Cour d'appel
La Cour d’appel de Paris juge réputées non écrites les clauses d’un contrat HELVET IMMO et en tire les conséquences du point de vue des restitutions des sommes perçues par le prêteur

COUR D’APPEL DE DE PARIS, 22 MARS 2023, BNP PARIBAS, N° RG 23/05507

COUR D’APPEL DE DE PARIS, 22 MARS  2023, BNP PARIBAS, N° RG 23/05507 

 

Clauses de remboursement – clause d’indexation – déséquilibre significatif – réputé non écrit – prescription – restitutions –  

 

EXTRAIT :   

 

S’il résulte de ces stipulations une énonciation, compréhensible sur les plans formel et grammatical, des conditions et modalités d’exécution du prêt, il n’en reste pas moins qu’au-delà de cette description de ses caractéristiques – se voulant exhaustive sur le plan technique au prix d’une prise de connaissance de longues stipulations non dénuées de complexité -, les effets de l’évolution de la parité entre l’euro et le franc suisse n’y sont pas mis en relief ni même explicités en eux-mêmes de telle sorte que l’emprunteur puisse envisager concrètement l’impact économique, potentiellement significatif, d’une évolution défavorable de la parité des monnaies sur ses obligations et évaluer, en toute connaissance de cause, le risque auquel il accepte de s’exposer, le cas échéant.  

[…] 

Il résulte des stipulations du contrat de prêt que l’emprunteur s’expose à un risque 

financier, tributaire de la parité des monnaies de compte et de paiement, et ce, sans que ce 

risque ne soit plafonné lors de la dernière période additionnelle éventuelle de 

remboursement comme en convient d’ailleurs la société Bnppf, risque en regard duquel 

cette dernière ne supporte que l’aléa tenant à la durée de perception des intérêts sans qu’il 

n’existe de mesure entre l’accroissement significatif du capital à rembourser pour 

l’emprunteur et le manque à gagner en intérêts pour la banque qui voit le capital en francs 

suisses remboursé par équivalent en euros selon le cours du change au moment de chaque 

paiement. 

Il doit donc être considéré que la Bnppf ne pouvait s’attendre, si l’emprunteur avait 

été normalement informé du fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et 

mis en mesure d’évaluer les conséquences économiques négatives potentielles selon les 

exigences ci-dessus, à ce qu’il accepte le risque disproportionné qui résulte de ces clauses. […]  

il y a lieu de déclarer abusives toutes les 

clauses reproduites ci-dessus qui sont indivisibles en ce que le principe descriptif de 

l’emprunt en francs suisses remboursable en euros est décliné par le fonctionnement de 

deux comptes dans chacune des devises, par les opérations de change et par les modalités 

de remboursement dans le temps. 

[…] 

l’action en restitution peut être soumise par le droit national à une prescription, en l’espèce quinquennale de l’article L 110-4 du code commerce – dont le 

point de départ court, tout comme celui de l’article 2224 du code civil, à compter du jour 

où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, – 

ce qui correspond à un impératif de sécurité juridique, et ce, sans contrevenir à l’effectivité 

des droits garantis par la directive pour autant qu’elle ne court pas à compter de l’offre de 

prêt elle-même ou qu’elle prive le consommateur, éventuellement alors dans l’ignorance 

des vices dénoncés, de son action. 

Mais c’est à juste titre que les emprunteurs font valoir que la conséquence du 

caractère non écrit d’un contrat dans son ensemble impose de considérer qu’il n’a jamais 

existé, que l’emprunteur doit être replacé dans la situation dans laquelle il aurait été en 

l’absence de telles clauses qui, si elles ont imposé un paiement devenu indu entraîne sa 

restitution et que ce droit à restitution, comparable, en droit interne, à celui issu des effets 

de l’annulation d’un contrat, naît de la reconnaissance judiciaire elle-même du caractère 

abusif des clauses considérées. 

En conséquence, la fin de non recevoir tirée de la prescription des demandes de 

restitution des emprunteurs doit être rejetée. 

C’est à juste titre que les emprunteurs font valoir que la somme qu’il leur revient 

de restituer est l’équivalent en euros de la somme empruntée en francs suisses, selon le 

cours du change alors appliqué au contrat de 1,5440 euros, qui est la seule reçue par eux. 

Celle-ci s’élève à la somme de 138 257 euros (puisque la somme supplémentaire 

de 2073,85 euros qu’ils ont reçue a été affectée au paiement de frais de change à restituer 

par la banque de sorte qu’elle est d’un effet nul), de sorte que les époux Sébastien doivent 

être condamnés à payer à la société Bnppf cette somme de 138 275 euros et que la Bnppf 

doit être condamnée à leur restituer la totalité des sommes perçues par elle en exécution du 

prêt en principal, intérêts et frais depuis sa conclusion à l’exception de la somme de 

2 073,85 euros. 

La compensation doit être ordonnée et, comme sollicité, la somme due après 

compensation portera intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt et 

la capitalisation est ordonnée. 

 

Analyse 

 

Saisie d’un litige sur la nullité de la stipulation conventionnelle d’intérêt, d’un prêt immobilier nommé “Invest Immo” le tribunal de grande instance de Paris avait déclaré la demande des emprunteurs irrecevable. Le jugement a ordonné le sursis à statuer dans l’attente de l’intervention de l’un ou des arrêts à intervenir de la Cour de cassation à la suite de différents pourvois présentant un lien étroit avec le litige cités dans la décision. 

A la suite des arrêts rendus par la Cour de cassation les 24 et 30 mars (Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n° 19-17.996, n° 19-20 717, n° 19-18997, n°19-12947)) et 20 avril 2022 Cass. civ. 1ère, 20 avr. 2022,20-16.316) et par courrier en date du 24 mai 2022, les époux Sébastien ont sollicité la constatation de la survenance de la cause du sursis et un calendrier de procédure, ultérieurement modifié à leur demande, a été établi.  

La Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de vie, CLCV (qui s’était constituée partie civile en mars 2015, devant le tribunal de grande instance de Paris de la procédure engagée par plus d’une centaine de consommateurs pour pratique commerciale trompeuse engagée à l’encontre du groupe BNP Paribas dans l’affaire des prêts toxiques Helvet Immo) a conclu en intervention volontaire accessoire le 3 octobre 2022. L’association de consommateurs a sollicité le prononcé du caractère abusif des clauses de remboursement et l’anéantissement de manière rétroactive du contrat. Elle a demandé que soit jugée l’absence de prescription des restitutions réciproques consécutives à l’anéantissement rétroactif du contrat et que ces restitutions soient prononcées.  

 

La Cour d’appel de Paris opère dans sa décision un raisonnement en trois temps aux termes duquel elle fait droit aux demandes de l’association de la CLCV et des emprunteurs. 

 

Dans un premier temps, ayant constaté que les clauses de remboursement, définissent l’objet principal du contrat elle énonce qu’il lui revient d’examiner si elles sont rédigées de façon claire et compréhensible. Pour cette appréciation, elle met en œuvre le principe de transparence matérielle étendu des clauses initié par la CJUE (CJUE, 10 juin 2021, C-609/19, BNP Paris Personal Finance) Elle observe que « s’il résulte de ces stipulations une énonciation, compréhensible sur les plans formel et grammatical, des conditions et modalités d’exécution du prêt, il n’en reste pas moins qu’au-delà de cette description de ses caractéristiques – se voulant exhaustive sur le plan technique au prix d’une prise de connaissance de longues stipulations non dénuées de complexité -, les effets de l’évolution de la parité entre l’euro et le franc suisse n’y sont pas mis en relief ni même explicités en eux-mêmes de telle sorte que l’emprunteur puisse envisager concrètement l’impact économique, potentiellement significatif, d’une évolution défavorable de la parité des monnaies sur ses obligations et évaluer, en toute connaissance de cause, le risque auquel il accepte de s’exposer, le cas échéant. ». Elle en déduit que « les clauses litigieuses ne forment pas un ensemble clair et compréhensible ». 

 

Dans un deuxième temps, elle en apprécie par conséquent le déséquilibre significatif. Elle observe qu’ « résulte des stipulations du contrat de prêt que l’emprunteur s’expose à un risque financier, tributaire de la parité des monnaies de compte et de paiement, et ce, sans que ce risque ne soit plafonné lors de la dernière période additionnelle éventuelle de 

remboursement comme en convient d’ailleurs la société Bnppf, risque en regard duquel 

cette dernière ne supporte que l’aléa tenant à la durée de perception des intérêts sans qu’il 

n’existe de mesure entre l’accroissement significatif du capital à rembourser pour 

l’emprunteur et le manque à gagner en intérêts pour la banque qui voit le capital en francs 

suisses remboursé par équivalent en euros selon le cours du change au moment de chaque 

paiement ».  

Appliquant la jurisprudence de la CJUE laquelle induit, en matière de crédit en devises étrangères, le déséquilibre significatif du défaut de transparence (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, aff. C-609/19) la Cour d’appel de Paris en déduit que « Il doit donc être considéré que la Bnppf ne pouvait s’attendre, si l’emprunteur avait été normalement informé du fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et mis en mesure d’évaluer les conséquences économiques négatives potentielles selon les exigences ci-dessus, à ce qu’il accepte le risque disproportionné qui résulte de ces clauses. A supposer même qu’il doive être tenu compte, par comparaison avec des taux d’intérêts de prêt en euros à taux fixe existant alors sur le marché, du taux d’intérêt offert à l’emprunteur dont le caractère avantageux est mis en avant par la Bnppf – alors qu’il s’agit d’un élément extrinsèque aux droits et obligations des parties au contrat qui constituent le champ dans lequel doit être apprécié le déséquilibre significatif – il ne ressort pas de la note technique Finexi produite aux débats que l’emprunteur n’était pas, seul, exposé au risque d’augmentation de la monnaie de compte ». Elle en déduit que « il y a lieu de déclarer abusives toutes les clauses reproduites ci-dessus qui sont indivisibles en ce que le principe descriptif de l’emprunt en francs suisses remboursable en euros est décliné par le fonctionnement de deux comptes dans chacune des devises, par les opérations de change et par les modalités de remboursement dans le temps. 

 

Dans un troisième temps, la Cour d’appel tire les conséquences de la reconnaissance du caractère abusif des clauses litigieuses. 

La Cour commence par rappeler que le principe selon lequel à raison du réputé non écrit, « les emprunteurs doivent se retrouver dans une situation qui aurait été la leur si les clauses n’avaient jamais existé ». Ce faisant elle applique là encore la jurisprudence de la CJUE (CJUE, gr. ch., 21 déc. 2016, Naranjo, aff. jtes C-154/15, C-307/15 et C-308/15).  

 

Elle observe ensuite « qu’il est constant que les clauses litigieuses, jugées abusives en ce qu’elles font encourir à l’emprunteur, en méconnaissance de cause, un risque tenant à la parité des monnaies de compte et de paiement, définissent l’objet principal du contrat, que leur lecture et analyse montrent qu’elles sont indivisibles et que le contrat énonce que le montant du crédit est en francs suisses alors que ses modalités de remboursement et les opérations de change nécessaires ne sont pas maintenues, c’est l’entièreté du contrat de prêt qui est affectée (…). A moins d’une substitution de dispositions ou d’une révision prohibée du contrat et en l’absence de dispositions nationales supplétives, le contrat ne peut subsister sans elles puisqu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de décider qu’il s’agirait d’un prêt en euros affecté de l’un quelconque des taux d’intérêts stipulés, y compris le taux fixe initial prévu pour une durée de cinq ans ». Ce faisant la Cour d’appel de Paris a parfaitement appliqué la jurisprudence de la CJUE (Le juge national peut substituer une disposition à une clause abusive si l’annulation du contrat expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables). 

 

Elle rappelle ensuite la jurisprudence de la CJUE selon laquelle « Si, en vertu de l’autonomie procédurale des Etats, l’action aux fins de restitution de sommes indûment versées peut être soumise à une prescription de nature à répondre au principe de sécurité juridique, la CJUE a notamment dit pour droit, dans un arrêt du 10 juin 2021, que la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 sur les clauses abusives doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive ». Cependant, la Cour d’appel de Paris, au lieu d’appliquer un délai de prescription pour cette action en restitution considère qu’en l’espèce « ce droit à restitution, comparable, en droit interne, à celui issu des effets de l’annulation d’un contrat, naît de la reconnaissance judiciaire elle-même du caractère abusif des clauses considérées. ». Elle en déduit que « la fin de non recevoir tirée de la prescription des demandes de restitution des emprunteurs doit être rejetée ».  

Elle procède ensuite à l’analyse des restitutions en jugeant que les emprunteurs doivent restituer « l’équivalent en euros de la somme empruntée en francs suisses, selon le cours du change alors appliqué au contrat de 1,5440 euros, qui est la seule reçue par eux », soit « 138 275 euros » cependant que la banque doit être condamnée à leur restituer « la totalité des sommes perçues par elle en exécution du prêt en principal, intérêts et frais depuis sa conclusion » à l’exception de « 2073,85 euros qu’ils ont reçue a été affectée au paiement de frais de change à restituer par la banque ». La juridiction ordonne par conséquent la compensation entre les sommes dues au titre des deux chefs de condamnation ci-dessus et dit que la somme porte intérêts au taux légal, avec capitalisation, à compter de la signification du présent arrêt.