Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720

Mots-clés : Devoir d’information du professionnel, exigence de transparence, clause abusive, information exacte et suffisante.  

  

EXTRAIT :  

« En statuant ainsi, sans constater que le professionnel avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée des contrats, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ceux-ci percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel a violé́ le texte susvisé́. » 

  

  

ANALYSE : 

Dans cet arrêt, la Première chambre civile de la Cour de cassation rappelle un critère d’appréciation du caractère abusif d’une clause dans un prêt libellé en devise étrangère, celui du devoir d’information exact et suffisant du professionnel envers le consommateur des risques liés au remboursement d’un tel prêt. 

  

En l’espèce, en 2004, des emprunteurs ont contracté auprès d’une banque deux prêts immobiliers libellés en francs suisses et remboursables selon des taux d’intérêts variables indexés sur l’indice Libor trois mois. Le 26 avril 2016, les emprunteurs assignent la banque en responsabilité pour son manquement à son devoir d’information et en constatation du caractère abusif de certaines clauses relatives aux modalités de remboursement des contrats de prêt libellés en devise étrangère.  

La Cour d’appel rejette la demande des emprunteurs à réputer non écrites (et donc écarte l’application de la réglementation des clauses abusives) les clauses des contrats de prêt relatives aux modalités de remboursement de ceux-ci et aux possibilités de conversion en euro des prêts souscrit en franc suisse. Elle retient que la description du mécanisme permettant le paiement des échéances était suffisamment claire pour alerter les emprunteurs et qu’en tout état de cause, ceux-ci ne pouvaient pas ignorer les risques de leur préjudice au moment de la conclusion du contrat. Aussi, elle appuie sa position en rappelant que l’attestation annexée au prêt donnée par la banque, attestant de la connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse, a bien été signée par les emprunteurs. Ainsi, ceux-ci ne peuvent prétendre que les clauses litigieuses relatives aux modalités de remboursement sont abusives au sens de l’article L132-1 ancien du code de la consommation.  

  

La Cour de cassation casse l’arrêt en se fondant sur l’arrêt du 10 juin 2021 BNP Paribas Personal Finance, par lequel la CJUE, a fait peser sur le professionnel un devoir d’information l’obligeant à donner les informations exactes et suffisantes lui permettant d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des obligations financières pendant toute la durée du contrat.  

Le devoir du professionnel, ici le banquier, ne saurait alors, contrairement à ce qu’a jugé la Cour d’appel, se résumer à la simple description des mécanismes de remboursement. Ce raisonnement qui se fonde sur un principe étendu de la transparence matérielle de clause rappelé dans la décision du 30 mars 2022 (pourvoi n° 19-17.996). est issu notamment de la décision Kásler et Kaslerné Rabai (CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler) dans laquelle la Cour de justice avait explicité l’exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses. L’attestation de la connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse ne suffit pas à répondre aux exigences posées par la CJUE dans la mesure où elle ne fait pas état des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des obligations financières pendant toute la durée du contrat dans l’hypothèse d’une dépréciation de la monnaie.  

 

La cassation, au visa de l’article L. 1-1 du code de la consommation, montre que, conformément à la jurisprudence BNP Paribas de la CJUE, le non-respect du professionnel de son obligation de transparence, qui est donc ici caractérisé, peut avoir pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur. 

 

Voir également. 

CJUE, 1re ch, 10 juin 2021 aff. C-776/19 

Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996  

CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler 

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720

Mots-clés : Prêt à taux d’intérêt variable – Prescription – Délai quinquennal – Devoir d’information – Connaissance du risque- Exigence de transparence. 

  

EXTRAIT :  

« Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :  

  1. Il résulte de ces textes que l’action en responsabilité́ de l’emprunteur à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir d’information portant sur le fonctionnement concret de clauses d’un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l’existence et des conséquences éventuelles d’un tel manquement. »

  

ANALYSE :  

Dans cet arrêt, la Première chambre civile de la Cour de cassation énonce que le point de départ du délai de prescription quinquennal de l’action en responsabilité contre le professionnel pour manquement au devoir d’information, quant au fonctionnement de clauses d’un prêt libellé en devise étrangère, est la date de la connaissance effective par le consommateur des risques et conséquences de ce manquement.  

 

En l’espèce, en 2004, des emprunteurs ont contracté auprès d’une banque deux prêts immobiliers libellés en francs suisses et remboursables selon des taux d’intérêts variables indexés sur l’indice Libor trois mois. Le 26 avril 2016, les emprunteurs assignent la banque en responsabilité pour son manquement à son devoir d’information. 

La Cour d’appel de Colmar, par un arrêt du 27 septembre 2021, déclare irrecevable l’action fondée sur le manquement de la banque à son devoir d’information au motif que les emprunteurs ne prouvaient pas légitimement ignorer les risques de leur préjudice au moment de la souscription des prêts. Sur ces constatations, les juges du fond considèrent que le point de départ du délai de prescription quinquennal est celui de la date de conclusion des contrats, c’est-à-dire en 2004. Les emprunteurs décident de se pourvoir en cassation en invoquant les articles 2224 du code civil et L.110-4 du code de commerce dont il résulte que le point de départ du délai de prescription quinquennal est la « date à compter de laquelle le consommateur a eu connaissance effective de l’existence et des conséquences éventuelles d’un tel manquement ». Ainsi, les emprunteurs estiment avoir pu légitimement ignorer les risques de dégradation de la parité entre le franc suisse et l’euro au moment de la signature, faute d’information par la banque. 

La Cour de cassation fait droit aux demandes des emprunteurs et casse l’arrêt de la Cour d’appel, en ce qu’il déclare prescrite l’action en responsabilité formée par les emprunteurs au titre d’un manquement de la banque à son devoir d’information.  

Sans fixer le point de départ du délai de prescription, la Cour, au visa des articles 2224 du code civil et L.110-4 du code de commerce, juge qu’il incombait à la cour d’appel de caractériser la date de la connaissance effective des effets négatifs de la variation du taux de change sur leurs obligations financières. Il reviendra à la Cour d’appel de fixer ce point de départ qui ne saurait être celui de la conclusion des contrats de prêts. 

 

La décision intéresse indirectement la matière des clauses abusives. En effet, elle s’inscrit dans le sillage de la décision qui s’inspirant du principe de transparence dégagé en matière de clause abusive avait imposé au banquier un devoir d’information sur les risques induits par la clause “devises étrangères” (Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n° 19-20.717 ). Et précisément, dans cette décision, la Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle le non-respect du professionnel de son obligation de transparence peut avoir pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur (Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720). 

Cass. civ. 3ème, 25 mai 2023, n° 21-20.643

Mots-clés : Contrat — Maitre de l’ouvrage — Clause abusive — Clause de solidarité 

 

EXTRAITS : 

« Les dispositions de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, selon lesquelles sont réputées non écrites parce qu’abusives les clauses des contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ne s’appliquent pas aux contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant.  

Le contrat ayant un rapport direct avec l’activité professionnelle du maître de l’ouvrage, celui-ci ne peut être considéré comme un non-professionnel dans ses rapports avec le maître d’œuvre, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction, de sorte que les dispositions précitées ne sont pas applicables. ». 

 

ANALYSE : 

En l’espèce, une société avait conclu avec un architecte un contrat de maitrise d’œuvre de travaux pour l’extension de l’hôtel qu’elle exploitait. Ce contrat contenait une clause d’exclusion de solidarité entre les personnes intervenant dans la réalisation des travaux. Mais à la suite de problèmes dans leur réalisation, la société a souhaité assigner en justice toutes les entreprises intervenues ainsi que l’architecte. Toutefois, la société a argué qu’elle devait être considérée comme un non-professionnel et que la clause d’exclusion de solidarité créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et devait être déclarée abusive.  

Les magistrats de la Cour de cassation jugent que la législation sur les clauses abusives est inapplicable au maitre de l’ouvrage, faute pour lui de pouvoir être considéré comme un non-professionnel. Pour écarter cette qualification, la troisième chambre civile juge que le contrat litigieux (un contrat d’extension de l’hôtel) a un rapport direct avec l’activité professionnelle de l’intéressé, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction.  

L’arrêt est rendu sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 qui a introduit une définition du « non-professionnel », laquelle, sans se référer au critère du rapport direct, énonce qu’il s’agit d’une personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles. 

Pour autant le critère du rapport direct sur lequel s’appuie la Cour de cassation et la jurisprudence qu’elle cite (Cass. Civ. 1ère, 24 janvier 1995, pourvoi n° 92-18.227) avait été abandonnée avant l’ordonnance précitée (Cass. civ. 1re, 11 déc. 2008, no 07-18.128). L’arrêt est donc critiquable sur ce point. Cependant, la troisième chambre civile marque une évolution par rapport à sa jurisprudence antérieure. Elle avait en effet eu l’occasion d’appliquer la qualité de non-professionnel au professionnel qui n’était pas de la même spécialité que son cocontractant aux fins d’écarter une clause limitative de responsabilité (Cass. civ. 3e, 4 févr. 2016, no14-29.347 ; Cass. civ. 3e, 7 nov. 2019, no 18-23.259), alors que le critère de la compétence est inopérant pour déterminer la qualité des parties au contrat de consommation. Or, dans la présente décision elle semble, à juste titre, écarter ce critère en jugeant qu’il importait peu que le maître d’ouvrage ne dispose pas de compétences techniques dans le domaine de la construction.  

La jurisprudence de la troisième chambre civile dans la mise en œuvre de la législation sur les clauses abusives dans le domaine de la construction tend donc à se rapprocher de l’orthodoxie. 

Cass. civ. 1ère, 17 mai 2023, n° 22-16.725 

Contrat de prêt libellé en devise étrangère — francs suisses — Clause « réputée non écrite » — risque de change  

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : 

10. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
5. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni à l’emprunteur des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives,

d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il percevait ses revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ». 

 

ANALYSE : 

Un emprunteur avait conclu deux prêts libellés en devise étrangère. La Cour d’appel de Colmar a considéré que les informations transmises à ce dernier par la banque lui avaient permis de comprendre le prêt et ses conséquences économiques. Par conséquent, les juges du fond ont débouté l’emprunteur de sa demande visant à faire réputée non-écrite la clause du contrat.  

Cependant, les magistrats de la Cour de cassation se fondant sur l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 BNP Paribas Personal Fiance SA), ont rappelé que pour faire déclarer une clause abusive, il convient dans un premier temps de vérifier si la clause ne porte pas sur le prix ou l’objet principal du contrat et ensuite si le professionnel « a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives ». Or, en l’espèce certes l’emprunteur avait signé une attestation déclarant avoir pris connaissance des risques de change mais cela ne prouve pas qu’il ait reçu toutes les informations nécessaires à sa compréhension. 

La première chambre civile de la Cour de cassation casse la décision rendue par les juges du fond considérant que la clause portant sur le mécanisme financier et les informations apportées par la banque ne permettaient pas au consommateur de prendre connaissance de toutes les informations et des conséquences économiques négatives du prêt. Par conséquent, la clause est déclarée abusive et réputée non-écrite.  

Voir également : 

-  Site de la CCA : CJUE 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance SA 

Cass. civ. 2ème , 13 avril 2023, n° 21-14.540 

Acte de prêt notarié – prêt libellé en francs suisses – clause abusive – office du juge – autorité de la chose jugée -juge de l’exécution 

 

EXTRAITS : 

« Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993
concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation. 

[…] 

Il résulte de ce qui précède que, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d’un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen, et pour autant qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’examiner d’office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif. » 

 

ANALYSE : 

Dans une très importante décision, promise au Rapport annuel, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation étend l’obligation de relever d’office des clauses abusives qui pèse sur le juge national aux frontières des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée. 

 

Un prêt libellé en devises étrangères a été effectué le 25 juin 2008 par acte notarié. Le 11 octobre 2013 a été délivré, par le prêteur, un commandement de payer valant saisie immobilière sur le bien immobilier objet du prêt.  

Le 10 juillet 2014, le juge de l’exécution a fixé le montant de la créance et ordonné la vente forcée du bien. A la suite de la vente en 2015, la banque a fait pratiquer, le 4 septembre 2018, une saisie attribution sur les comptes de l’emprunteur afin d’obtenir le paiement du solde du prêt. Une contestation de la part de l’emprunteur a alors été formée devant le juge de l’exécution. Les demandes de l’emprunteur ayant été refusées, il forme un pourvoi en cassation en invoquant notamment l’obligation de relever d’office le caractère abusif des clauses d’un contrat. La banque conteste la recevabilité du moyen, les poursuites n’étant pas fondées sur le contrat de prêt notarié mais sur un jugement doté de l’autorité de la chose jugée, s’étant substitué au contrat. 

La Cour de cassation écarte cependant le grief au motif que le moyen, en ce qu’il invoque l’obligation pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle, est né de la décision attaquée. 

Sur le fond, la 2ème chambre civile vient faire application du droit de l’Union Européenne en rappelant, premièrement, que la législation européenne enjoint aux Etats membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et que, deuxièmement, le juge a l’obligation de relever d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans les contrats opposant un consommateur à un professionnel (CJCE, 4 Juin 2009, C-243/08, Pannon).  

Elle rappelle ensuite la jurisprudence de la CJUE quant à la portée du relevé d’office en présence d’un jugement doté de l’autorité de la chose jugée. A cet égard, la Cour de justice considère que la directive 93/13 ne s’oppose pas à une législation nationale qui écarte l’obligation de relever d’office le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles lorsqu’une procédure hypothécaire a complètement été réalisée. Cependant, l’interdiction du relevé d’office suppose que le consommateur a pu tout de même faire valoir ses droits dans une procédure subséquente (CJUE, 17 mai 2022,C-600/19, Ibercaja Banco). 

Elle en déduit que lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d’un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen. 

 

Or, en l’espèce la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée n’avait pas procédé à l’examen des clauses abusives. Certes, comme le rappelle la Cour de cassation, l’examen d’office du caractère abusif des clauses suppose que le juge dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (C. consom., art. R. 632-1, al. 2). Cependant, les éléments étaient ici réunis. Ils résultent de la jurisprudence de la CJUE caractérisant le déséquilibre significatif dans les contrats de prêts libellés en devise étrangère (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas, aff. C-776/19 à C-782/19).  

La deuxième chambre civile prend soin à cet égard d’observer que sur le fondement de cet arrêt de la CJUE, « la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui, statuant dans un litige portant sur un contrat de prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, a dit que la clause de monnaie de compte ne présentait pas un caractère abusif (1re Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.600) ».  

Elle en déduit donc que dans la présente affaire, la cour d’appel de Versailles disposait « des éléments de droit et de fait nécessaires » pour examiner d’office « si les clauses du prêt notarié libellé en devise étrangère, fondement de la saisie-attribution, revêtaient ou non un caractère abusif ». Elle casse donc l’arrêt qui a retenu que le quantum de la saisie attribution est justifié, sans avoir recherché si les clauses du contrat de prêt libellé en devises étrangères contenaient des clauses abusives.  

Voir également :  

 

Cass. civ 1, 22 mars 2023, n° 21-16.044 

Contrat de prêt immobilier — Clause pénale — Directive 93/13 — Déséquilibre significatif 

 

EXTRAITS : 

« Ayant relevé que la clause stipulant une indemnité contractuelle de 7 %, prévoyait qu’elle était due au titre du capital restant dû et des intérêts échus et non payés et retenu qu’elle n’apparaissait pas manifestement disproportionnée en son montant, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir que la clause critiquée ne dérogeait pas aux dispositions du code de la consommation et que les emprunteurs ne démontraient pas qu’elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en a déduit à bon droit, sans être tenue de les suivre dans le détail de leur argumentation, que celle-ci n’était pas abusive. » 

ANALYSE : 

Un couple de consommateurs avait eu recours à un prêt immobilier contenant notamment une clause pénale prévoyant une indemnité contractuelle à hauteur de 7% du capital restant dû et des intérêts échus et non payés en cas de défaillance des consommateurs. Les consommateurs contestent l’application de cette clause en affirmant que cette dernière est abusive. Les juges du fond rejettent la qualification de la clause comme clause abusive au motif que celle-ci n’était pas manifestement disproportionnée en son montant et qu’elle ne dérogeait donc pas aux dispositions du Code de la consommation.  

La Première Chambre Civile approuve le raisonnement des juges du fond en affirmant que ladite clause ne dérogeait pas aux dispositions du code de la consommation. En effet, la stipulation était le reflet de l’article D. 312-16 du Code de la consommation qui autorise le prêteur à fixer cette indemnité à 8%. Elle n’était donc pas disproportionnée en son montant, et ne créait donc pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des consommateurs. La Cour rejette ainsi la qualification de la clause pénale comme abusive.  

Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.476 

Prêt libellé en devise étrangère – Contrat de prêt immobilier — Clause de déchéance du terme — Office du juge 

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :  

En statuant ainsi, sans examiner d’office le caractère abusif d’une telle clause autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d’une durée raisonnable, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 

ANALYSE : 

En l’espèce, une banque consent, par acte notarié, un prêt immobilier libellé en devise étrangère à une personne physique, garanti par une hypothèque et comportant une clause de soumission à l’exécution forcée immédiate. Survient un défaut de paiement des échéances du prêt, à la suite duquel, la banque délivre un commandement aux fins de vente forcée des biens hypothéqués. S’ensuit un jugement du tribunal de l’exécution forcée en matière immobilière ordonnant la vente forcée des immeubles garantis et fixant le montant de la créance de la banque. L’emprunteuse, considérant que la clause prévoyant l’exigibilité immédiate des sommes dues au titre du prêt peut être qualifiée comme étant abusive, forme un pourvoi.  

La Première Chambre civile de la Cour de cassation se fondant sur l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, rappelle la décision Pannon faisant obligation au juge national « d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet » et (CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08).  

Elle se fonde ensuite sur les critères permettant l’appréciation du caractère abusif d’une clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, dégagés par la CJUE dans sa décision Banco Primus (CJUE, 26 janvier 2017, aff. C-421/14). La CJUE avait en effet incité les juges à s’assurer, pour écarter le déséquilibre significatif, que la déchéance frappe l’inexécution d’une obligation « qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause », que l’inexécution revête un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de vérifier que le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt. 

 

La première chambre civile se fonde ensuite sur la décision Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest dans laquelle la CJUE a précisé que ces critères d’appréciation du caractère abusif de la clause de déchéance du terme ne sont compris « ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs mais [devant] être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné » (CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21). 

 

Cette jurisprudence européenne permet à la Cour de cassation d’afficher une sévérité à l’égard du prêteur quant à l’appréciation du caractère abusif d’une telle clause. Elle casse en effet l’arrêt rendu par la Cour d’appel qui avait ordonné la vente forcée de l’immeuble au motif que la clause litigieuse prévoyait une exigibilité immédiate des sommes dues en cas d’inexécution de l’emprunteur. La Haute juridiction reproche aux juges du fond de ne pas avoir examiné d’office le caractère abusif de la clause de déchéance du terme. Elle prend soin de préciser que ladite stipulation autorisait la banque à « exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d’une durée raisonnable ». Ces éléments laissent entrevoir que les critères posés par la décision Banco Primus, pour écarter le caractère abusif de la clause, faisaient défaut et que la clause créait donc un déséquilibre significatif.  

Voir également : 

-  CJUE, 4 juin 2019, Pannon, C-243/08 

CJUE, 26 janvier 2017, aff. C-421/14 

CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21 

Recommandation N°21-01 Contrats de crédit à la consommation : points 9 à 17 sur la déchéance du terme

Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.044 

Contrat de prêt immobilier — Clause de déchéance du terme — Directive 93/13— Aggravation des conditions de remboursement —  

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 :  

  1. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. 
  2. Par arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l’article 3, paragraphe 1 de la directive 93/13 devait être interprété en ce sens que s’agissant de l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d’examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt. 
  3. Par arrêt du 8 décembre 2022 (C-600/21), elle a dit pour droit que l’arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu’il dégageait pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle. 
  4. Pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l’emprunteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur date ou de toute somme avancée par le prêteur, l’arrêt retient que la déchéance du terme a été prononcée après une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont les emprunteurs disposaient pour y faire obstacle et que la clause prévoyait la sanction du non-respect de l’obligation principale du contrat de prêt, conformément au mécanisme de la clause résolutoire. 
  5. En statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

ANALYSE : 

Un couple de consommateurs avait eu recours à un prêt immobilier contenant notamment une clause de déchéance du terme. Cette clause prévoyait un délai de 8 jours pour contester la mesure à compter de la mise en demeure. A la suite d’un impayé, la société prêteuse invoquait alors la déchéance du terme et avait donc engagé une procédure d’exécution forcée sur des biens des consommateurs. Les consommateurs contestent l’application de cette clause en affirmant que cette dernière est abusive. Les juges du fond rejettent le caractère abusif de la clause de déchéance de terme au motif que celle-ci avait été invoquée après une mise en demeure restée sans effet et précisant le délai dans lequel les consommateurs pouvaient y faire obstacle.  

La Première Chambre Civile, se fondant sur les critères d’appréciation de la déchéance du terme posés par la décision Banco Primus, puis précisés par la décision Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest (rendue sur question préjudicielle de la Cour de cassation)  casse la décision des juges du fond. Selon la Première Chambre Civile, ladite clause ne contenait pas un préavis d’une durée raisonnable, créant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des consommateurs qui se voyaient ainsi exposés à une aggravation soudaine de leurs conditions de remboursement. C’est donc le caractère insuffisant du délai qui est ici sanctionné par la Cour de cassation. De façon plus générale, l’article R.212-4° du code de la consommation présume abusive de façon simple la clause qui reconnaît au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable. 

 

Voir également : 

-  CJUE, 26 janvier 2017, C-421/14 

CJUE, 8 décembre 2022, C-600/21 

Cass. civ. 1ère, 1 mars 2023, n° 21-20.260 

 

Contrats de prêt immobilier – Prêt libellé en devise étrangère (franc suisse) – Consommateur moyen – Objet du contrat – Remboursement en devise étrangère 

 

EXTRAITS : 

«Après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » relatives à l’objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu’il n’existait aucun risque de change, la cour d’appel en a exactement déduit, (…), que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif ». 

 » 

 

ANALYSE : 

Les juges du fond étaient saisis d’un litige concernant le caractère abusif des clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » de deux prêts immobiliers libellés et remboursables en francs suisses consentis par une banque suisse à des emprunteurs, résidents français percevant des revenus en francs suisses.  

 

Les juges du fond ont considéré que ces clauses relevaient de l’objet principal du contrat. Par conséquent l’appréciation de leur caractère abusif était subordonnée au défaut de clarté et d’intelligibilité entendue de manière extensive lorsqu’il s’agit de prêts en devises (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance). 

 
Cependant ils sont approuvés par la Cour de cassation pour avoir jugé que les clauses étaient parfaitement claires et qu’elles ne présentaient pas un caractère abusif.  

La solution est donc différente de celle des arrêts rendus dans le sillage de l’affaire BNP Paribas Personal Finance.  

 

Cela s’explique par la spécificité des prêts en cause dans la présente affaire. Contrairement aux affaires Helvet Immo où les prêts étaient libellés en francs suisse et remboursables en euros, ici les prêts sont libellés en francs suisse, remboursables en francs suisse et en outre le consommateur perçoit son salaire dans la devise de remboursement. Par conséquent, le consommateur ne subit aucun risque de change. La clause exposant les conditions de remboursement ne peut être considérée comme abusive.