CJUE, 29 février 2024, Investcapital, C-724/22 

Contrat de crédit renouvelable – Contrôle d’office du caractère abusif des clauses contractuelles effectué dans le cadre de cette procédure – Pouvoir de contrôle du juge national – Eléments de faits et de droit permettant le contrôle d’une clause abusive – Principe d’effectivité 

EXTRAIT : 

« L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière du principe d’effectivité,  

doit être interprété en ce sens que :  

il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer d’adopter d’office des mesures d’instruction afin d’établir les éléments de fait et de droit nécessaires en vue de contrôler le caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsque le contrôle effectué par le juge compétent au stade de la procédure d’injonction de payer ne répond pas aux exigences du principe d’effectivité s’agissant de cette directive. » 

ANALYSE :  

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) était saisie sur le point de savoir si le principe d’effectivité s’oppose à une réglementation nationale interdisant l’adoption d’office de mesures d’instruction par le juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer, afin d’établir les éléments de fait et de droit nécessaires au contrôle du caractère abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit.  

La CJUE commence par rappeler que l’objectif de la directive 93/13 est la protection du consommateur qui se trouve dans une situation d’infériorité vis-à-vis du professionnel, au niveau de son pouvoir de négociation ainsi que son niveau d’information (CJUE, 4 mai 2023, BRD Groupe Société Générale et Next Capital Solutions, C-200/21). La Cour poursuit son raisonnement en rappelant qu’il faut une intervention positive et extérieure aux parties pour que la situation d’inégalité soit compensée (CJUE, 11 mars 2020, Lintner, C-511/17). La Cour évoque également son arrêt du 22 septembre 2022, Vicente, C-335/21, qui prévoit que le contrôle du caractère abusif des clauses dans le contrat de crédit doit être réalisé par la juridiction de renvoi si un contrôle effectif n’a pas été effectué au stade de la procédure d’injonction de payer.  

Dans sa solution, la CJUE dit pour droit que le juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer doit pouvoir bénéficier de la possibilité de prendre d’office les mesures d’instructions nécessaires au contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans le contrat de crédit, dès lors qu’un contrôle effectif de ce caractère n’a pas été réalisé au stade de la procédure d’injonction de payer.  

Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence constante de la CJUE (CJCE, 4 juin 2009, Pannon, C-243/08 et CJUE, 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C-495/19).  

Voir également :  

CJUE, 29 février 2024, Investcapital, C-724/22 

CJUE, 29 février 2024, Investcapital, C-724/22 

Principe d’effectivité du droit de l’Union – Contrat de crédit renouvelable – Contrôle d’office du caractère abusif des clauses contractuelles – Exécution de la décision clôturant ladite procédure – Perte par forclusion de la possibilité d’invoquer le caractère abusif d’une clause du contrat au stade de l’exécution de l’injonction de payer – Pouvoir de contrôle du juge national 

EXTRAIT : 

« 1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que :  

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, en raison de la forclusion, ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer de contrôler, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsqu’un tel contrôle a déjà été effectué par un juge au stade de la procédure d’injonction de payer, sous réserve que ce juge ait identifié, dans sa décision, les clauses ayant fait l’objet de ce contrôle, qu’il ait exposé, même sommairement, les raisons pour lesquelles ces clauses étaient dépourvues de caractère abusif et qu’il ait indiqué que, en l’absence d’exercice, dans le délai imparti, des voies de recours prévues par le droit national contre cette décision, le consommateur sera forclos à faire valoir le caractère éventuellement abusif desdites clauses. » 

ANALYSE : 

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) était saisie du point de savoir si le principe d’effectivité s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que le juge de l’exécution, saisi de l’exécution d’un titre exécutoire obtenu à la suite d’une procédure d’injonction de payer, ne peut pas contrôler d’office, ou à la demande du consommateur, le caractère éventuellement abusif d’une clause lorsque ce contrôle a déjà été réalisé par un premier juge, mais que des doutes surviennent quant à la qualité de ce contrôle.  

La CJUE rappelle que le juge doit contrôler d’office la nature potentiellement abusive des clauses d’un contrat au stade de la délivrance de l’injonction de payer ou au stade de l’exécution de l’injonction de payer (CJUE, 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C-49/14). La Cour rappelle également que les décisions juridictionnelles devenues définitives ne peuvent plus être remises en cause après épuisement des voies de recours ou expiration des délais prévus pour exercer un recours (CJUE, 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C-600/19).  

Concernant la forclusion intervenant à l’expiration des délais de recours ouverts contre l’injonction de payer, la CJUE précise qu’elle n’est pas de nature à rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés au consommateur pourvu qu’elle ne produise ses effets qu’à l’issue d’un délai raisonnable. En ce sens, les délais de recours sont des délais raisonnables de recours s’ils sont matériellement suffisants pour permettre au consommateur de former un recours effectif et s’ils ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice d’un droit de recours (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank, C-698/18).  

Enfin, la CJUE rappelle que le juge interne doit apprécier d’office ou à la demande des parties, dès lors qu’il dispose des éléments de droit ou de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif d’une clause d’un contrat. En l’absence de contrôle, la protection du consommateur ne serait pas effective (CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14).  

La CJUE déclare que l’article 7 paragraphe 1 de la directive 93/13 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui interdirait au juge, saisi à l’occasion de l’exécution d’une injonction de payer, de contrôler le caractère éventuellement abusif d’une clause si un contrôle a déjà été opéré par un premier juge et que ce dernier a déjà identifié les clauses ayant fait l’objet de ce contrôle dans sa décision. La Cour ajoute que le juge doit avoir motivé sa décision de déclarer les clauses comme n’étant pas abusives. Enfin, le juge doit avoir indiqué que le consommateur doit exercer les voies de recours prévues par le droit national contre cette décision dans le délai imparti, sous peine de forclusion.  

Voir également :  

CJUE, 29 février 2024, Investcapital, C-724/22 

CJUE, 25 janvier 2024, aff. C-810/21 à 813/21 – Caixabank SA 

 

Frais dérivés de la formalisation du contrat de prêt hypothécaire – Restitution des sommes acquittées en vertu d’une clause déclarée abusive – Point de départ du délai de prescription de l’action en restitution. 

 

EXTRAITS  

 

« {…} L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, {…} s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, à la suite de l’annulation d’une clause contractuelle abusive mettant à la charge du consommateur les frais de conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire, l’action en restitution de tels frais est soumise à un délai de prescription de dix ans qui commence à courir à partir du moment où cette clause épuise ses effets avec la réalisation du dernier paiement desdits frais, sans qu’il soit considéré́ comme pertinent à cet égard que ce consommateur ait connaissance de l’appréciation juridique de ces faits. La compatibilité des modalités d’application d’un délai de prescription avec ces dispositions doit être appréciée en tenant compte de ces modalités dans leur ensemble. ». 

 

« La directive 93/13 {…} s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action du consommateur en restitution des sommes payées indument en exécution d’une clause contractuelle abusive, l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires peut être considérée comme établissant qu’est remplie la condition relative à la connaissance, par le consommateur concerné, du caractère abusif de ladite clause et des conséquences juridiques qui en découlent. ». 

 

 

ANALYSE  

 

La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, la CJUE) est saisie par la juridiction espagnole de renvoi sur le point de savoir si le principe d’effectivité s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle le délai de prescription de l’action en restitution qui découle de l’annulation d’une clause abusive mettant à la charge du consommateur les frais de conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire commence à courir à partir du moment où la clause épuise ses effets par le dernier paiements de ces frais sans toutefois qu’il ne soit nécessaire d’informer le consommateur sur l’appréciation juridique des éléments constitutifs du caractère abusif de cette clause. 

 

La CJUE rappelle que les règles de l’ordre juridique interne ne doivent pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’union (CJUE du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C-485/19).  

 

Concernant la conformité du délai de prescription de l’action en restitution au principe d’effectivité, la CJUE rappelle que n’est pas conforme à ce principe, le délai de prescription qui n’est pas matériellement suffisant pour permettre au consommateur de préparer et former un recours effectif afin de faire valoir les droits qu’il tire de la directive 93/13/CEE, et ce notamment sous forme de prétentions, de nature restitutive, fondées sur le caractère abusif d’une clause contractuelle (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C- 776/19 à C-782/19, point 32).  

 

La CJUE énonce en outre que la conformité du principe d’effectivité aux modalités d’application d’un délai de prescription ne peut pas être établie alors que, même en prévoyant que le consommateur doit avoir connaissance des faits constitutifs du caractère abusif de la clause contractuelle, l’interprétation jurisprudentielle du droit national n’exige pas une telle connaissance quant aux droits qu’il tire de la directive 93/13 et quant au fait qu’il dispose d’un temps suffisant pour le permettre de préparer et de former un recours effectif afin de faire valoir ces droits. Ce délai de prescription ne saurait donc commencer à courir que si toutes ces conditions sont remplies et si le consommateur a préalablement eu connaissance du caractère abusif d’une clause contractuelle.  

 

Dans le cadre de la seconde branche de la première question préjudicielle, la juridiction espagnole de renvoi interroge la CJUE sur la question de savoir si la directive 93/13 s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution des sommes indument versées en exécution d’une clause contractuelle abusive, l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires peut être considérée comme suffisante pour établir que le consommateur concerné avait connaissance du caractère abusif de la clause et des conséquences juridiques qui en découlent.  

 

La CJUE rappelle, en premier lieu, la position d’infériorité structurelle du consommateur vis-à-vis du professionnel, tant en termes de pouvoir de négociation que de niveau d’information. Cette asymétrie conduit le consommateur à adhérer aux conditions préalablement rédigées par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir, en ce sens, l’arrêt de la CJUE du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C-26/13, point 39).  

 

Partant de ce postulat, la Cour souligne qu’il ne saurait être présumé que le niveau d’information d’un consommateur, inférieur à celui du professionnel, intègre la connaissance de la jurisprudence nationale en matière de droit de la consommation, cette jurisprudence fût-elle bien établie. Aucune distinction n’est opérée entre une jurisprudence constante et une jurisprudence qui ne l’est pas. 

 

La CJUE considère ainsi que, bien qu’il puisse être exigé des professionnels qu’ils se tiennent informés des aspects juridiques des clauses qu’ils insèrent dans les contrats qu’ils concluent avec les consommateurs, notamment en ce qui concerne la jurisprudence nationale relative à ces clauses, une telle exigence ne saurait être étendue aux consommateurs. Cela est dû au caractère ponctuel, voire exceptionnel, de la participation de ces derniers à la conclusion d’un contrat comportant une clause abusive. 

 

Dès lors, la simple existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires ne saurait suffire pour déclencher le délai de prescription de l’action en restitution des sommes payées indument en exécution d’une telle clause abusive, en l’absence de preuve d’une connaissance effective par le consommateur du caractère abusif de la clause et des conséquences juridiques qui en découlent. 

CJUE, 18 janvier 2024, aff. C-531/22 – Getin Noble Bank E.A 

 

  

Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Titre exécutoire ayant acquis force de chose jugée – Pouvoir de juger d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause dans le cadre du contrôle d’une procédure d’exécution 

 

  

EXTRAIT  

“{…} L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs {…} s’opposent à une réglementation nationale prévoyant qu’une juridiction nationale ne peut procéder d’office à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans un contrat et en tirer les conséquences, lorsqu’elle contrôle une procédure d’exécution forcée fondée sur une décision prononçant une injonction de payer définitive revêtue de l’autorité de la chose jugée: – si cette réglementation ne prévoit pas un tel examen au stade de la délivrance de l’injonction de payer ou – lorsqu’un tel examen est prévu uniquement au stade de l’opposition formée contre l’injonction de payer concernée, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que la réglementation nationale ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées à ce consommateur toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits.” 

  

ANALYSE   

  

La Cour rappelle que dans une situation où un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles était réputé avoir eu lieu et être revêtu de l’autorité de la chose jugée, la Cour a jugé que l’exigence d’une protection juridictionnelle effective exige que le juge de l’exécution puisse apprécier le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui ont servi de fondement à une injonction de payer  contre laquelle le débiteur n’a pas formé d’opposition (voir arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a., C-693/19 et C-831/19, EU:C:2022:395, points 65et 66). 

 

Elle considère donc qu’il en va a fortiori de même lorsqu’aucun examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles figurant au contrat concerné n’est réputé avoir eu lieu, ainsi que cela semble être le cas dans l’espèce qui lui était soumise. 

 

Elle juge que le fait que le consommateur ait été passif au cours des procédures menées devant les juridictions ordinaires ne libère pas la juridiction de renvoi de l’obligation lui incombant d’effectuer cet examen d’office si celle-ci établit que le consommateur n’a pas formé opposition aux injonctions de payer en cause au principal, si le droit national ne prévoit pas un tel examen lorsque le consommateur concerné conteste une injonction de payer et qu’il existe un risque non négligeable que le consommateur ne forme l’opposition requis soit en raison du délai particulièrement court prévu, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que le droit national ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées audit consommateur toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits.  

 

Ainsi, une réglementation nationale qui prévoit qu’une juridiction nationale ne peut contrôler d’office le caractère abusif des clauses d’un contrat lors du contrôle d’une procédure d’exécution fondée sur une injonction de payer revêtue de l’autorité de la chose jugée si : d’une part, cette réglementation ne prévoit pas un tel examen au stade de la délivrance de l’injonction  ou d’autre part, lorsque l’examen prévu au stade de l’opposition formée contre l’injonction de payer concernée, s’il existe un risque non-négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais d’une action justice entraînerait par rapport au montant de la dette constatée, soit parce que la réglementation nationale ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées à ce consommateur toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits. En effet, tout ceci serait contraire à l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.  

   

La CJUE avait déjà statué en ce sens dans un arrêt 5 octobre 2023, aff. C 25/23 Princess Holdings 
   

Voir également :  

Cass. civ. 2ème , 13 avril 2023, n° 21-14.540   

CJUE, 5 octobre 2023, aff. C 25/23 Princess Holdings   

CJUE 2023-12-14 C-28-22 TL WE 

 

Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère contenant des clauses abusives concernant le taux de change – Nullité de ce contrat – Actions en restitution – Délai de prescription  

 

EXTRAIT  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, 

 

doivent être interprétés en ce sens que : 

 

ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, à la suite de l’annulation d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un professionnel, en raison de clauses abusives contenues dans ce contrat, le délai de prescription des créances de ce professionnel découlant de la nullité dudit contrat commence à courir uniquement à partir de la date à laquelle ce dernier devient définitivement inopposable, alors que le délai de prescription des créances de ce consommateur découlant de la nullité du même contrat commence à courir à partir de la date à laquelle celui-ci a pris connaissance, ou aurait dû raisonnablement prendre connaissance, de la nature abusive de la clause entraînant cette nullité. 

 

 

 

ANALYSE   

Les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation des articles 6 et 7 de la Directive 93/13, à la lumière du principe d’effectivité. Ces articles traitent respectivement du caractère non contraignant des clauses abusives dans les contrats de consommation et des moyens mis en œuvre par les Etats membre pour faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. La question centrale est de savoir si l’interprétation jurisprudentielle du droit national, qui fixe des délais de prescription différents pour les professionnels et les consommateurs dans le cas de contrats annulés pour clauses abusives, est conforme au droit de l’Union. 

La Cour rappelle que les États membres sont responsables de la mise en œuvre de la Directive 93/13 dans leurs ordres juridiques respectifs. Cependant, cette mise en œuvre doit respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. L’équivalence exige que les modalités de protection des consommateurs ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne. L’effectivité signifie que ces modalités ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union. 

La Cour souligne que toute asymétrie des voies de droit, notamment dans les délais de prescription entre les professionnels et les consommateurs, peut porter atteinte à l’effectivité de la protection des consommateurs prévue par la Directive 93/13. Elle met en avant le risque que cette asymétrie incite les professionnels à retarder ou prolonger les procédures, privant ainsi les consommateurs de leur droit à une réparation et portant atteinte à l’effet dissuasif de la directive. Dans le cas présent, la Cour européenne de justice émet des réserves quant à l’asymétrie des voies de droit en Pologne, où le délai de prescription des créances du consommateur commence à courir avant celui du professionnel, créant ainsi une inégalité de traitement. 

Ainsi, la Cour conclut que les articles 6 et 7 de la Directive 93/13, interprétés à la lumière du principe d’effectivité, s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national qui crée une asymétrie des délais de prescription entre les professionnels et les consommateurs dans le cas de contrats annulés pour clauses abusives. Pour remédier à cette situation, la Cour recommande que les délais de prescription pour les créances des professionnels et des consommateurs devraient commencer à courir au même moment, à savoir à partir de la date à laquelle la nullité du contrat est constatée de manière définitive par une juridiction compétente.  

Cette réponse de la Cour assure un principe d’égalité de traitement entre les professionnels et les consommateurs en matière de délais de prescription.   

Clauses abusives – Protection du consommateur- Principe d’effectivité – Principe d’équivalence – Prescription – Intérêts moratoires  

 

EXTRAITS 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que, dans le contexte de l’annulation intégrale d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, au motif que ce contrat contient une clause abusive sans laquelle il ne peut pas subsister : 

 ils s’opposent à ce que la compensation demandée par le consommateur concerné au titre de la restitution des sommes qu’il a acquittées en exécution du contrat en cause soit diminuée de l’équivalent des intérêts que cet établissement bancaire aurait perçus si ce contrat était resté en vigueur.”  

 

ANALYSE 

 

La présente décision fait état d’un litige opposant des particuliers à un établissement bancaire, au sujet du remboursement de sommes versées à cette dernière au titre d’un contrat de prêt hypothécaire devant être annulé pour clauses abusives. En effet le contrat de prêt était assorti d’intérêts à taux variable, libellé en zlotys polonais et indexé sur le franc suisse. Ainsi, les particuliers devaient, au titre de leur créance, et en vertu de la clause de conversion, jugée abusive, verser des mensualités en zlotys en y appliquant le cours de vente du franc suisse à la date du paiement de ces mensualités.  

 

A cette occasion, la juridiction de renvoi se questionne sur l’interprétation du droit polonais retenue par la Cour suprême polonaise dans une résolution du 7 mai 2021. Outre l’interrogation sur le formalisme entourant la renonciation du consommateur à renoncer de façon éclairée à la protection contre les clauses abusives (CJUE 7 déc. 2023, SM, KM, aff. C-140/22)  la juridiction de renvoi demande si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens  -dans le contexte de l’annulation intégrale d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, au motif que ce contrat  contient  une  clause abusive sans laquelle il ne peut pas subsister- qu’une compensation demandée par le consommateur au titre de la restitution des sommes qu’il a acquittées  en exécution du contrat en cause puisse être diminuée de l’équivalent des intérêts que l’établissement bancaire aurait perçus si ce contrat était resté en vigueur.  

 

La juridiction de renvoi soulignait alors, que si s’appliquait l’interprétation de la Cour suprême, la créance d’un consommateur à l’égard d’une banque ne deviendrait exigible qu’après que celui-ci ait déclaré de manière libre et éclairée consentir à l’annulation du contrat. Or si cette interprétation était acceptée, il s’en suivrait, selon la juridiction de renvoi, que même si un consommateur demandait préalablement à une banque de rembourser les sommes indûment payées en raison de la nullité d’un contrat conclu avec celle-ci, sa créance ne serait pas exigible, de telle sorte qu’il ne serait en mesure de prétendre à des intérêts moratoires au taux légal qu’à partir de la date de présentation d’une telle déclaration. Ce serait, toujours au sens de la juridiction de renvoi, une violation du principe d’équivalence, dès lors qu’une créance imprescriptible devient exigible dès la demande de remboursement.  

 

La Cour, saisie de cette question, juge que la directive 1993/13 s’oppose à ce que la compensation demandée par le consommateur concerné au titre de la restitution des sommes qu’il a acquittées en exécution du contrat en cause soit diminuée de l’équivalent des intérêts que cet établissement bancaire aurait perçus si ce contrat était resté en vigueur. En outre, dans un tel contexte et en vertu des articles 6 et 7, premiers paragraphes  de la directive 93/13, il n’est pas possible de donner lieu à une interprétation jurisprudentielle du droit d’un Etat membre selon laquelle ledit établissement bancaire a le droit de demander au  consommateur  une  compensation  allant au-delà du remboursement du capital versé au titre de l’exécution du même contrat ainsi que du paiement des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure. [voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2023, Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat), C-520/21, EU:C:2023:478, point 84]. S’il était fait application d’une telle interprétation, cela conduirait à terme à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par l’annulation dudit contrat, et ainsi à porter atteinte à la réalisation de l’objectif à  long  terme  visé  à  l’article  7  de  la  directive  93/13.   

 

Dans la présente décision, la Cour de justice de l’union européenne, par le principe d’effectivité de la protection du consommateur, s’oppose à l’interprétation faite par le droit national. 

Mots clés :  

Clauses abusives – Protection du consommateur- Principe d’effectivité – Principe d’équivalence. 

 

 

EXTRAITS 

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que, dans le contexte de l’annulation intégrale d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, au motif que ce contrat contient une clause abusive sans laquelle il ne peut pas subsister : 

ils s’opposent à l’interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle l’exercice des droits que ce consommateur tire de cette directive est conditionné par la présentation, par ledit consommateur, devant une juridiction, d’une déclaration par laquelle il affirme, premièrement, ne pas consentir au maintien de cette clause, deuxièmement, avoir connaissance, d’une part, du fait que la nullité de ladite clause implique l’annulation dudit contrat ainsi que, d’autre part, des conséquences de cette annulation et, troisièmement, consentir à l’annulation du même contrat » 

 

 

ANALYSE 

 

En l’espèce, le caractère abusif concerne des clauses de conversion d’un prêt hypothécaire, assorti d’intérêts à taux variables libellé en zlotys polonais et indexé sur le franc suisse, conclu entre des particuliers et un établissement de crédit polonaise, en date du 18 février 2009. La Cour Suprême polonaise dans une résolution du 7 mai 2021 conditionne l’exercice des droits du consommateur, qui souhaiterait demander la nullité d’une clause abusive à une déclaration formalisée devant le juge dans laquelle le consommateur affirme, premièrement, ne pas consentir au maintien de cette clause, deuxièmement, avoir connaissance, du fait que la nullité de ladite clause implique l’annulation dudit contrat ainsi que des conséquences de cette annulation et, troisièmement, consentir à l’annulation du même contrat.  

 

Une juridiction de renvoi va alors poser une question préjudicielle à la Cour de justice européenne afin de savoir si l’introduction d’une telle déclaration, comme permettant l’exercice des droits du consommateur qui lui sont conférés dans la directive 93/13, est une interprétation valable de l’article 6 paragraphe 1 de la directive.  

 

La Cour commence par rappeler les grands principes formulés par la directive 93/13, à savoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs comme prévu à l’article 6 paragraphe 1 de la directive. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants, un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (l’arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen notamment).  

Elle rappelle en outre que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel. Puis, en se fondant sur l’arrêt Abanca Corporacion Bancaria et Bankia du 26 mars 2019, elle affirme une nouvelle fois que le consommateur peut s’opposer à la protection qui lui est réservée dans la directive. Cependant, si le consommateur a la possibilité de refuser l’application de la directive et sa protection en consentant de façon claire et éclairée à la survie d’une clause qui aurait été réputée non écrite sous l’égide de la directive, cette faculté de renonciation relève de la protection qui lui est faite par la directive. Ainsi, la protection découlant de la directive ne s’efface qu’en cas de renonciation claire et éclairée et ne peut être entravée par l’obligation positive d’invoquer les dispositions de la directive au moyen d’une déclaration formalisée présentée devant une juridiction pour faire valoir ses droits et sa protection, qui sont inhérents à sa qualité de consommateur.  

 

La Cour s’oppose donc à une interprétation du droit national selon laquelle un consommateur est tenu, afin de faire valoir les droits qu’il possède de cette directive, de présenter devant une juridiction, une déclaration formalisée au titre de l’article 6 §1 de la directive qui prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs.  

 

Dans cette décision, la Cour se prononce également sur le calcul des restitutions (CJUE, 7 déc. 2023, SM, KM, aff. C-140/22)

CJUE 23 novembre 2023, aff. C-321/22 Provident Polska 

 

Contrat de prêt – nullité – subsistance du contrat – clause fixant les modalités de paiement -  

 

EXTRAIT 

“L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière des principes d’effectivité, de proportionnalité et de sécurité juridique, 

doit être interprété en ce sens que : 

il ne s’oppose pas à ce qu’un contrat de prêt conclu entre un professionnel et un consommateur soit déclaré nul dans l’hypothèse où il est constaté que seule la clause de ce contrat fixant les modalités concrètes de paiement des sommes dues aux échéances périodiques est abusive et que ledit contrat ne peut subsister sans cette clause. Néanmoins, lorsqu’une clause comporte une stipulation détachable des autres stipulations de cette clause, susceptible de faire l’objet d’un examen individualisé de son caractère abusif, dont la suppression permettrait de rétablir un équilibre réel entre les parties sans affecter la substance du contrat concerné, cette disposition, lue à la lumière de ces principes, n’implique pas que ladite clause, voire ce contrat, soient invalidés dans leur ensemble.” 

 

ANALYSE  

Des prêts à la consommation ont été conclus par ZL KU et KM avec Provident Polska, et une autre société aux droits de laquelle Provident Polska est venue. 

Outre une question préjudicielle sur le caractère abusif de la clause de commission (CJUE C-321-22) et sur l’intérêt à agir du consommateur (CJUE C-321-22), une question était posée en ces termes à la Cour “L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 et les principes d’effectivité, de proportionnalité et de sécurité juridique doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent de considérer qu’un contrat de prêt dont seule la clause […] réglant les modalités de remboursement du prêt a été déclarée abusive ne peut pas rester contraignant sans cette clause abusive et qu’il est, de ce fait, nul ? »” 

 

La clause qui semblerait être abusive selon la juridiction de renvoi est celle qui, dans les contrats de l’espèce, fixe l’ensemble des modalités ainsi que les échéances de remboursement des prêts concernés. Cette clause comporte une stipulation selon laquelle le recouvrement des échéances sera fait en espèces par un agent de Provident Polska lors des visites de ce dernier au domicile du consommateur. Cette stipulation est jugée comme étant abusive par la juridiction de renvoi car elle a pour seul objectif de mettre le prêteur dans une position d’exercer une pression illégitime sur l’emprunteur. Selon la juridiction de renvoi, il faudrait donc invalider cette stipulation et toute la clause dans laquelle elle s’insère, le contrat ne contenant pas d’autres clauses permettant de définir les modalités de remboursement de ces prêts, il est impossible de les exécuter. 

 

La Cour rappelle que, selon l’article 6 de la directive 93/13, lorsqu’un contrat entre consommateur et professionnel contient une clause abusive, alors cette clause ne lie pas le consommateur, le contrat restera cependant contraignant pour les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans ladite clause. Le contrat peut donc en principe subsister, sans la clause abusive, pourvu qu’il soit juridiquement possible, conformément au droit interne, de faire subsister le contrat sans les clauses en cause. Il convient de vérifier cela selon une approche objective (CJUE 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18, point 39 et jurisprudence citée). Cette appréciation objective ne doit pas être uniquement fondée sur le caractère éventuellement avantageux pour le consommateur de l’annulation du contrat dans son intégralité (voir, en ce sens, CJUE 29 avril 2021, Bank BPH, C-19/20, points 56 et 57 et jurisprudence citée).  

 

L’article 6 paragraphe 1, second membre de phrase de la directive 93/13 ne donnant pas les critères selon lesquels un contrat peut subsister sans les clauses abusives, il est laissé aux États membres le soin de le faire dans leurs droits nationaux. Donc, si une juridiction nationale, en conformité avec son droit interne, estime que le maintien d’un contrat sans ses clauses abusives n’est pas possible, alors l’article 6 paragraphe 1 de la directive 93/13 ne s’y oppose pas (CJUE 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18) 

 

L’objectif de rétablissement de la situation du consommateur en droit et en fait qui aurait été la sienne en l’absence de clause abusive doit néanmoins être poursuivi tout en respectant le principe de proportionnalité. (voir en ce sens, CJUE 15 juin 2023, Bank M.C-520/21, point 73 et jurisprudence citée). 

 

Donc, sauf si selon l’approche objective évoquée pour le constat du caractère abusif d’une clause et la persistance ou non du contrat dans lequel elle est insérée ne laisse aucune marge d’appréciation ou d’interprétation au juge national, le juge ne peut conclure à l’invalidation du contrat si la situation dans laquelle aurait été le consommateur en droit et en fait en l’absence de cette clause peut être rétablie en laissant subsister le contrat. 

 

La Cour rappelle à cet égard que le juge national peut substituer à une clause abusive une disposition à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties au contrat à la double condition que la substitution soit conforme à l’objectif de l’article 6 paragraphe 1 de la directive et permette de restaurer un équilibre réel entre les droits et obligations des cocontractants, une possibilité néanmoins limitée aux hypothèses dans lesquelles l’invalidation de la clause abusive obligerait le juge à annuler le contrat dans son ensemble, ayant pour effet de pénaliser le consommateur, (voir, en ce sens, arrêts du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank, C-482/13, C-484/13, C-485/13 et C-487/13, EU :C :2015 :21, point 33 et du 12 janvier 2023, D.V., C-395/21, EU :C :2023 :14, point 60). Elle note qu’en l’espèce, une telle possibilité est écartée par la juridiction de renvoi, l’invalidation des contrats concernés n’étant pas préjudiciable aux consommateurs. 

 

Elle rappelle également que si les dispositions de la directive 93/13 s’opposent à ce qu’une clause jugée abusive soit maintenue en partie par la suppression des éléments qui la rendent abusives, lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu  de cette clause en affectant sa substance, (arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH, C-19/20, EU:C:2021:341, point 70), tel n’est pas le cas lorsque l’élément abusif d’une clause consiste en une obligation contractuelle distincte des autres stipulations, susceptible de faire l’objet d’un examen individualisé de son caractère abusif (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH, C-19/20, EU:C:2021:341, point 71). 

 

En effet, l’objectif poursuivi de la directive 93/13 consistant à protéger le consommateur et à rétablir l’équilibre entre les parties en écartant l’application des clauses considérées comme abusives, tout en maintenant, en principe, la validité des autres clauses du contrat en cause, la directive n’exige pas que le juge national écarte des clauses autres que celles ayant été qualifiées d’abusive, (arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH, C-19/20, EU:C:2021:341, point 72 et jurisprudence citée), cela valant également pour les diverses stipulations d’une même clause, pour autant que la suppression d’une stipulation abusive ne porte pas atteinte à la substance même de cette clause. 

 

En l’espèce, l’unique clause fixant l’ensemble des conditions relatives au remboursement des prêts concernés comporte également une stipulation relative aux modalités concrètes selon lesquelles ces paiements doivent être exécutés, cette dernière constituant selon la Cour une obligation contractuelle distincte des autres stipulations d’une clause unique, revêtant un caractère accessoire par rapport aux éléments du contrat qui définissent la substance de cette clause. La suppression de cette stipulation ne semble en outre pas de nature à affecter la substance même de la clause concernée, dès lors que le consommateur reste tenu d’exécuter son obligation de remboursement conformément aux autres conditions que prévoit cette clause. 

 

Elle ajoute que la constatation juridictionnelle du caractère abusif d’une clause ou, le cas échéant, d’un élément d’une clause d’un contrat couvert par la directive 93/13 doit avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de cette clause ou de cet élément [voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2023, Bank M. C-520/21, EU:C:2023:478, point 57 et jurisprudence citée]. Le respect du principe d’effectivité est donc, selon la Cour, fonction de l’adoption de mesures permettant le rétablissement de cette situation.  

 

Elle rappelle que des mesures constituant la mise en œuvre concrète de l’interdiction des clauses abusives ne peuvent être considérées comme contraires au principe de sécurité juridique( en ce sens, arrêt du 15 juin 2023, Bank M., C-520/21, EU:C:2023:478, point 72], en ce que, sous réserve de l’application de certaines règles de procédure internes (notamment celle conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle) ce principe ne saurait porter atteinte à la substance du droit que les consommateurs tirent de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 de ne pas être liés par une clause réputée abusive (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980, points 67, 68 et 71) 

 

La Cour conclut ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière des principes d’effectivité, de proportionnalité et de sécurité juridique, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un contrat de prêt conclu entre un professionnel et un consommateur soit déclaré nul dans l’hypothèse où il est constaté que seule la clause de ce contrat fixant les modalités concrètes de paiement des sommes dues aux échéances périodiques est abusive et que ledit contrat ne peut subsister sans cette clause.  

 

Néanmoins, lorsqu’une clause comporte une stipulation détachable des autres stipulations de cette clause, susceptible de faire l’objet d’un examen individualisé de son caractère abusif, dont la suppression permettrait de rétablir un équilibre réel entre les parties sans affecter la substance du contrat concerné, cette disposition, lue à la lumière de ces principes, n’implique pas que ladite clause, voire ce contrat, soient invalidés dans leur ensemble. 

 

Voir également : Cass. civ. 1ère 2 juin 2021 n°19-22.455, 

CJUE 23 novembre 2023, aff. C-321/22 Provident Polska 

 

Défaut d’intérêt à agir – Exigences procédurales- Principe d’effectivité 

EXTRAIT  

“L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que : 

il s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée dans la jurisprudence, exigeant, pour qu’il puisse être fait droit à l’action en justice d’un consommateur visant à faire constater l’inopposabilité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu avec un professionnel, la preuve d’un intérêt à agir, dès lors qu’il est considéré qu’un tel intérêt fait défaut lorsque ce consommateur dispose d’une action en répétition de l’indu ou lorsqu’il peut faire valoir cette inopposabilité dans le cadre de sa défense à une action reconventionnelle en exécution intentée contre lui par ce professionnel sur le fondement de cette clause.” 

ANALYSE 

Des prêts à la consommation ont été conclus par ZL KU et KM avec Provident Polska, et une autre société aux droits de laquelle Provident Polska est venue. 

Outre une première question préjudicielle sur le caractère abusif de la clause de commission (CJUE C-321-22) et sur la portée de la sanction (CJUE C-321-22), une question était posée en ces termes à la Cour : “L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 et le principe d’effectivité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale ou à l’interprétation jurisprudentielle de cette législation nationale qui requiert un intérêt à agir du consommateur pour faire droit au recours de ce consommateur contre un professionnel visant à faire constater la nullité ou l’inopposabilité du contrat ou de la partie du contrat contenant des clauses abusives ?” 

La Cour rappelle que si les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 relèvent en l’absence de réglementation spécifique de l’Union en la matière de l’ordre juridique interne des États membres (principe de l’autonomie procédurale), ces modalités ne doivent être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence), ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (CJUE 13 juillet 2023, CAJASUR Banco, C-35/22, point 23). 

Sous réserve de ces deux principes, la question de l’intérêt à agir d’un consommateur dans le cadre d’une action visant à faire constater l’inopposabilité de clauses abusives ainsi que celle de la charge des dépens d’une telle action relèvent selon la Cour de l’autonomie procédurale des États membres. 

La Cour précise que la question de la violation du principe d’effectivité, principe visé en l’espèce, doit être analysée en tenant compte de la place de la disposition litigieuse dans l’ensemble de la procédure ainsi que du déroulement et des particularités de cette dernière devant les diverses instances nationales, notamment en prenant en considération les principes à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (CJUE 13 juillet 2023, CAJASUR Banco, C-35/22, point 25.) 

Elle rappelle qu’étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux Etats membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (article 7, paragraphe 1 de la directive 93/13) (CJUE 13 juillet 2023, CAJASUR Banco, C-35/22, point 22).. 

La directive 93/13 donne ainsi à un consommateur le droit de s’adresser à un juge afin de faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat qu’un professionnel a conclu avec lui et de faire écarter l’application de celle-ci (CJUE 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19, EU:C:2020:578, point 98 ). 

 

La Cour précise que si l’obligation des États membres de prévoir des modalités procédurales permettant d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent de la directive 93/13 contre l’utilisation de clauses abusives implique une exigence de protection juridictionnelle effective, consacrée également à l’article 47 de la Charte, la protection du consommateur n’est toutefois pas absolue. Ainsi, le fait qu’une procédure particulière comporte certaines exigences procédurales que le consommateur doit respecter afin de faire valoir ses droits ne signifie pas pour autant qu’il ne bénéficie pas d’une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, CJUE 31 mai 2018, Sziber, C-483/16, points 49 et 50). 

La Cour relève à cet égard que l’existence d’un intérêt à agir constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice (CJUE 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C-596/15 P et C-597/15 P, point 83), poursuivant un intérêt général de bonne administration de la justice et pouvant prévaloir sur les intérêts particuliers (voir, par analogie, CJUE du 31 mai 2018, Sziber, C-483/16, EU:C:2018:367, point 51 et jurisprudence citée), et étant ce faisant, en principe, légitime. 

 

Pour que ces règles procédurales soient contraires au principe d’effectivité posé par la directive 93/12, il faudrait qu’elles soient complexes et comportent des exigences lourdes allant au delà des objectifs qu’elles souhaitent atteindre (voir, en ce sens, CJUE 31 mai 2018, Sziber, C-483/16, point 52). 

 

En l’espèce, les consommateurs avaient déjà exécuté partiellement les obligations contenues dans les clauses litigieuses avant d’introduire leur action. De ce fait, la juridiction de renvoi en suivant la position du droit national ainsi que de la jurisprudence nationale pense qu’il faudrait rejeter les actions dont elle a été saisie en raison de défaut d’intérêt à agir et que les consommateurs devraient être condamnés aux dépens pour leurs actions, pour deux motifs. 

Le premier motif étant que si l’obligation a déjà été exécutée, au moins partiellement, le défaut d’intérêt à agir en constatation de l’inexistence de cette obligation trouve son fondement dans le fait qu’il semblerait plus pertinent et plus protecteur d’exercer une action en répétition de l’indu. 

Selon le deuxième motif, lorsque l’obligation n’a pas été exécutée, la personne qui conteste l’existence de cette obligation perd son intérêt à agir dès lors que le cocontractant introduit une action visant à obtenir l’exécution de cette obligation, sous forme d’action reconventionnelle.  

 

La CJUE précise que dans le cas du premier motif, rejeter l’action du consommateur en constatation du caractère abusif des clauses en raison d’un défaut d’intérêt à agir adéquat, mais non de tout intérêt à agir, le condamner aux dépens et le renvoyer à mieux se pourvoir introduit une complexité procédurale, de lourdeur, de frais et d’insécurité juridique inutiles, méconnaissant le principe d’effectivité de la directive 93/13. En effet, au regard de ces difficultés, le consommateur pourrait être dissuadé de faire valoir les droits qu’il tire de ladite directive. 

 

Dans la situation évoquée dans le deuxième motif, raisonner comme la juridiction de renvoi l’a fait reviendrait à faire peser sur le consommateur un risque financier d’autant plus injustifié que la réalisation du risque évoqué dépendrait exclusivement d’une initiative procédurale du professionnel. Cela serait également de nature à dissuader le consommateur de faire valoir ses droits tirés de la directive 93/13 et donc contraire au principe d’effectivité posé par cette même directive (voir, en ce sens, CJUE 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19, EU:C:2020:578, point 98, ainsi que jurisprudence citée). 

 

La Cour conclut donc que l’article 7 paragraphe 1 de la directive 93/13 lu à la lumière du principe d’effectivité s’interprète en ce sens qu’il “s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée dans la jurisprudence, exigeant, pour qu’il puisse être fait droit à l’action en justice d’un consommateur visant à faire constater l’inopposabilité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu avec un professionnel, la preuve d’un intérêt à agir, dès lors qu’il est considéré qu’un tel intérêt fait défaut lorsque ce consommateur dispose d’une action en répétition de l’indu ou lorsqu’il peut faire valoir cette inopposabilité dans le cadre de sa défense à une action reconventionnelle en exécution intentée contre lui par ce professionnel sur le fondement de cette clause.”