Cour de cassation
En dépit de l’autorité de la chose jugée, le juge de l’exécution est tenu d’apprécier le caractère abusif des clauses qui servent de fondement aux poursuites

Cass. com., 8 février 2023, n° 21-17.763

Cass. Com., 8 février 2023, N°21-17.763 

Contrat de prêt — Clause abusive — saisie immobilière –– autorité de la chose jugée – pouvoir du juge commissaire – relevé d’office 

 

EXTRAITS : 

« Il s’en déduit que l’autorité de la chose jugée d’une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d’une procédure collective, résultant de l’article 1355 du code civil et de l’article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l’obligation incombant au juge national de procéder à un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles. 

Il en découle que le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen » 

 

ANALYSE : 

Dans une très importante décision rendue après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l’article 1015-1 du code de procédure civile, promise au Rapport annuel et accompagnée d’une notice , la chambre commerciale de la Cour de cassation étend  à son tour l’obligation pour le juge de relever d’office les clauses abusives aux frontières des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée.  

L’affaire concernait un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel avait été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d’un prêt immobilier, qu’il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur.  

A l’occasion de la procédure de saisie immobilière du bien l’emprunteur avait soulevé à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution une contestation portant sur le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses de l’acte de prêt notarié. L’arrêt avait retenu que les décisions d’admission des créances avaient autorité de la chose jugée à l’égard du consommateur relativement aux créances qu’elles fixent. L’arrêt avait observé que le consommateur, convoqué à l’audience du juge-commissaire pour qu’il soit statué sur ses contestations, s’était présenté en la même qualité devant le juge de l’exécution statuant en saisie immobilière que devant le juge-commissaire, et avait relevé que, devant ce juge, le débiteur n’avait formulé aucune observation concernant la première créance et qu’il n’avait pas davantage contesté la seconde.  

 La décision est cassée sous le visa des articles 7, § 1, de la directive 93/13 et de l’article  L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation.  

La Cour de cassation confirme que la décision du juge commissaire ayant admis des créances au passif d’une procédure collective dispose en effet de l’autorité de la chose jugée. Cependant, elle énonce que ce principe ne doit en aucun cas vider de sa substance l’obligation reposant sur le juge national d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause. Elle en déduit que « le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites. Pour appuyer sa décision, la Chambre commerciale se fonde sur une série de décisions de la CJUE imposant au juge national un contrôle juridictionnel effectif des clauses abusives pour assurer l’effet utile de la directive, de telle sorte qu’une règle procédurale interne relative à l’autorité de la chose jugée ne puisse y faire obstacle (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, Banco Primus ; CJUE 4 juin 2020, aff. C-495/19, Kancelaria Médius ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-600/19, Ibercaja Banco ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-693/19, SPV « Project 503 Srl » aff. C-831/19, Banco di Desio e della Brianza). Autrement dit, en vertu du principe d’effectivité, un mécanisme national ne peut pas faire obstacle au droit européen. 

Elle apporte cependant une exception au principe posé dans l’hypothèse où « il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée » que le juge s’est livré à l’ examen du caractère éventuellement abusif des clauses. 

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