M. Portail,  rapporteur
M. Dieu Commissaire du gouvernement
Audience du 7 avril 2006
Lecture du 28 avril 2006

Vu la requête, enregistrée le 14 juin 2002, sous le n° 0202584 présentée par M. B…, demeurant … par laquelle il demande au tribunal d’annuler les articles 4, 8, 26, 31, 34, 50, du règlement du service de l’eau de la commune de L… et de condamner la commune de L… à lui verser 100 euros en remboursement des frais de photocopie, timbre fiscal et déplacements divers ;

Il soutient que

  • l’article 4 qui exclut toute responsabilité de la commune vis à vis de l’abonné constitue une clause abusive, ainsi que l’a relevé la commission des clauses abusives dans une recommandation du 25 janvier 200 l,
  • l’article 8 relatif au branchement. méconnaît la circulaire du 14 avril 1988, en ne retenant pas dans la définition du branchement. le réducteur de pression et le compteur,
  • l’article 26 constitue une clause abusive en ce qu’il interdit aux locataires la conclusion d’un contrat. de distribution d’eau potable, qui ne peut être établi qu’au nom du propriétaire,
  • l’article 31 constitue une clause abusive en ce qu’il n’ouvre pas à l’abonné la possibilité d’acheter le compteur,
  • l’article 34, en vertu du duquel la commune ne prend pas en charge tout dommage, comme le gel, constitue une clause abusive,
  • l’article 50, qui prévoit la coupure de la fourniture d’eau pour défaut de paiement exact des consommations ou des trais, taxes et redevances diverses dues par les abonnés méconnaît la loi relative à l’exclusion qui interdit la coupure de l’eau;

Vu la mise en demeure adressée le 20 juin 2002 à M. B… en application de l’article R. 612-2 du code de justice administrative, et l’avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu la mise en demeure adressée le 26 septembre 2003 à Maître Waquet. en application de l’article R. 612-2 du code de justice administrative, et l’avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 janvier 2004, présenté pour la commune de la Motte, par Maître Claire Waquet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation;

Elle conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. B… à lui verser 2750 curos en application de l’article L.761-1 du code de justice administrative;

Elle soutient que :

  • la requête est irrecevable, faute d’avoir été présentée dans le délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité de la délibération du 12 décembre 1998 approuvant le règlement générai concernant la 1bumiture d’eau par le service municipal de l’eau,
  • le moyen tiré de la méconnaissance des recommandations de la commission des clauses abusives est inopérant, les dites recommandations étant dépourvues de tout caractère contraignant,
  • en tout état de cause. le requérant n’établit pas que les clauses querellées méconnaîtraient l’article L.132-1 du code de la consommation ;
  • compte tenu des obligations assumées par la commune, la clause restrictive de responsabilité de l’article 4 n’est pas abusive,
  • le moyen tiré de la méconnaissance de la circulaire du 14 avril 1988, qui est dépourvue de caractère réglementaire, est inopérant,
  • l’article 26, qui n’a pas pour effet d’imposer au propriétaire de garantir le paiement des sommes correspondant à l’eau consommée par son locataire. n’est pas une clause abusive,
  • la circonstance que l’article 31 ne prévoit pas la possibilité pour les abonnés d’acheter le compteur n’en fait pas une clause abusive,
  • l’obligation imposée par l’article 34 à l’abonné d’assurer la protection de son compteur contre le gel n’est pas constitutive d’une clause abusive,
  • l’article 50 ne méconnaît pas les textes relatifs à la lutte contre la précarité, le requérant, au demeurant, ne précisant pas la norme juridique qui aurait été méconnue ;

Vu l’acte attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions ;

Vu le code de la consommation ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 7 avril 2006

  • le rapport de M. Portail ;
  • les observations de M. B…, requérant ;
  • et les conclusions de M. Dieu, commissaire du gouvernement ;

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant que la commune de L… soutient que la délibération en date du 12 décembre 1998, par laquelle le conseil municipal de L… a approuvé le règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau, et destiné à être annexé au contrat d’abonnement et signé par tout usager du service, a fait l’objet des mesures de publicité de nature à faire courir le délai de recours contentieux ; mais qu’elle n’en justifie pas ; que la fin de non recevoir tirée de la tardiveté de la requête doit, par suite, être écartée ;

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

Considérant qu’aux termes de l’article 132-1 du code de la consommation:  » Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur. un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Des décrets en Conseil d’État, pris après avis de la commission instituée à l’article L. 132-2, peuvent déterminer des types de clauses qui doivent être regardées comme abusives au sens du premier alinéa. Une annexe au présent code comprend une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions posées au premier alinéa. En cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le demandeur n’est pas dispensé d’apporter la preuve du caractère abusif de cette clause. Ces dispositions sont applicables quelle que soit la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies. Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l’exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l’une de l’autre. Les clauses abusives sont réputées non écrites. L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur j’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensibles  » ;

Considérant que le moyen invoqué par M. B… et tiré de la méconnaissance des recommandations de la Commission des clauses abusives, qui ne constituent pas des décisions administratives, est sans influence sur la légalité de la clause litigieuse ; mais que, compte tenu de son argumentation, le requérant doit être regardé comme invoquant également la méconnaissance de l’article L. 132-1 du code de la consommation ;

Considérant que l’article 4 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau de la commune de L… dispose: « Conditions de fourniture de l’eau : la commune de L… ne peut encourir vis à vis de l’abonné aucune responsabilité en raison de causes résultant de l’exploitation même du service telles que : des interruptions plus ou moins prolongées dans la distribution et résultant de la gelée, de la sécheresse, des réparations de conduites ou réservoirs, du chômage des machines ou de toute autre cause ; des arrêts momentanés prévus ou imprévus, notamment ceux que nécessitent l’échange de compteurs et l’entretien des installations: des augmentations ou diminutions de pression ; de la présence d’air dans les conduites; de la variation des qualités physiques ou chimiques de l’eau, notamment de la présence de rouille ou de sable. Ces faits ne pourront ouvrir aux abonnés aucun droit à indemnité ni aucun recours contre la commune, soit pour eux-mêmes, soit en raison des dommages qui en seraient la conséquence directe ou indirecte, aucune garantie n’étant donnée aux abonnés contre les !incidents d’exploitation susceptibles de se produire. » ;

Considérant que les dispositions précitées de l’article 4 du règlement contesté prévoient une exonération générale de responsabilité de la commune de L… pour tout dommage résultant de l’exploitation même du service ; que quelles que soient par ailleurs les obligations de la commune dans la gestion du service de l’eau, ces dispositions introduisent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, qui n’est pas justifié par les nécessités du service ; qu’elles présentent dès lors un caractère abusif au sens de l’article L 132-1 du code de la consommation, de sorte que le requérant est fondé à en demander l’annulation ;

En ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de l’article 26 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau :

Considérant qu’aux termes de l’article 26 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau de L… : « Souscriptions aux concessions d’abonnement : Les personnes propriétaires ou le syndic les représentants devront s’abonner à l’usage des eaux et en faire la demande au service municipal de l’eau. Dans le cas d’appartements loués, la concession sera établie exclusivement au nom du propriétaire qui sera responsable du compteur, de la consommation et des abonnements. Il en est de même pour les appartements desservis par un seul compteur. Si les compteurs appartiennent à des propriétaires différents, la concession est commune à plusieurs propriétaires, qui sont dans ce cas tenus solidairement au paiement. » ;

Considérant que les dispositions précitées imposent que les abonnements à l’eau soient nécessairement souscrits au nom du propriétaire au profit des locataires ; qu’elles introduisent un déséquilibre significatif’ entre les droits et obligations des parties au contrat, qui n’est pas justifié par les nécessités du service ; qu’elles présentent dès lors un caractère abusif au sens de l’article L 132-1 du code de la consommation, de sorte que le requérant est fondé à en demander l’annulation ;

En ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de l’article 31 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau :

Considérant que la circonstance que l’article 34 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau n’ouvre pas à l’abonné la possibilité d’acheter le compteur, n’introduit pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat; que le moyen tiré de l’article L 132-1 du code de la consommation ne peut par suite qu’être rejeté ;

En ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de l’article 34 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau :

Considérant que l’article 34 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau dispose : « Protection des compteurs : l’abonné devra protéger le compteur contre tout endommagement, notamment contre le gel et les intempéries et éventuellement contre les excès de température, (proximité de source de chaleur). Il sera tenu responsable de toute détérioration survenant à l’appareil par suite de sa négligence  » ;

Considérant qu’en vertu de ces dispositions, la responsabilité de l’abonné n’est susceptible d’être engagée pour l’endommagement du compteur qu’en cas de négligence de sa part à en assurer la protection ; qu’ainsi, ces dispositions n’introduisent pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que dès lors, le moyen tiré de l’article L 132-1 du code de la consommation ne peut par suite qu’être rejeté ;

En ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de l’article 8 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau :

Considérant que le moyen tiré de la méconnaissance de la circulaire du 14 avril 1988, laquelle n’a qu’un caractère purement indicatif: est sans influence sur la légalité de l’article 8 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau ;

En ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de l’article 50 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau :

Considérant que l’article 136 de la loi du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions dispose: « Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières du fait d’une situation de précarité a droit à une aide de la collectivité pour accéder ou pour préserver son accès à une fourniture d’eau (…) le maintien de la fourniture d’énergie et d’eau est garanti en cas de non-paiement des factures jusqu’à l’intervention du dispositif prévu à l’article 43-6 » ; que ces dispositions n’interdisent pas la suspension de l’alimentation en eau en cas de non-paiement des factures ; que le moyen tiré de ce que l’article 50 du règlement général concernant la fourniture d’eau par le service municipal de l’eau, lequel autorise cette suspension, méconnaîtrait les dispositions précitées, ne peut donc qu’être rejeté ;

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu de condamner la commune de L…, partie perdante, à verser à M. B… la somme de 100 euros en application de l’article L.761-1 du code de justice administrative.