La Commission des clauses abusives,

Vu le chapitre IV de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services;

Vu les articles 96 et suivants du code de commerce;

Vu les articles 42 et suivants du nouveau code de procédure civile,

Entendu les représentants des professionnels et des usagers intéressés.

Considérant que les contrats de déménagement sont, selon la nature des prestations fournies par les déménageurs, soit des contrats de transport, soit des contrats de commission de transport, soit de simples contrats de louage d’ouvrage;

Considérant que ces contrats sont, dans leur majorité, conclus entre déménageurs professionnels et clients non professionnels ou consommateurs;

Considérant que les déménageurs établissent librement les conditions générales qu’ils proposent à leurs clients;

Considérant que les non-professionnels ou consommateurs adhèrent, sans bien les connaître, à des clauses dont certaines résultent d’un abus de puissance économique de la part des déménageurs, et procurent à ces derniers des avantages excessifs;

Considérant que les déménageurs sont tenus de fournir à leurs clients, avant chaque opération de déménagement, un devis détaillé; que le contrat est ensuite conclu par la signature qu’appose le client sur la lettre de voiture de déménagement;

Considérant que la lettre de voiture est généralement accompagnée des conditions générales du contrat de déménagement; mais que ces conditions générales sont ignorées de la plupart des clients, parce qu’elles figurent au verso du texte signé, parce qu’elles sont imprimées en petits caractères et parce qu’elles sont rédigées de façon confuse;

Considérant que, pour permettre l’information et la réflexion du client, les conditions générales doivent être rédigées lisiblement et clairement, elles doivent être préalablement remises au client avec le devis, elles doivent, lors de la conclusion du contrat, être signées par le client, et elles ne doivent pas comporter de clause se référant à des documents non signés par le client;

Considérant que, pour conserver au client sa pleine liberté de contracter ou de ne pas contracter, il faut que la lettre de voiture soit signée quelques jours avant l’exécution du déménagement, et que le déménageur n’exige ni n’accepte aucun versement avant cette signature;

Considérant que la lettre de voiture porte des emplacements pour mentionner la date du chargement et celle de la livraison; mais qu’il arrive que ces emplacements restent vides; que le client se fie en pareil cas à des promesses orales dont il n’a aucun moyen d’exiger le respect; que la date du chargement et celle de la livraison présentent pour lui une grande importance et qu’elles doivent, dès lors, être effectivement indiquées sur la lettre de voiture;

Considérant néanmoins que, dans le cas de groupage, les dates peuvent être remplacées par des périodes de chargement et de livraison, à condition que ces périodes aient une durée raisonnable;

Considérant qu’on rencontre dans les conditions générales une clause en vertu de laquelle le prix fixé au contrat peut être modifié si des variations de tarifs surviennent avant l’exécution du déménagement; que cette clause est abusive, car celle permet au déménageur de déterminer arbitrairement le prix, dès lors que les tarifs visés n’ont aucun caractère officiel et que les clients n’ont pas les moyens d’en contrôler l’exactitude;

Considérant qu’est également abusive, pour la même raison, la clause permettant au déménageur de facturer, en sus du prix, des frais supplémentaires dont il est seul juge, par exemple des frais d’assurance;

Considérant que certaines clauses des conditions générales stipulent que le prix doit être entièrement payé avant la mise en place au lieu de destination, et cela même si des avaries sont constatées;

Considérant que ces clauses sont abusives et doivent être supprimées; que, certes, le client n’a le droit de retenir une partie du prix que dans la mesure où il constate effectivement une perte, une avarie ou un retard, et qu’il s’exposerait à des sanctions s’il refusait sans raison valable, de payer le prix qu’il doit; mais considérant que, dans un contrat synallagmatique, l’équilibre entre les contractants suppose que chacun d’eux puisse invoquer contre l’autre l’exceptio non adimpleti contractus : que le déménageur peut refuser d’exécuter le déménagement si le premier acompte n’est pas versé à la commande; qu’il convient dès lors que le client puisse refuser de verser le solde s’il constate que le déménagement a été mal exécuté;

Considérant que le code de commerce rend les déménageurs, qu’ils soient transporteurs ou commissionnaires, responsables envers leurs clients des pertes, avaries et retards, sauf si ces dommages ont été causés par une force majeure (art. 99, 103 et 104); que, contrairement à ces principes, certaines clauses des conditions générales exonèrent le déménageur de sa responsabilité dans des hypothèses qui ne présentent pas nécessairement les caractères de la force majeure, ainsi dans le cas où un accident survient au matériel utilisé, ou encore dans celui où les routes sont en mauvais état; considérant que les clauses de ce genre sont abusives et doivent être supprimées;

Considérant que sont de la même façon abusives les clauses dispensant le déménageur de réparer certaines catégories de dommages, comme la privation de jouissance ou la moins-value;

Considérant que les conditions générales portent usuellement une clause limitant l’indemnité due par le déménageur, en cas de retard, à la moitié du prix du déménagement; que cette limitation est abusive, car le retard dans l’exécution du déménagement peut entraîner, pour le client, un préjudice très important; que le déménageur doit, sauf cas de force majeure, indemniser son client de l’entier préjudice causé par le retard;

Considérant qu’une autre clause usuelle des conditions générales limite la responsabilité du déménageur, en cas de perte ou d’avarie, à 1 500 F par mètre cube; que, certes, les conditions générales laissent au client la possibilité d’obtenir une indemnité supérieure en déclarant, lors de la conclusion du contrat, la valeur des objets confiés au déménageur; mais considérant que le système, mal expliqué aux clients, est mal compris par eux, de sorte que la limite de 1 500 F par mètre cube s’applique souvent à des objets dont la valeur est largement supérieure, par exemple à des appareils de télévision;

Considérant qu’il convient donc d’éliminer, comme abusives, les limitations de responsabilité prévues par avance dans les conditions générales et applicables indistinctement à toutes sortes d’objets; que le déménageur a la possibilité de reconnaître, avant la conclusion du contrat, les objets à déménager, et de calculer le prix du déménagement d’après la valeur et la fragilité de ces objets; qu’il doit, sauf cas de force majeure, indemniser son client de l’entier préjudice causé par la perte ou l’avarie;

Considérant qu’il est cependant admissible que le déménageur n’accepte de prendre en charge certains objets particulièrement fragiles ou précieux que si, pour ces objets, sa responsabilité est limitée; mais que les limitations doivent alors résulter de clauses particulières effectivement négociées pour des objets déterminés;

Considérant que, dans le cas où la valeur réelle de l’objet est supérieure à la limite contractuelle de responsabilité, une clause fréquente des conditions générales applique la règle proportionnelle du droit de l’assurance, que cette règle, dont presque tous les consommateurs ignorent les conséquences, peut diminuer considérablement l’indemnité due par le déménageur en cas d’avarie; que, prévue par des textes concernant les contrats d’assurance, elle n’a rien à faire dans le contrat de déménagement;

Considérant que les conditions générales autorisent souvent le déménageur à souscrire une assurance de dommages pour le compte de son client, que cette clause doit être supprimée car elle est dangereuse pour les non-professionnels ou consommateurs, qui ignorent le contenu de la police et qui, de surcroît, peuvent penser que la souscription d’une assurance libère le déménageur de sa responsabilité; que les dommages causés par les pertes, avaries ou retards doivent, sauf cas de force majeure, être réparés par le déménageur, auquel il appartient de souscrire éventuellement une assurance de responsabilité pour son propre compte;

Considérant que les non-professionnels ou consommateurs ignorent généralement les dispositions de l’article 105 du code de commerce, applicables dans le cas où le déménageur agit comme transporteur; que, faute d’envoyer dans les trois jours la lettre recommandée prévue par ce texte, ils sont privés du droit d’agir contre le déménageur – transporteur, si évidente que soit la responsabilité de ce dernier; que la commission a proposé, dans son rapport pour l’année 1980, la modification de l’article 105; mais que, dans l’état actuel du droit, ce texte est encore en vigueur;

Considérant que les non-professionnels ou consommateurs ignorent également les dispositions de l’article 108 du code de commerce, applicables dans le cas où le déménageur agit comme transporteur ou commissionnaire de transport;

Considérant qu’il convient donc de porter les dispositions des articles 105 et 108 à la connaissance des clients, au moyen d’une mention très apparente figurant sur la lettre de voiture;

Considérant que les conditions générales de déménagement portent parfois des clauses plus strictes encore que les dispositions des articles 105 et 108, obligeant par exemple le client à inscrire des réserves dès la livraison; que, certes, le client peut avoir intérêt à émettre rapidement des réserves écrites, de façon à se ménager une preuve; mais qu’il est abusif de lui en faire une obligation et d’assortir cette obligation d’une fin de non-recevoir que la loi n’a pas prévue;

Considérant que les conditions générales étendent parfois l’application des articles 105 et 108 en dehors de leur domaine légal d’application; que ces clauses sont abusives, en raison des dangers que présentent les articles 105 et 108 pour des clients non professionnels ou consommateurs;

Considérant qu’une clause fréquente des conditions générales permet au déménageur de confier l’exécution du contrat à un autre déménageur; qu’ainsi conçue la clause est abusive car la personne du déménageur n’est pas sans importance pour le client; que la clause n’est admissible que si le client est préalablement informé du nom du déménageur substitué et s’il a la possibilité de renoncer au contrat;

Considérant que certains contrats de déménagement attribuent compétence, en cas de litige, au tribunal dans le ressort duquel se trouve le siège social du déménageur; que cette clause est nulle, en vertu de l’article 48 du nouveau du code de procédure civile, dès lors que l’un des contractants est un non-professionnel ou consommateur; mais que ce dernier ignore généralement la nullité de la clause, dont la présence peut le dissuader d’agir en justice; qu’il convient donc de recommander, une fois de plus, l’élimination des clauses dérogeant aux règles légales de compétence,

Recommande:

A. – 1° que les conditions générales susceptibles d’être opposées au client soient intégralement, lisiblement et clairement reproduites sur un document qui lui est remis avec le devis avant la conclusion du contrat;

2° que, lors de la conclusion du contrat, la signature du client soit apposée, non seulement au bas de la lettre de voiture, mais encore au bas des conditions générales;

3° que la lettre de voiture soit présentée au client et signée par lui dans un délai raisonnable avant l’exécution du déménagement;

4° qu’aucun versement ne soit exigé ou accepté avant la signature de la lettre de voiture;

5° que la date – ou en cas de groupage, la période – du chargement et celle de la livraison soient effectivement indiquées sur la lettre de voiture;

6° que ce document reproduise de façon très apparente les indications suivantes:

Lorsque le déménageur agit comme transporteur:

 » En cas de perte ou d’avarie, le client a intérêt à émettre dès la livraison et la mise en place, en présence du déménageur ou de ses employés, des réserves écrites, précises et détaillées;

 » Que ces réserves aient été prises ou non, le client doit adresser au déménageur, en cas de perte partielle ou d’avaries, une lettre recommandée dans laquelle il décrit le dommage constaté. La lettre doit être envoyée dans les trois jours, non compris les jours fériés, qui suivent la livraison. Si cette dernière formalité, ou toute autre prévue par l’article 105 du code de commerce, n’est pas accomplie, le client est privé du droit d’agir contre le déménageur;

 » L’action en justice doit être intentée dans l’année qui suit la livraison. »

Lorsque le déménageur agit comme commissionnaire:

 » En cas de perte ou d’avarie, le client a intérêt à émettre dès la livraison et la mise en place, en présence du déménageur ou de ses employés, des réserves écrites, précises et détaillées; l’action en justice doit être intentée dans l’année qui suit la livraison.  »

B. – Que soient éliminées des contrats proposés par les déménageurs, les clauses ayant pour objet ou pour effet:

1° de se référer à des conditions générales non signées par le client;

2° de faire varier le prix d’après des éléments qui ne sont pas indépendants de la volonté du déménageur;

3° de permettre au déménageur de facturer des frais supplémentaires dont il est seul juge, notamment des frais d’assurance;

4° d’exiger que le prix soit entièrement payé avant que le client ait pu vérifier l’état des objets déménagés et mis en place;

5° d’empêcher le client de retenir une partie du prix alors qu’il constate une perte, une avarie ou un retard;

6° de déroger au principe en vertu duquel le déménageur est responsable des pertes, avaries ou retards, sauf dans le cas de force majeure;

7° de dispenser le déménageur d’indemniser le client pour certaines catégories de dommages, notamment pour privation de jouissance ou moins-value;

8° de limiter la responsabilité du déménageur en cas de retard dans l’exécution du contrat;

9° de limiter la responsabilité du déménageur en cas de perte ou d’avarie, à moins que la limitation ne résulte d’une clause particulière effectivement négociée pour un objet déterminé;

10° d’appliquer au montant de la réparation la règle proportionnelle du droit de l’assurance;

11° d’autoriser le déménageur à souscrire une assurance de dommages pour le compte de son client;

12° d’obliger le client, en cas de perte ou d’avarie, à émettre des réserves dès la livraison;

13° de rendre applicables les dispositions de l’article 105 du code de commerce lorsque le déménageur n’agit pas comme transporteur;

14° de rendre applicables les dispositions de l’article 108 du code de commerce lorsque le déménageur n’agit ni en tant que transporteur ni en tant que commissionnaire de transport;

15° de permettre au déménageur de confier l’exécution du contrat à un autre déménageur, sans prévoir l’information préalable du client et la possibilité, pour ce dernier, de renoncer au contrat;

16° de déroger aux règles légales de compétence.

Délibéré sur le rapport de M. Jean Calais-Auloy dans les séances des 18 décembre 1981, 29 janvier 1982 et 19 février 1982.