Le juge de l’exécution sollicite l’avis de la Cour de cassation sur son office en présence d’une clause de déchéance du terme abusive

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS, 11 JANVIER 2024, N°RG 20/81791

Tribunal Judiciaire de Paris, 11 janvier 2024, n° RG 20/81791 

Clause abusive – juge de l’exécution – demande d’avis – clauses de déchéance du terme – contrats de consommation 

 

EXTRAITS : 

 

« En l’espèce, le contrat signé par Mme Z le 30 janvier 1998 a été produit ; en son article 4, il stipule qu’en cas de défaillance de l’emprunteur dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés, outre une indemnité de résiliation égale au plus à 8% du capital dû. 

 

Cette formulation reconnaît au prêteur la possibilité de résilier le contrat sans préavis. 
L’exigibilité de la créance résultant du jeu de cette clause était la condition légale du recours à la procédure d’injonction de payer. 

 

Or l’ordonnance portant injonction de payer du 12 novembre 2003 fondant les poursuites est désormais irrévocable, le juge des contentieux de la protection ayant, le 8 octobre 2021, déclaré irrecevable comme tardive l’opposition formée par Mme Z ; elle produit tous les effets d’un jugement contradictoire par lequel, en accueillant la requête du prêteur pour la totalité des sommes dues après déchéance du terme, le juge d’instance a nécessairement jugé que toutes les sommes réclamées au titre du contrat, en particulier le capital restant dû et l’indemnité de résiliation, étaient exigibles. 

 

S’il entre désormais assurément dans les pouvoirs du juge de l’exécution de dire abusive une clause de déchéance du terme telle que celle figurant au contrat du 30 janvier 1998, les arrêts rendus par la Cour de cassation en février et en mars 2023 ne permettent pas de déterminer si le juge de l’exécution doit statuer ainsi dans le dispositif de son jugement lorsque le titre fondant les poursuites est une décision judiciaire équivalente à un jugement contradictoire ni surtout, dans l’affirmative, quelles conséquences doivent en être tirées. » 

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, le 30 janvier 1998, une ouverture de crédit est souscrite par un emprunteur auprès d’une société. Le 12 novembre 2003, le juge d’instance du XIVe arrondissement de Paris a fait injonction à cet emprunteur de payer diverses sommes au titre du crédit du 30 janvier 1998 à la société, société qui, le 1er avril 2010, est absorbée par une autre qui cède sa créance sur cet emprunteur le 28 juillet 2017 à la société EOS Credirect, aujourd’hui EOS France. Le 17 janvier 2019, la société EOS France fait délivrer à l’emprunteur, sur le fondement de l’ordonnance d’injonction de payer, un commandement de payer aux fins de saisie-vente ; puis, le 19 octobre 2020, lui a dénoncé un procès-verbal d’indisponibilité du certificat d’immatriculation de son véhicule. Le 9 novembre 2020, l’emprunteur forme opposition à l’ordonnance portant injonction de payer. Le 18 novembre 2020, l’emprunteur assigne la société EOS France devant le juge de l’exécution. Le 24 février 2021, ce juge sursoit à statuer dans l’attente de la décision à intervenir sur l’opposition à injonction de payer. Le 8 octobre 2021, le juge des contentieux de la protection du TJ de Paris l’a déclarée irrecevable. Le 28 août 2023, les parties sont convoquées à une nouvelle audience. L’emprunteur demande au juge de l’exécution de notamment dire abusive et réputée non écrite la clause de déchéance du terme n°4 du contrat du 30 janvier 1998. 

 

Le tribunal rappelle que, en droit commun, si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle (1ère Civ, 3 juin 2015, n°14-15.655). 

 

Le tribunal rappelle que selon l’article R.212-2 du code de la consommation, est présumée abusive la clause qui a pour objet ou pour effet de : 
4° Reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable. 

 

Le tribunal rappelle ensuite la solution posée par l’arrêt Banco Primus du 26 janvier 2017 (C-421/14) dans laquelle la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) pose des critères permettant d’apprécier le caractère abusif d’une clause de déchéance du terme dans un contrat, critères ni cumulatifs ni alternatifs (CJUE, 8 décembre 2022, C-600/21). 

Le tribunal rappelle que le 22 mars 2023, dans le prolongement de cette jurisprudence, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a décidé qu’était abusive comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la clause d’un contrat de prêt prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable (Cass. civ. 1ère, 22.03.2023, n°21-16.044), rappelant dans un arrêt du même jour (Cass. civ. 1ère, 22.03.2023, n°21-16.476) qu’il incombait au juge d’examiner d’office l’existence d’un tel abus. Dans l’une de ces affaires (n° 21-16.476), la déchéance du terme était stipulée acquise immédiatement, sans mise en demeure préalable, en cas défaut de paiement d’une des échéances du prêt à sa date, dans l’autre (n° 21-16.044), acquise de plein droit huit jours après mise en demeure. 

 

Le juge de l’exécution énonce qu’il entre désormais dans les pouvoirs du juge de l’exécution de dire abusive une clause de déchéance du terme telle que celle figurant au contrat du 30 janvier 1998. Néanmoins, il constate que les arrêts rendus par la Cour de cassation en février et en mars 2023 ne permettent pas de déterminer si le juge de l’exécution doit statuer ainsi dans le dispositif de son jugement lorsque le titre fondant les poursuites est une décision judiciaire équivalente à un jugement contradictoire ni surtout, dans l’affirmative, quelles conséquences doivent en être tirées. C’est la raison pour laquelle en l’espèce, le juge de l’exécution sollicite l’avis de la Cour de cassation sur la question de savoir s’il peut, dans le dispositif de son jugement, déclarer réputée non écrite comme abusive la clause d’un contrat de consommation ayant donné lieu à la décision de justice fondant les poursuites. Question qui, si sa réponse est affirmative, pose la question des effets de cette réponse : le jugement antérieur disparaît-il ainsi que l’interruption de prescription et le nouveau délai de prescription ? Quel juge sera compétent pour rejuger de la créance ? 

 

Pour conclure on relèvera que ces importantes questions pour avis ont été posées par M. Cyril Roth (1er vice-président adjoint, juge de l’exécution par délégation du Président du TJ de Paris) qui a été vice-président de la Commission des clauses abusives. 

Voir également :

Cass. civ. 1ère, 22.03.2023, n°21-16.044

Cass. civ. 1ère, 22.03.2023, n°21-16-476