Cour de cassation
Le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause

Cass. civ. 2ème, 13 avril 2023, n° 21-14.540

Cass. civ. 2ème , 13 avril 2023, n° 21-14.540 

Acte de prêt notarié – prêt libellé en francs suisses – clause abusive – office du juge – autorité de la chose jugée -juge de l’exécution 

 

EXTRAITS : 

« Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993
concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation. 

[…] 

Il résulte de ce qui précède que, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d’un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen, et pour autant qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’examiner d’office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif. » 

 

ANALYSE : 

Dans une très importante décision, promise au Rapport annuel, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation étend l’obligation de relever d’office des clauses abusives qui pèse sur le juge national aux frontières des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée. 

 

Un prêt libellé en devises étrangères a été effectué le 25 juin 2008 par acte notarié. Le 11 octobre 2013 a été délivré, par le prêteur, un commandement de payer valant saisie immobilière sur le bien immobilier objet du prêt.  

Le 10 juillet 2014, le juge de l’exécution a fixé le montant de la créance et ordonné la vente forcée du bien. A la suite de la vente en 2015, la banque a fait pratiquer, le 4 septembre 2018, une saisie attribution sur les comptes de l’emprunteur afin d’obtenir le paiement du solde du prêt. Une contestation de la part de l’emprunteur a alors été formée devant le juge de l’exécution. Les demandes de l’emprunteur ayant été refusées, il forme un pourvoi en cassation en invoquant notamment l’obligation de relever d’office le caractère abusif des clauses d’un contrat. La banque conteste la recevabilité du moyen, les poursuites n’étant pas fondées sur le contrat de prêt notarié mais sur un jugement doté de l’autorité de la chose jugée, s’étant substitué au contrat. 

La Cour de cassation écarte cependant le grief au motif que le moyen, en ce qu’il invoque l’obligation pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle, est né de la décision attaquée. 

Sur le fond, la 2ème chambre civile vient faire application du droit de l’Union Européenne en rappelant, premièrement, que la législation européenne enjoint aux Etats membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et que, deuxièmement, le juge a l’obligation de relever d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans les contrats opposant un consommateur à un professionnel (CJCE, 4 Juin 2009, C-243/08, Pannon).  

Elle rappelle ensuite la jurisprudence de la CJUE quant à la portée du relevé d’office en présence d’un jugement doté de l’autorité de la chose jugée. A cet égard, la Cour de justice considère que la directive 93/13 ne s’oppose pas à une législation nationale qui écarte l’obligation de relever d’office le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles lorsqu’une procédure hypothécaire a complètement été réalisée. Cependant, l’interdiction du relevé d’office suppose que le consommateur a pu tout de même faire valoir ses droits dans une procédure subséquente (CJUE, 17 mai 2022,C-600/19, Ibercaja Banco). 

Elle en déduit que lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d’un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen. 

 

Or, en l’espèce la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée n’avait pas procédé à l’examen des clauses abusives. Certes, comme le rappelle la Cour de cassation, l’examen d’office du caractère abusif des clauses suppose que le juge dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (C. consom., art. R. 632-1, al. 2). Cependant, les éléments étaient ici réunis. Ils résultent de la jurisprudence de la CJUE caractérisant le déséquilibre significatif dans les contrats de prêts libellés en devise étrangère (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas, aff. C-776/19 à C-782/19).  

La deuxième chambre civile prend soin à cet égard d’observer que sur le fondement de cet arrêt de la CJUE, « la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui, statuant dans un litige portant sur un contrat de prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, a dit que la clause de monnaie de compte ne présentait pas un caractère abusif (1re Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.600) ».  

Elle en déduit donc que dans la présente affaire, la cour d’appel de Versailles disposait « des éléments de droit et de fait nécessaires » pour examiner d’office « si les clauses du prêt notarié libellé en devise étrangère, fondement de la saisie-attribution, revêtaient ou non un caractère abusif ». Elle casse donc l’arrêt qui a retenu que le quantum de la saisie attribution est justifié, sans avoir recherché si les clauses du contrat de prêt libellé en devises étrangères contenaient des clauses abusives.  

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