Cour d’appel de Paris, 3 octobre 2024, n° 23/09926 

commandement de payer aux fins de saisie vente – signification du commandement de payer – mainlevée de la saisie attribution – clauses abusives – titre dont l’exécution est poursuivie – mesures d’exécution forcée – 

 

EXTRAITS  

« […] l’arrêt de la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation en date du 8 février 2023 (P. N° 21-17.763) […] outre qu’il concerne bien, contrairement à ce qui est soutenu, l’exécution d’une décision de justice, en l’espèce, l’ordonnance d’un juge-commissaire, revêtue de l’autorité de la chose jugée, n’opère aucune distinction suivant la nature du titre dont l’exécution est poursuivie. ». 

 

 

ANALYSE   

En l’espèce, un emprunteur a été condamné par une ordonnance d’injonction de payer sur le fondement d’un contrat de crédit. En exécution de ce titre, la société Eos France a fait pratiquer une saisie-attribution à l’encontre de l’emprunteur. Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a ordonné la mainlevée partielle de la saisie-attribution. L’emprunteur a interjeté appel de la décision. La société Eos a formé un appel incident par voie de conclusion. 

Dans ses conclusions récapitulatives, l’emprunteur demande de déclarer abusives les clauses contractuelles du contrat de crédit relatives au TAEG, aux intérêts de retards et de déchéance du terme.  

L’emprunteur se fonde sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’U.E, l’arrêt de la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation en date du 8 février 2023 (P.N° 21-17.763), l’article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil de 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et l’article L.212-1 du Code de la consommation et soutient, en substance, que le juge de l’exécution à la demande d’une partie ou des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen, dans le contrat de crédit, qu’en l’espèce, le jugement attaqué n’a pas statué sur l’existence des clauses abusives contenues dans le contrat de crédit.  

La société Eos lui oppose, de première part, le fait que l’arrêt du 8 février 2023 n’a pas vocation à s’appliquer aux situations antérieures car, au regard de l’article 6-1 de la CEDH, l’application d’une nouvelle règle jurisprudentielle dans l’instance en cours aboutirait à priver une partie, en l’occurrence le prêteur, d’un procès équitable, principe à valeur constitutionnelle, de deuxième part, qu’il concerne l’exécution d’un titre notarié et non d’une décision de justice, de troisième part, qu’en application des dispositions de l’article R 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution, de quatrième part, qu’il convient de tenir compte du comportement du consommateur et de sa passivité au cours de la procédure et durant l’exécution et que l’emprunteur n’a jamais contesté le titre exécutoire ni manifesté de moyens de défense, qu’il ne produit pas le contrat et les clauses qu’il estime abusives, que généraliser la solution résultant de l’arrêt du 8 février 2023 entraînerait nécessairement la responsabilité de l’état français pour fonctionnement défectueux de la justice. 

La Cour d’appel de Paris a jugé d’abord que : « le principe posé par l’arrêt du 8 février 2023 n’est pas de nature à priver une partie de son droit à un procès équitable puisque, bien au contraire, il tend à ce que soit examiné par un juge le caractère abusif ou non des clauses d’un contrat. »  Ensuite, elle a ajouté que l’arrêt du 8 février 2023 : « […] outre qu’il concerne bien, contrairement à ce qui est soutenu, l’exécution d’une décision de justice, en l’espèce, l’ordonnance d’un juge-commissaire, revêtue de l’autorité de la chose jugée, n’opère aucune distinction suivant la nature du titre dont l’exécution est poursuivie. ».En troisième lieu, elle affirme que: « s’il résulte de l’article R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution que le juge de l’exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution, ni, hors les cas prévus par la loi, statuer sur une demande en paiement, il peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive, et, dès lors, est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d’exécution forcée dont il est saisi et de tirer ensuite toutes les conséquences de l’évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d’exécution dont il est saisi. ». En dernier lieu, la cour d’appel de Paris a précisé que le seul fait que l’emprunteur : « […] n’a formé ni opposition à l’ordonnance d’injonction de payer ni recours à l’encontre des tentatives d’exécution de cette décision est insuffisant à caractériser un comportement dispensant le juge de l’exécution de son obligation de vérifier d’office le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles sur le fondement desquelles a été obtenue l’ordonnance. » 

 

 

Voir égal. Cass. com., 8 février 2023, n° 21-17.763 

Tribunal Judiciaire de Paris, Service du Juge de l’éxécution, 11 janvier 2024, RG 23/00185 

 

– contrat de crédit – déchéance du terme – mise en demeure – saisie immobilière – acte notarié 

 

EXTRAIT 

(…) la directive de 1993 ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un notaire ayant établi, dans le respect des exigences formelles, un acte authentique concernant un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de procéder à l’apposition de la formule exécutoire sur ledit acte ou de refuser de procéder à sa suppression alors que, ni à un stade ni à un autre, un contrôle du caractère abusif des clauses dudit contrat n’a été effectué (CJUE, Ier octobre 2015, C-32/15, sur question préjudicielle hongroise). 

Tel est le cas en France, où la loi n’impose pas au notaire de s’assurer de l’absence de clauses abusives dans les contrats qu’il reçoit en la forme authentique. 

(…) le prêt stipule à la rubrique « Exigibilité immédiate », §1, p. 18, que le contrat est résilié et que les sommes dues deviennent immédiatement exigibles, après mise en demeure de l’emprunteur restée infructueuse dans le délai fixé par ce courrier pour remédier à l’inexécution contractuelle au cas, notamment, de retard de paiement d’une échéance durant plus de 30 jours.  

En ce qu’elle laisse à l’entière appréciation du prêteur le délai séparant la mise en demeure de la résiliation du contrat, cette clause comporte un déséquilibre significatif des droits et obligations respectives du professionnel et du consommateur, au détriment du second». 

 

ANALYSE 

Une banque a consenti à un consommateur deux prêts par actes notariés, destinés au refinancement de sa résidence principale. Sur le fondement de ces deux actes authentiques, la banque a saisi les droits réels de l’emprunteur sur un immeuble au 110 boulevard de la Chapelle et 4 rue des Islettes à Paris. La banque a assigné l’emprunteur en orientation pour vente forcée du bien saisi et fixation de sa créance. L’emprunteur a contesté la validité des clauses des contrats de prêt et a demandé l’annulation de la procédure de saisie immobilière. 

 

Le juge de l’exécution commence par énoncer qu’en vertu de la jurisprudence de la CJUE, il  est, d’une manière générale, au stade de l’exécution forcée d’un quelconque titre exécutoire, nonobstant l’autorité de chose jugée pouvant lui être attachée, tenu d ‘examiner d ‘office le caractère abusif des clauses du contrat ayant donné lieu à I ‘émission ou à la constitution de ce titre, pourvu qu’il dispose des éléments de droit et de fait permettant cet examen, au premier chef desquels le contrat.  

 

Il rappelle ensuite que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a reconnu au juge de l’exécution le pouvoir de statuer sur la nullité d’un engagement résultant d ‘un acte notarié (Cass. 2e Civ. , 18 juin 2009, n 08-10.843, publié). Il en déduit que « pouvant annuler toute clause d’un contrat passé en la forme authentique fondant les poursuites, le juge de l’exécution peut aussi dire qu’une telle clause est réputée non écrite comme abusive et en tirer les conséquences ». Il observe que cette solution est d’autant plus nécessaire que « la directive de 1993 ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un notaire ayant établi, dans le respect des exigences formelles, un acte authentique concernant un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de procéder à l’apposition de la formule exécutoire sur ledit acte ou de refuser de procéder à sa suppression alors que, ni à un stade ni à un autre, un contrôle du caractère abusif des clauses dudit contrat n’a été effectué (CJUE, Ier octobre 2015, C-32/15, sur question préjudicielle hongroise) ». Il remarque que « tel est le cas en France, où la loi n’impose pas au notaire de s’assurer de l’absence de clauses abusives dans les contrats qu’il reçoit en la forme authentique ». 

 

S’étant reconnu compétent pour juger du caractère abusif de la clause d’un prêt notarié, le juge de l’exécution analyse la stipulation du contrat de prêt aux termes de laquelle « le contrat est résilié et (…) les sommes dues deviennent immédiatement exigibles, après mise en demeure de l’emprunteur restée infructueuse dans le délai fixé par ce courrier pour remédier à l’inexécution contractuelle au cas, notamment, de retard de paiement d’une échéance durant plus de 30 jours ». Il juge qu’ « en ce qu’elle laisse à l’entière appréciation du prêteur le délai séparant la mise en demeure de la résiliation du contrat, cette clause comporte un déséquilibre significatif des droits et obligations respectives du professionnel et du consommateur, au détriment du second ». 

 

Il déduit du caractère non écrit de cette clause que « la déchéance du terme est rétroactivement privée de fondement juridique et que le contrat de prêt, selon le tableau d’amortissement annexé au contrat authentique, est toujours en cours. De là, seule est exigible, partant susceptible d’exécution forcée, la somme correspondant aux échéances mensuelles impayées prévues à ce tableau d’ amortissement, à I ‘ exclusion du capital restant dû et des pénalités contractuelles ». 

 

Ayant recalculé la créance de la banque, il observe que celle-ci est fondée à poursuivre le recouvrement de ses créances exigibles par voie de saisie immobilière et qu’il n’y a lieu ni d’annuler la procédure ni de radier le commandement. 

COUR D’APPEL DE PARIS, 19 Avril 2023, RG 19/19454 

– contrat de crédit immobilier – clause d’indexation – clause abusive – clause illicite –restitution 

 

EXTRAITS  

« c’est à juste titre que les emprunteurs font valoir que la conséquence du caractère non écrit d’un contrat dans son ensemble impose de considérer qu’il n’a jamais existé, que l’emprunteur doit être replacé dans la situation dans laquelle il aurait été en l’absence de telles clauses qui, si elles ont imposé un paiement devenu indu entraîne sa restitution et que ce droit à restitution, comparable, en droit interne, à celui issu des effets de l’annulation d’un contrat, naît de la reconnaissance du caractère abusif des clauses 

considérées. ». 

  

 

ANALYSE :  

 

La Cour d’appel de Paris (CA ci-après) a été saisie par deux consommateurs ayant conclu un contrat de crédit immobilier avec la société Union de Crédit pour le Bâtiment (ci-après UCB). Dans le contrat, il était stipulé des clauses prévoyant que la monnaie de compte était le franc suisse et la monnaie de paiement, l’euro. Le risque de change pesait sur les emprunteurs. Par assignation délivrée le 23 décembre 2015 à la société BNP Paribas Personal Finance venant aux droits de l’UCB, les consommateurs ont demandé la nullité de la stipulation conventionnelle d’intérêt ainsi que la restitution des intérêts indûment perçus et l’application de l’intérêt légal pour l’avenir au tribunal de grande instance de Paris. Le 4 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Paris a jugé les demandes irrecevables en raison de la prescription. Suite à un sursis à statuer ordonné par le conseiller de la mise en état le 4 janvier 2022 en attente d’arrêt à intervenir de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 24 mars 2022, 30 mars 2022 et 20 avril 2022), les consommateurs ont sollicité la constatation de la survenance de la cause du sursis le 20 avril 2022 et ont saisi la CA de Paris le 1er juillet 2022. 

 

La CA de Paris a considéré que les clauses litigieuses étaient abusives. Elle a ainsi décidé que ces clauses devaient donc être réputées non écrites. Conformément à la jurisprudence de la CJUE, elle a considéré que l’action en restitution pouvait être soumise à un délai de prescription de 5 ans à compter de la date où le titulaire a eu connaissance de ses droits et qu’en l’occurrence le délai n’était pas prescrit puisque celui-ci court à compter de la reconnaissance du caractère abusif des clauses.  

Pour fixer le montant des restitutions, la Cour juge que la conséquence du caractère non écrit d’un contrat dans son ensemble « impose de considérer qu’il n’a jamais existé, que l’emprunteur doit être replacé dans la situation dans laquelle il aurait été en l’absence de telles clauses qui, si elles ont imposé un paiement devenu indu entraîne sa restitution et que ce droit à restitution, comparable, en droit interne, à celui issu des effets de l’annulation d’un contrat, naît de la reconnaissance du caractère abusif des clauses considérées. ». Elle approuve la demande des emprunteurs considérant qu’il convient de restituer la contrevaleur en euros des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements 

 

 

Voir égal.  

Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°22-17.030 

 CA Douai, 19 octobre 2023, RG 22/01024

CJUE, 16 mars 2023, aff. C-565/21 – Caixabank SA c/ X 

  

– Contrat de crédit – Commission d’ouverture – Déséquilibre significatif – 

  

EXTRAIT  

  

« L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que : il ne s’oppose pas à une jurisprudence nationale qui considère qu’une clause contractuelle prévoyant, conformément à la réglementation nationale pertinente, le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture destinée à rémunérer les services liés à l’examen, à la constitution et au traitement personnalisé d’une demande de prêt ou de crédit hypothécaire, peut, le cas échéant, ne pas créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, à condition que l’existence éventuelle d’un tel déséquilibre fasse l’objet d’un contrôle effectif de la part du juge compétent, conformément aux critères issus de la jurisprudence de la Cour. » 

 

 

ANALYSE   

  

En vertu de l’article 3 § 1 de la directive 93/13, « une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». 

Or, la règle susvisée permet-elle à une jurisprudence nationale de considérer qu’une clause prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture ne crée pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ? Telle est l’une des questions posées à la Cour dans cette affaire, qui a également tranché le point de savoir si la commmission d’ouverture porte sur l’objet principal du contrat (La clause prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture dans un contrat de crédit ne relève pas de l’objet principal du contrat) une fois qu’elle sera en ligne) et comment doit s’apprécier le défaut de clarté d’une prestation accessoire (Le caractère compréhensible d’une clause de commission d’ouverture suppose que l’emprunteur soit mis en mesure d’en évaluer les conséquences économiques).  

La Cour rappelle que l’existence d’un déséquilibre significatif ne s’apprécie pas uniquement du point de vue économique, par une comparaison entre le montant total de l’opération contractuelle et les coûts pesant sur le consommateur du fait de la clause litigieuse. Le déséquilibre peut résulter aussi d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique du consommateur (voir en ce sens arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, point 51).  

Le contrôle du juge en la matière doit être concret : il doit tenir compte par exemple de la nature des biens ou services relevant de l’objet du contrat et de toutes les circonstances entourant sa conclusion (voir en ce sens arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19, point 76). La Cour ajoute que ce contrôle concret du juge national doit s’appliquer également à la clause du contrat de crédit prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture, pour savoir si elle entraîne ou pas un déséquilibre significatif au détriment du consommateur. Au regard des documents contractuels remis au consommateur, le juge national doit vérifier notamment si les services fournis en contrepartie du paiement de cette commission relèvent réellement de l’examen, de la constitution et du traitement personnalisé de la demande de crédit ; il doit également vérifier s’il y a ou pas une disproportion entre la commission payée par le consommateur et le montant total de l’emprunt souscrit (voir en ce sens le point 59).  

C’est seulement après cette évaluation préalable que la jurisprudence nationale peut considérer qu’une clause prévoyant une commission d’ouverture ne crée pas de déséquilibre significatif au détriment du consommateur, et donc qu’elle n’est pas abusive. N’est pas admissible une jurisprudence nationale énonçant qu’une telle clause est insusceptible d’être abusive du seul fait qu’elle a pour objet des services inhérents à l’activité du prêteur, sans appréciation concrète.  

La jurisprudence nationale peut donc considérer qu’une clause d’un contrat de crédit prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture n’est pas abusive, à condition d’avoir effectué au préalable une évaluation concrète de cette clause.   

 

 

Voir également :