Cour de cassation
Dans un prêt libellé en devise étrangère, l’information du professionnel doit permettre au consommateur de comprendre les risques sur ses obligations financières

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720

Mots-clés : Devoir d’information du professionnel, exigence de transparence, clause abusive, information exacte et suffisante.  

  

EXTRAIT :  

« En statuant ainsi, sans constater que le professionnel avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée des contrats, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ceux-ci percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel a violé́ le texte susvisé́. » 

  

  

ANALYSE : 

Dans cet arrêt, la Première chambre civile de la Cour de cassation rappelle un critère d’appréciation du caractère abusif d’une clause dans un prêt libellé en devise étrangère, celui du devoir d’information exact et suffisant du professionnel envers le consommateur des risques liés au remboursement d’un tel prêt. 

  

En l’espèce, en 2004, des emprunteurs ont contracté auprès d’une banque deux prêts immobiliers libellés en francs suisses et remboursables selon des taux d’intérêts variables indexés sur l’indice Libor trois mois. Le 26 avril 2016, les emprunteurs assignent la banque en responsabilité pour son manquement à son devoir d’information et en constatation du caractère abusif de certaines clauses relatives aux modalités de remboursement des contrats de prêt libellés en devise étrangère.  

La Cour d’appel rejette la demande des emprunteurs à réputer non écrites (et donc écarte l’application de la réglementation des clauses abusives) les clauses des contrats de prêt relatives aux modalités de remboursement de ceux-ci et aux possibilités de conversion en euro des prêts souscrit en franc suisse. Elle retient que la description du mécanisme permettant le paiement des échéances était suffisamment claire pour alerter les emprunteurs et qu’en tout état de cause, ceux-ci ne pouvaient pas ignorer les risques de leur préjudice au moment de la conclusion du contrat. Aussi, elle appuie sa position en rappelant que l’attestation annexée au prêt donnée par la banque, attestant de la connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse, a bien été signée par les emprunteurs. Ainsi, ceux-ci ne peuvent prétendre que les clauses litigieuses relatives aux modalités de remboursement sont abusives au sens de l’article L132-1 ancien du code de la consommation.  

  

La Cour de cassation casse l’arrêt en se fondant sur l’arrêt du 10 juin 2021 BNP Paribas Personal Finance, par lequel la CJUE, a fait peser sur le professionnel un devoir d’information l’obligeant à donner les informations exactes et suffisantes lui permettant d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des obligations financières pendant toute la durée du contrat.  

Le devoir du professionnel, ici le banquier, ne saurait alors, contrairement à ce qu’a jugé la Cour d’appel, se résumer à la simple description des mécanismes de remboursement. Ce raisonnement qui se fonde sur un principe étendu de la transparence matérielle de clause rappelé dans la décision du 30 mars 2022 (pourvoi n° 19-17.996). est issu notamment de la décision Kásler et Kaslerné Rabai (CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler) dans laquelle la Cour de justice avait explicité l’exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses. L’attestation de la connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse ne suffit pas à répondre aux exigences posées par la CJUE dans la mesure où elle ne fait pas état des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des obligations financières pendant toute la durée du contrat dans l’hypothèse d’une dépréciation de la monnaie.  

 

La cassation, au visa de l’article L. 1-1 du code de la consommation, montre que, conformément à la jurisprudence BNP Paribas de la CJUE, le non-respect du professionnel de son obligation de transparence, qui est donc ici caractérisé, peut avoir pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur. 

 

Voir également. 

CJUE, 1re ch, 10 juin 2021 aff. C-776/19 

Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996  

CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler 

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720