Cour de cassation
Le juge de l’exécution peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive

Cass. civ. 2ème, 11 juillet 2024, n° 24-70.001

Cass civ 2ème, 11 juillet 2024, n°24-70.001

Juge de l’exécution –– clause abusive – office du juge – compétence – Difficultés relatives aux titres exécutoires 

 

EXTRAITS : 

« II. La constatation par le juge de l’exécution du caractère réputé non écrit d’une clause abusive 

  1. L’application du droit de l’Union européenne implique que le juge de l’exécution qui retient le caractère abusif d’une clause, doit, en application du principe d’effectivité, en tirer toutes les conséquences et la réputer non écrite. Il doit ressortir de l’ensemble de sa décision qu’il a procédé à cet examen.
  2. La jurisprudence de la CJUE n’impose pas au juge de l’exécution d’indiquer dans le dispositif de sa décision un chef de dispositif réputant la clause non écrite. Elle ne le prohibe pas non plus.
  3. Il convient, dès lors, d’appliquer les règles de droit interne de procédure civile.
  4. Il en résulte que le juge de l’exécution peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive. » 

 

ANALYSE : 

Dans cette décision, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation répond à une demande d’avis formée le 11 janvier 2024 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris (TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS, 11 JANVIER 2024, N°RG 20/81791). Plusieurs questions se posaient.  

Premièrement, il était question de savoir si le juge de l’exécution pouvait, dans le dispositif de son jugement, déclarer réputée non écrite comme abusive la clause d’un contrat de consommation ayant donné lieu à la décision de justice fondant les poursuites. 

En cas de réponse positive, se posait la question de savoir si lorsque cette clause a pour objet la déchéance du terme, le juge de l’exécution pouvait annuler cette décision ou la dire privée de fondement juridique notamment lorsque l’exigibilité de la créance était la condition de sa délivrance. En outre, se posait la question de savoir si le juge de l’exécution pouvait modifier cette décision de justice, en décidant qu’elle est en tout ou partie insusceptible d’exécution forcée. 

Pour répondre à ces questions, la Cour de cassation s’est fondée sur la jurisprudence rendue par la CJUE en la matière, notamment sur son célèbre Simmenthal rendu le 9 mars 1978 (affaire 106/77) duquel découle une obligation pour le juge national d’appliquer le droit communautaire et de laisser inappliquée toute disposition qui empêcherait le particulier de se prévaloir de ses droits issus du droit communautaire.  

La deuxième chambre civile rappelle que le juge de l’exécution a l’obligation de relever d’office les clauses abusives dans un contrat de consommation, et ce même en présence d’une injonction de payer ou d’une décision ayant force de chose jugée (Cass. com., 8 février 2023, n° 21-17.763 et Cass. civ. 2ème, 13 avril 2023, n° 21-14.540).  

Concernant la première question relative à la compétence du juge de l’exécution pour constater le caractère réputé non écrit d’une clause abusive, la Cour retient qu’il doit tirer les conséquences du caractère abusif de la clause mais que la jurisprudence de la CJUE n’exige pas de lui qu’il indique, dans le dispositif sa décision, que la clause est réputée non écrite. En conséquence, la deuxième chambre civile, tirant parti du principe de l’autonomie procédurale.  Retient, que le juge de l’exécution peut constater le caractère réputé non écrit d’une clause abusive dans son dispositif. 

Sur la question des conséquences de la constatation par le juge de l’exécution du caractère abusif d’une clause, lorsque le titre exécutoire est une décision juridictionnelle, la Cour retient, en application de la jurisprudence européenne, que le consommateur doit être replacé dans une situation, en droit et en fait, qui aurait été la sienne en l’absence de cette clause. En application du droit français, et notamment de l’article R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution, elle affirme que le juge de l’exécution qui répute non écrite une clause abusive, ne peut pas annuler ou modifier le titre exécutoire, ni statuer sur une demande en paiement. Cependant, la Cour de cassation apporte une atténuation liér à la circonstance que le titre exécutoire se trouve privé d’effet en raison du réputé non écrit de la clause abusive. A raison de la perte de ce fondement juridique, le juge de l’exécution doit calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d’exécution forcée dont il est saisi. 

 Ainsi, le juge de l’exécution, qui a l’obligation de relever d’office les clauses abusives, peut constater dans le dispositif de sa décision le caractère réputé non écrit de telles clauses. En revanche il ne pourra pas annuler ou modifier le titre exécutoire qui commande l’exécution du contrat contenant ces clauses. Il ne pourra pas non plus statuer sur une demande en paiement. Il devra cependant tirer toutes les conséquences possibles du nouveau calcul de la créance, notamment sur le sort des mesures d’exécution dont il est saisi.  

 

Voir également :  

CJUE, 9 mars 1978, Simmenthal, affaire 106/77   

CJUE, 26 janvier 2017, C-421/14 – Banco Primus  

CJUE, 18 janvier 2024, aff. C-531/22 – Getin Noble Bank E.A  

Cass. civ. 2ème, 13 avril 2023, n° 21-14.540