires. À la suite de l’introduction du recours du consommateur, le professionnel avait reconnu le caractère abusif de ladite clause, mais, considérant que le montant réclamé à ce titre était excessif, n’avait accepté de rembourser qu’une partie de celui-ci. Condamné à restituer au consommateur une partie du montant réclamé et à payer les dépens de la procédure, le professionnel avait fait valoir que, dès lors qu’il avait acquiescé à la demande avant toute contestation, ladite condamnation aux dépens état contraire au droit national qui prévoit qu’une telle condamnation ne peut être imposée que lorsque la mauvaise foi du défendeur est constatée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce ;  

  

La CJUE fut donc saisie d’une question préjudicielle quant au point de savoir si cette réglementation était de nature à entraver l’effectivité de l’article 6 paragraphe 1 de la directive, relatif aux clauses abusives selon lequel « Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs ».  

 

La CJUE énonce que dans un contrat de prêt conclu entre une banque et un consommateur contenant une clause abusive, la loi nationale, qui prévoit que ledit consommateur doit supporter les dépens relatifs à la procédure juridictionnelle engagée par ce dernier contre le professionnel pour faire valoir ses droits conférés par la directive, ne s’oppose pas à l’article 6 paragraphe 1 de cette même directive, relatif aux clauses abusives. Elle soumet cette solution à deux conditions : 

  

D’une part, ledit professionnel doit avoir acquiescé à la demande dudit consommateur avant toute contestation, y compris si le caractère abusif de la clause a été constaté. Le juge doit pouvoir tenir compte d’une jurisprudence nationale bien établie constatant le caractère abusif de clauses analogues; 

  

D’autre part, ce professionnel doit être de bonne foi. Si ce professionnel s’avère être de mauvaise foi, il pourra être condamné à supporter tous les dépens. 

  

La Cour assure donc, par cette solution, l’équilibre entre la répartition des dépens, fixée par le droit national et qui relève de l’autonomie procédurale des États membres, et le droit du consommateur de saisir le juge pour faire valoir ses droits conférés par la directive, en vertu du principe d’effectivité. 

  

La CJUE avait déjà statué en ce sens dans un arrêt du 22 septembre 2022, n° C-215/21, Zulima contre Servicios prescriptor y medios de pagos EFC SAU, dans lequel elle affirme que dans les cas où le juge peut tenir compte de la mauvaise foi du professionnel, le consommateur peut supporter les dépens quand il obtient satisfaction par voie extrajudiciaire en matière de clauses abusives.  

  

En droit français, selon l’article 696 du Code de procédure civile, les dépens sont en principe supportés par la partie perdante au procès. La charge des dépens se retrouve à l’article 700 du Code de procédure civile. 

CJUE, 15 juin 2023, aff. C-287/22, – Getin Noble Bank

Mots clés : Prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère – demande d’octroi de mesures provisoires 

 

 

EXTRAIT  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, 

Doivent être interprétés en ce sens que :  

ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut rejeter une demande d’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tendant à la suspension, dans l’attente d’une décision définitive relative à l’invalidation du contrat de prêt conclu par ce consommateur au motif que ce contrat de prêt comporte des clauses abusives, du paiement des mensualités dues en vertu dudit contrat de prêt, lorsque l’octroi de ces mesures provisoires est nécessaire pour assurer la pleine efficacité de cette décision.»   

 

ANALYSE 

Dans le cadre d’un litige relatif à la nullité d’un contrat de prêt hypothécaire en raison de la suppression de clauses abusives qu’il contient, lesquelles étaient relatives à la conversion en francs suisses (CHF) du montant au taux d’achat fixé par la banque avec un taux d’intérêt variable, et les mensualités calculées en CHF, remboursables en PLN au taux de vente du CHF, la Cour de justice a été saisie de la question de la possibilité pour une juridiction nationale de rejeter l’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tenant à la suspension de l’exécution d’un tel contrat. 

La Cour expose que l’objectif de la directive 93/13 d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs transparaît à l’article 6 paragraphe 1 de ladite directive. Cet article impose aux États membres de veiller à ce que les clauses contractuelles ne lient pas le consommateur, et ce, sans que celui-ci ait besoin de former un recours et d’obtenir un jugement confirmant le caractère abusif de ces clauses. (Arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08, EU:C:2009:350) 

Elle rappelle que le principe d’autonomie procédurale, en vertu duquel les Etats membres sont libres de définir les modalités internes dans le cadre desquelles le constat du caractère abusif d’une clause et les effets juridiques concrets de celui-ci, doit s’exercer tout en respectant le principe d’effectivité, de manière à ne pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’union. 

Une jurisprudence antérieure a pu s’opposer à une réglementation nationale ne permettant pas au juge national d’adopter des mesures provisoires, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale, cette réglementation étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par ladite directive (est cité en ce sens l’arrêt Aziz, 14 mars 2013, C-415/11, EU:C:2013:164). 

La Cour rappelle en outre qu’il a pu être estimé nécessaire d’octroyer des mesures provisoires notamment lorsqu’il existe un risque pour le consommateur de payer, au cours d’une procédure juridictionnelle des mensualités plus élevées que celui effectivement dû si la clause concernée devait être écartée (Fernández Oliva e.a., C-568/14 à C-570/14, EU:C:2016:828). 

Elle en conclut que la protection garantie aux consommateurs par la directive 93/13 (en particulier es articles 6 et 7 de celle-ci), requiert que le juge national puisse octroyer une mesure provisoire appropriée, si cela est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir en ce qui concerne le caractère abusif de clauses contractuelles. 

La Cour expose, en invoquant l’effectivité de la protection assurée par la directive, que si un juge constate sur le fond, que suite à la suppression d’une clause pour laquelle il existe des indices suffisants de son caractère abusif, le contrat ne peut objectivement plus être exécuté, et qu’il faudra restituer au consommateur les sommes indûment versées, le rejet d’une demande provisoire qui a pour objectif de suspendre le paiement des mensualités revient à rendre inefficace la décision qui interviendra de manière définitive sur le fond. Ces mesures provisoires pourraient en effet être nécessaires pour garantir l’effectivité de la décision à venir sur le devenir du contrat en raison de la clause abusive, sur la clause résolutoire et l’effectivité de la protection assurée par la directive.  

La Cour considère qu’en l’espèce, cette situation est caractérisée. Elle ajoute qu’ici le consommateur a versé à la banque un montant supérieur à la somme empruntée avant d’engager la procédure et relève, en l’absence de cette mesure provisoire, une possible détérioration de la situation financière du consommateur.  

Au regard de ses développements, la Cour a donc estimé qu’une jurisprudence dans laquelle est refusé l’octroi de mesures provisoires tendant à la suspension des mensualités du contrat de prêt comportant des clauses abusives, alors que ces mesures sont dans l’intérêt du consommateur, et visent notamment  à assurer la pleine effectivité de la décision définitive d’invalidation du contrat eu égard le caractère abusif des clauses, n’est pas conforme au principe d’effectivité, et n’est pas compatible avec l’article 6 §1 et l’article 7 §1 de la directive 93/13. Les juridictions nationales sont en effet tenues de garantir la pleine effectivité de la directive, et ce notamment en modifiant une jurisprudence établie qui serait contraire au droit de l’Union européenne. 

Une telle solution semble ouvrir la possibilité pour le consommateur d’agir en référé pour solliciter la suspension des mensualités sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile. 

CJUE, 4 mai 2023, aff. C-200/21 BRD Groupe Société Générale SA, Next Capital Solutions Ltd

Mots-clés : Contrat entre professionnel et consommateur – Juge de l’exécution – Délai d’opposition à l’exécution forcée – Garantie financière – clauses abusive 

  

EXTRAIT   

  

« La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens que : elle s’oppose à une disposition de droit national qui ne permet pas au juge de l’exécution, saisi, en dehors du délai de quinze jours imparti par cette disposition, d’une opposition à l’exécution forcée d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, formant titre exécutoire, d’apprécier, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif des clauses de ce contrat, alors que ce consommateur dispose, par ailleurs, d’un recours au fond qui lui permet de demander au juge saisi de ce recours de procéder à un tel contrôle et d’ordonner la suspension de l’exécution forcée jusqu’à l’issue dudit recours, conformément à une autre disposition de ce droit national, dès lors que cette suspension n’est possible que moyennant le versement d’une garantie dont le montant est susceptible de dissuader le consommateur d’introduire et de maintenir un tel recours, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. À défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la législation nationale conformes aux exigences de cette directive, le juge national saisi d’une opposition à l’exécution forcée d’un tel contrat a l’obligation d’examiner d’office si les clauses de celui-ci présentent un caractère abusif, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions nationales qui s’opposent à un tel examen. »  

  

ANALYSE   

  

En vertu de l’article 6 paragraphe 1 et de l’article 7 paragraphe 1 de la directive 93/13, les clauses abusives figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne lient pas les consommateurs ; les Etats membres veillent à ce que les consommateurs disposent de moyens adéquats et efficaces pour faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats qu’ils concluent avec les professionnels.  

 

La CJUE veille à l’effectivité de cette disposition. 

 

Or, la Cour se demande en l’espèce si un texte national prévoyant un délai de quinze jours pour soulever le caractère abusif d’une clause, dans le cadre d’une procédure d’opposition à l’exécution forcée d’un contrat, est conforme ou pas au principe d’effectivité posé par la directive 93/13.  

Cette question se pose pour deux raisons principales. Premièrement, selon la jurisprudence de la CJUE, l’action permettant de faire constater le caractère abusif d’une clause n’est soumise à aucun délai en vertu de la directive 93/13. Deuxièmement, le droit national impliqué dans cette affaire (droit roumain en l’occurrence) permet à la partie intéressée de soulever le caractère abusif d’une clause et de demander ainsi la suspension de l’exécution forcée du contrat dans le cadre d’un recours au fond, non-soumis au délai de forclusion applicable en matière d’opposition à l’exécution forcée.       
 

La Cour avait déjà affirmé qu’une disposition nationale empêchant un consommateur de contester le caractère abusif d’une clause dans le cadre d’une opposition à l’exécution forcée du contrat conclu, au motif que le délai de forclusion imparti serait écoulé, est contraire à la directive 93/13  (voir en ce sens ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital, C-75/19, point 34). Dans cette affaire qui concernait aussi le droit roumain, la Cour avait précisé qu’une telle règle demeure contraire à la directive 93/13, quand bien même le droit national concerné permettrait au consommateur de contester les clauses abusives du contrat conclu dans le cadre d’un recours au fond soumis à aucun délai particulier. En effet, la solution rendue au fond est sans effet sur celle résultant de la procédure d’exécution forcée, qui peut s’imposer au consommateur avant l’issue du recours engagé au fond.  

 

En l’espèce, la Cour se demande toutefois si la solution de 2019 évoquée ci-dessus est applicable ou pas dans l’hypothèse où le juge saisi du recours au fond serait compétent pour suspendre l’exécution forcée du contrat conclu.  

Etait en jeu une disposition nationale qui subordonnait le recours au fond à la constitution préalable d’une garantie financière. La Cour, rappelant que le montant de frais de justice est susceptible de dissuader les consommateurs de contester les clauses abusives (voir en ce sens arrêt du 17 mai 2022, Impuls Leasing România C-725/19 point 60) énonce que  la juridiction nationale de renvoi doit vérifier si le montant de la garantie financière exigée est susceptible ou pas de décourager les consommateurs d’engager une action au fond. 

 

La Cour précise en outre qu’à défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la législation nationale conformes aux exigences de cette directive, le juge national saisi d’une opposition à l’exécution forcée d’un contrat a l’obligation d’examiner d’office si les clauses de celui-ci présentent un caractère abusif. Dès lors si la disposition nationale empêche l’examen du caractère abusif des clauses, elle doit être purement et simplement écartée, (voir en ce sens arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C-419/18 et C-483/18, point 76).

CJUE, 20 avril 2023, Ocidental – Companhia Portuguesa de Seguros de Vida, C-263/22 

Assurance de groupe – transparence – clause d’exclusion – faute du preneur d’assurance – clause portant sur l’objet du contrat – connaissance préalable du contenu 

 

EXTRAITS : 

« L’article 3, paragraphe 1, et les articles 4 à 6 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que : lorsqu’une clause d’un contrat d’assurance relative à l’exclusion ou à la limitation de la couverture du risque assuré, dont le consommateur concerné n’a pas pu prendre connaissance avant la conclusion de ce contrat, est qualifiée d’abusive par le juge national, ce juge est tenu d’écarter l’application de cette clause afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard de ce consommateur ». 

 

ANALYSE : 

Un couple conclut un contrat de prêt auprès d’un établissement bancaire. A cette fin, il adhère à un contrat d’assurance de groupe auprès de la banque (le preneur de l’assurance) pour couvrir le risque de d’incapacité permanente de l’adhérent par un tiers assureur. 

 

Durant l’exécution du contrat de prêt, l’adhérent subit un sinistre (une incapacité permanente) et le déclare à l’assureur qui dénie sa garantie.  

 

C’est ainsi que les emprunteurs ont saisi la justice aux fins d’obtenir le remboursement des échéances du prêt payées par eux à compter de la date de l’incapacité permanente et le montant du prêt restant dû à compter de l’incapacité constatée. 

 

La Cour de justice se prononce sur les conséquences à l’égard du consommateur d’une clause d’exclusion dont ce dernier n’aurait pas pris connaissance avant la conclusion du contrat (CJUE, 20 avril 2023, Ocidental – Companhia Portuguesa de Seguros de Vida, C-263/22). 

 

Par cette question, la Cour de justice s’interroge sur le fait de savoir si « une clause d’un contrat d’assurance relative à l’exclusion ou à la limitation de la couverture du risque assuré, dont le consommateur n’a pas pu prendre connaissance avant la conclusion de ce contrat, peut être opposée à ce consommateur, et cela même lorsque le preneur d’assurance peut être tenu responsable d’une telle absence de prise de connaissance et bien qu’une telle responsabilité ne place pas ledit consommateur dans la même situation que celle qui aurait été la sienne s’il avait bénéficié de cette couverture » (Pt 37). 

 

Puisque la Cour de justice ne peut que donner des indications sur la manière dont la juridiction de renvoi doit apprécier le caractère abusif d’une clause (CJUE, 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C84/19, C222/19 et C252/19, point 91), elle rappelle en premier lieu la nécessite de transparence des clauses du contrat conformément à sa jurisprudence antérieure (CJUE, 12 janvier 2023, D.V. (Honoraires d’avocat – Principe du tarif horaire), C395/21, point 47) comme élément à prendre en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’une clause.  

 

En second lieu, elle précise que l’appréciation du déséquilibre nécessite d’abord de s’interroger sur le respect du principe de bonne foi, avant de s’interroger sur le déséquilibre significatif qui découle de la disposition contractuelle pour le consommateur (CJUE, 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C621/17, point 49). 

 

En outre, le juge doit s’interroger sur toutes les circonstances qui entourent le contrat.  

 

Pour la Cour de justice, l’exigence de bonne foi suppose de « tenir compte de la force des positions respectives de négociation des parties et de la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause concernée » (pt 43). 

 

Le juge national devra donc, dans le cadre de son contrôle, s’intéresser au fait que l’adhérent se soit vu contraint de souscrire un contrat d’assurance, sans avoir été informé du contenu dudit contrat et dont l’adhésion a été remplie par l’employé de la banque. 

 

Selon la Cour de justice, il conviendra aussi de « vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte cette clause à la suite d’une négociation individuelle » (CJUE, 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C84/19, C222/19 et C252/19, point 93, et CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C776/19 à C782/19, point 98). 

 

Les circonstances qui entourent la conclusion du contrat sont relevées par la Cour de justice dans la mesure où « ledit consommateur peut donc se voir confronté à une situation dans laquelle, eu égard à une perte de revenus résultant de son incapacité permanente, il lui est difficile voire impossible de rembourser ces échéances, alors que c’est précisément contre ce risque qu’il a voulu s’assurer par l’adhésion à un contrat d’assurance, tel que celui en cause au principal » (pt 49)  

 

Le fait de ne pas informer le consommateur fait donc peser sur lui le risque qui découle de l’incapacité, au moins en partie.  

 

La Cour rappelle que la sanction du caractère abusif de la clause est  est l’absence d’effet contraignant de cette clause pour le consommateur. Concrètement la clause d’exclusion est inopposable au consommateur puisqu’il s’agit « de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l’absence de cette clause abusive [arrêt du 12 janvier 2023, D.V. (Honoraires d’avocat – Principe du tarif horaire), C395/21, EU:C:2023:14, point 54 et jurisprudence citée] ». La responsabilité de la banque dans le défaut de communication d’information au consommateur ne saurait avoir pour objet ou pour effet de rendre opposable la clause abusive à son égard. Le non-respect des obligations de la banque en matière d’information se résout par le biais de la responsabilité civile à l’égard de l’assureur et non dans les rapports avec le consommateur.  

 

Le juge national est donc tenu d’écarter l’application de la clause abusive à l’égard du consommateur.  

 

Voir également : 

CJUE, 23 avril 2015,  Van hove, C-96/14
CJUE, 20 avril 2023, Ocidental – Companhia Portuguesa de Seguros de Vida, C-263/22 

CJUE, 20 avril 2023, Ocidental – Companhia Portuguesa de Seguros de Vida, C-263/22 

Assurance de groupe – transparence – clause d’exclusion – faute du preneur d’assurance – clause portant sur l’objet du contrat – connaissance préalable du contenu 

 

EXTRAITS : 

« L’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du vingtième considérant de cette directive, doivent être interprétés en ce sens que : un consommateur doit toujours avoir la possibilité de prendre connaissance, avant la conclusion d’un contrat, de toutes les clauses que ce dernier contient ». 

 

ANALYSE : 

Un couple conclut un contrat de prêt auprès d’un établissement bancaire. A cette fin, il adhère à un contrat d’assurance de groupe auprès de la banque (le preneur de l’assurance) pour couvrir le risque de d’incapacité permanente de l’adhérent par un tiers assureur. 

 

Durant l’exécution du contrat de prêt, l’adhérent subit un sinistre (une incapacité permanente) et le déclare à l’assureur qui dénie sa garantie.  

 

C’est ainsi que les emprunteurs ont saisi la justice aux fins d’obtenir le remboursement des échéances du prêt payées par eux à compter de la date de l’incapacité permanente et le montant du prêt restant dû à compter de l’incapacité constatée. 

 

La Cour de justice statue en premier lieu sur la question de savoir si le consommateur adhérent à une assurance emprunteur de groupe proposée par l’établissement prêteur doit toujours avoir la possibilité de prendre connaissance des clauses du contrat avant sa conclusion.  

 

La Cour rappelle que l’exigence de transparence ne se limite pas au caractère compréhensible sur le plan formel et grammatical, mais doit s’interpréter de manière extensive, de sorte « qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret d’une telle clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, de cette clause sur ses obligations » (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C609/19, points 42 et 43, et CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C776/19 à C782/19, points 63 et 64). 

 

Concernant le moment de la transmission de ces informations, il est fondamental que le consommateur ait connaissance des conditions contractuelles avant la conclusion du contrat (CJUE, 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C154/15, C307/15 et C308/15, point 50, et CJUE, 12 janvier 2023, D.V. (Honoraires d’avocat – Principe du tarif horaire), C395/21, point 39). 

 

Ainsi, le contrôle du juge en matière de contrat d’assurance de groupe souscrite par une banque au bénéfice des emprunteurs induit une vigilance particulière et la transparence nécessite « l’exposé des particularités du mécanisme de prise en charge des échéances dues au prêteur en cas d’incapacité totale de l’emprunteur, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui » (CJUE, 23 avril 2015, Van Hove, C96/14, points 41 et 48). 

 

La clause d’exclusion du risque d’incapacité résultant de maladies antérieures à la conclusion du contrat d’assurance de groupe auprès du prêteur n’est pas claire et compréhensible si l’adhérent ne peut évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlent pour lui. Cette information est d’autant plus essentielle pour le consommateur qu’il ne saurait être exigé de ce dernier, « lors de la conclusion de contrats liés, la même vigilance quant à l’étendue des risques couverts par ce contrat d’assurance que s’il avait conclu séparément ce dernier et ce contrat de prêt » (CJUE, 20 avr. 2023, aff. C-263/22, Ocidental – Companhia Portuguesa de Seguros de Vida, pt 28)/ 

 

La nécessité de transmettre les clauses du contrat avant la conclusion de celui-ci découle clairement du considérant 20 de la directive 93/13, ce qui permet à la Cour d’affirmer que « le législateur de l’Union européenne a souligné l’intérêt d’une prise de connaissance préalable de toutes les clauses d’un contrat afin de permettre au consommateur de décider, en connaissance de cause, s’il souhaite être lié par ces clauses » (Pt 31). 

 

De plus, l’existence d’une législation spéciale relative aux assurances de groupe n’est pas de nature à remettre en cause l’interprétation de la directive puisqu’elle s’applique en raison de la qualité du contractant et non en raison de la nature du contrat (CJUE, 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C590/17, point 23 et Ord., 10 juin 2021, X Bank, C198/20, non publiée, point 24). 

 

La Cour précise notamment le principe d’interprétation conforme qui justifie de garantir la pleine effectivité de la directive afin d’aboutir à une solution en accord avec la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C590/17, point 23). 

 

Le consommateur doit donc toujours pouvoir prendre connaissance du contrat avant sa conclusion.  

 

 

 

 

Voir également : 

CJUE, 16 mars 2023, aff. C-565/21 – Caixabank SA c/ X 

  

– Contrat de crédit – Commission d’ouverture – Déséquilibre significatif – 

  

EXTRAIT  

  

« L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que : il ne s’oppose pas à une jurisprudence nationale qui considère qu’une clause contractuelle prévoyant, conformément à la réglementation nationale pertinente, le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture destinée à rémunérer les services liés à l’examen, à la constitution et au traitement personnalisé d’une demande de prêt ou de crédit hypothécaire, peut, le cas échéant, ne pas créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, à condition que l’existence éventuelle d’un tel déséquilibre fasse l’objet d’un contrôle effectif de la part du juge compétent, conformément aux critères issus de la jurisprudence de la Cour. » 

 

 

ANALYSE   

  

En vertu de l’article 3 § 1 de la directive 93/13, « une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». 

Or, la règle susvisée permet-elle à une jurisprudence nationale de considérer qu’une clause prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture ne crée pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ? Telle est l’une des questions posées à la Cour dans cette affaire, qui a également tranché le point de savoir si la commmission d’ouverture porte sur l’objet principal du contrat (La clause prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture dans un contrat de crédit ne relève pas de l’objet principal du contrat) une fois qu’elle sera en ligne) et comment doit s’apprécier le défaut de clarté d’une prestation accessoire (Le caractère compréhensible d’une clause de commission d’ouverture suppose que l’emprunteur soit mis en mesure d’en évaluer les conséquences économiques).  

La Cour rappelle que l’existence d’un déséquilibre significatif ne s’apprécie pas uniquement du point de vue économique, par une comparaison entre le montant total de l’opération contractuelle et les coûts pesant sur le consommateur du fait de la clause litigieuse. Le déséquilibre peut résulter aussi d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique du consommateur (voir en ce sens arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, point 51).  

Le contrôle du juge en la matière doit être concret : il doit tenir compte par exemple de la nature des biens ou services relevant de l’objet du contrat et de toutes les circonstances entourant sa conclusion (voir en ce sens arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19, point 76). La Cour ajoute que ce contrôle concret du juge national doit s’appliquer également à la clause du contrat de crédit prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture, pour savoir si elle entraîne ou pas un déséquilibre significatif au détriment du consommateur. Au regard des documents contractuels remis au consommateur, le juge national doit vérifier notamment si les services fournis en contrepartie du paiement de cette commission relèvent réellement de l’examen, de la constitution et du traitement personnalisé de la demande de crédit ; il doit également vérifier s’il y a ou pas une disproportion entre la commission payée par le consommateur et le montant total de l’emprunt souscrit (voir en ce sens le point 59).  

C’est seulement après cette évaluation préalable que la jurisprudence nationale peut considérer qu’une clause prévoyant une commission d’ouverture ne crée pas de déséquilibre significatif au détriment du consommateur, et donc qu’elle n’est pas abusive. N’est pas admissible une jurisprudence nationale énonçant qu’une telle clause est insusceptible d’être abusive du seul fait qu’elle a pour objet des services inhérents à l’activité du prêteur, sans appréciation concrète.  

La jurisprudence nationale peut donc considérer qu’une clause d’un contrat de crédit prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture n’est pas abusive, à condition d’avoir effectué au préalable une évaluation concrète de cette clause.   

 

 

Voir également :  

CJUE, 16 mars 2023, C-565/21 – Caixabank  

Prêts hypothécaires – Commission d’ouverture du prêt – Caractère clair et compréhensible – Prestations accessoires 

EXTRAITS : 

« L’article 5 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que aux fins de l’appréciation du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture, le juge compétent est tenu de vérifier, au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents, que l’emprunteur a bien été mis en mesure d’évaluer les conséquences économiques qui en découlent pour lui, de comprendre la nature des services fournis en contrepartie des frais prévus par ladite clause et de vérifier qu’il n’existe pas de chevauchement entre les différents frais prévus par le contrat ou entre les services que ces derniers rémunèrent. » 

 

 

ANALYSE : 

Par le présent arrêt, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue préciser les différents éléments que les juges nationaux doivent vérifier pour apprécier le caractère clair et compréhensible d’une clause de commission d’ouverture contenue dans un contrat de crédit hypothécaire.  

 

Pour ce faire, la Cour commence par rappeler que l’article 5 de la directive 93/13 pose une exigence générale de transparence selon laquelle les clauses contractuelles doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible (pt.28). Elle énonce qu’il s’agit de la même exigence de transparence que celle visée à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13. Les deux exigences ayant la même « portée », il en résulte que l’interprétation extensive du principe de transparence des clauses s’applique de la même façon aux clauses portant sur l’objet principal du contrat (art. 4, paragraphe 2 de la dorective93/13) et à aux autres clauses (art. 5 de la directive 93/13). 

 

Par conséquent, en application de cette interprétation extensive du principe de transparence, une clause de commission d’ouverture ne peut être considérée comme claire et compréhensible si elle ne l’est que d’un point de vue grammatical et formel (pt.30) (CJUE, 16 juillet 2020, C-224/19 et C-259/19, Caixabank et Banco Bilbao Vizacaya Argentaria).  

 

La Cour considère ainsi que pour satisfaire à l’exigence de transparence susmentionnée, une clause de commission d’ouverture doit être intelligible pour le consommateur d’un point de vue grammatical mais il faut aussi que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère ladite clause ainsi que, le cas échéant, la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses. Il faut ainsi vérifier que le consommateur a bien été mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques découlant d’une clause de commission d’ouverture (pt. 31) (CJUE, 16 juillet 2020, C-224/19 et C-259/19, Caixabank et Banco Bilbao Vizacaya Argentaria).  

 

La Cour appuie notamment sa position en rappelant sa jurisprudence selon laquelle il importe que la nature des services fournis puisse être raisonnablement compris ou déduite à partir du contrat considéré dans sa globalité et que le consommateur puisse vérifier qu’il n’existe pas de chevauchement entre les différents frais ou entre les services que ces derniers rémunèrent (pt. 32) (CJUE, 3 octobre 2019, C-621/17, Kiss et CIB Bank).  

 

La Cour conclut en précisant que pour apprécier la clarté et la compréhensibilité d’une clause de commission d’ouverture, telles que définies ci-dessus, les juges nationaux doivent se fonder sur des éléments de fait pertinents. La Cour précise que peuvent ainsi constituer des éléments de faits pertinents la publicité (pt. 43) et les informations que l’établissement financier est légalement tenu de fournir à l’emprunteur (pt. 42), le niveau d’attention attendu d’un consommateur moyen vis-à-vis d’une telle clause (pt. 44) ainsi que l’emplacement et la structure d’une telle clause (pt. 46). La Cour retient néanmoins que la notoriété d’une clause de commission d’ouverture ne saurait constituer un élément de fait pertinent dans le cadre de l’appréciation de son caractère clair et compréhensible (pt. 42).  

Voir également :

CJUE, 16 mars 2023, aff. C-565/21 – Caixabank SA c/ X 

  

– Contrat de crédit – Commission d’ouverture – Objet principal – 

  

EXTRAIT  

  

« L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que : il s’oppose à une jurisprudence nationale qui, eu égard à une réglementation nationale prévoyant que la commission d’ouverture rémunère les services liés à l’examen, à l’octroi ou au traitement du prêt ou du crédit hypothécaire ou d’autres services similaires, considère que la clause établissant une telle commission relève de l’« objet principal du contrat », au sens de cette disposition, au motif qu’elle représente l’une des composantes principales du prix. »  

  

ANALYSE   

  

En vertu de l’article 4 § 2 de la directive 93/13 sur les clauses abusives, l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation entre le prix ou la rémunération et les biens ou services fournis, pour autant que ces clauses soient rédigées de manière claire et compréhensible. 

La question en l’espèce est de savoir si une clause d’un contrat de crédit prévoyant le paiement d’une commission d’ouverture par l’emprunteur relève ou non de l’objet principal de ce contrat, cette clause étant une composante du prix de ce contrat.  

La Cour commence par rappeler le principe selon lequel les clauses relevant de l’objet principal d’un contrat sont celles qui fixent les prestations essentielles d’un contrat, qui définissent son essence même (voir en ce sens arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C-186/16).  

La Cour rappelle également que l’article 4 § 2 de la directive 93/13 encadrant les clauses relevant de l’objet principal du contrat constitue une exception, qui doit être interprétée strictement afin de garantir une protection optimale des consommateurs contre les clauses abusives. Dans un contrat de crédit, l’objet principal consiste en la mise à disposition par le prêteur d’une certaine somme d’argent au profit de l’emprunteur, tenu à son tour de rembourser ladite somme (voir en ce sens  arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19, point 57). L’objet principal d’un contrat de crédit n’inclut donc pas les prestations simplement accessoires à la mise à disposition et au remboursement.  

La Cour avait déjà énoncé qu’une commission d’ouverture ne saurait être considérée comme étant une prestation essentielle d’un contrat de crédit du seul fait qu’elle était comprise dans le coût total de ce contrat (voir en ce sens Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria C-224/19 et C-259/19, point 64).  

Dans cette continuité, la présente décision énonce que la clause prévoyant une commission d’ouverture ne relève pas de l’objet principal du contrat et peut donc être contrôlée par le juge au titre des clauses abusives, peu importe le fait qu’elle soit claire et compréhensible ou pas. En effet, cette clause est accessoire aux prestations essentielles du contrat de crédit, que sont la mise à disposition d’une somme d’argent et le remboursement de ladite somme.  

 

Voir également :