Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce040401.htm

ANALYSE 1 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, protection, appréciation par le juge national du caractère abusif d’une clause.

Résumé : Si la CJCE peut interpréter les critères généraux utilisés par le législateur communautaire pour définir la notion de clause abusive, elle ne saurait, en revanche, se prononcer sur l’application de ces critères à une clause particulière qui doit être examinée par le juge national en fonction des circonstances propres au cas d’espèce pour déterminer si cette clause réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive.

Dans l’affaire C-473/00,  ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 234 CE, par le tribunal d’instance de Vienne (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre C… SA et J…-L… F…, une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. M. Wathelet, président de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, D. A. O. Edward, A. La Pergola

et P. Jann (rapporteur), juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

 

considérant les observations écrites présentées:

– pour C… SA, par Me B. Célice, avocat,

– pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. H. Dossi, en qualité d’agent,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. D. Martin et M. França, en qualité d’agents,

 

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de C…SA, représentée par Me B. Soltner, avocat, de M. F…, représenté par Me J. Franck, avocat, du gouvernement français, représenté par Mme R. Loosli-Surrans, et de la Commission, représentée par M. M. França, à l’audience du 17 janvier 2002,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 avril 2002

rend le présent Arrêt

1. Par jugement du 15 décembre 2000, rectifié par jugement du 26 janvier 2001, parvenus à la Cour respectivement les 27 décembre 2000 et 29 janvier 2001, le tribunal d’instance de Vienne a posé, en vertu de l’article 234 CE, une question préjudicielle relative à l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant C…SA (ci-après «C…»), société de droit français, à M. F… au sujet du paiement de sommes dues en exécution d’un contrat de crédit conclu par ce dernier avec ladite société.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3. Aux termes de l’article 1er de la directive:

1..La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

2..Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives […] ne sont pas soumises aux dispositions de la directive.»

4. L’article 3, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.»

5. L’article 4 de la directive précise la manière dont le caractère abusif d’une clause doit être apprécié. Le paragraphe 2 de cette disposition prévoit:

«L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.»

6. En vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

7. Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive:

«Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.»

La réglementation nationale

8. Les dispositions relatives aux clauses abusives se trouvent dans le livre I («Information des consommateurs et formation des contrats»), titre III («Conditions générales des contrats»), chapitre 2, intitulé «Clauses abusives», du code de la consommation.

9. L’article L. 132-1 dudit code, dans sa version résultant de la loi n° 95-96, du 1er février 1995, concernant les clauses abusives et la présentation des contrats, définit ce qu’il convient d’entendre par «clauses abusives» et précise que celles-ci «sont réputées non écrites». Selon le jugement de renvoi, cette sanction équivaut à une nullité qui, conformément aux règles générales en matière contractuelle, peut être invoquée pendant cinq ans par voie d’action et de manière perpétuelle par voie d’exception.

10. L’article L. 311-37 du code de la consommation, auquel se réfère le jugement de renvoi, se trouve dans le livre III («Endettement»), titre I («Crédit»), chapitre 1, intitulé «Crédit à la consommation», dudit code. Ce chapitre prévoit notamment des règles de forme très précises.

11. L’article L. 311-37, premier alinéa, du code de la consommation dispose:

«Le tribunal d’instance connaît des litiges nés de l’application du présent chapitre. Les actions engagées devant lui doivent être formées dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion […]»

Le litige au principal et la question préjudicielle

12. Par contrat du 26 janvier 1998, C… a accordé à M. F… une ouverture de crédit. Les échéances étant restées impayées, C… a assigné, le 24 août 2000, M. F… devant le tribunal d’instance de Vienne en paiement des sommes dues.

13. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que l’offre de crédit se présente sous la forme d’un feuillet imprimé recto verso, comportant la mention «demande gratuite de réserve d’argent» en gros caractères sur la face recto, tandis que les mentions relatives au taux d’intérêt conventionnel et à une clause pénale figurent en petits caractères sur la face verso. Le tribunal d’instance de Vienne a déduit de ces constatations que «les clauses financières […] manquent de lisibilité» et que «ce défaut de lisibilité est à rapprocher de la mention de ‘gratuité’ […] en des formes particulièrement apparentes», laquelle était de nature à induire en erreur le consommateur. Il en a conclu que «les clauses financières peuvent être regardées comme abusives».

14. Toutefois, s’agissant d’un litige concernant une opération de crédit à la consommation, le tribunal d’instance de Vienne a considéré que le délai de forclusion de deux ans prévu à l’article L. 311-37 du code de la consommation est applicable et lui interdit d’annuler les clauses dont il a constaté le caractère abusif.

15. C’est dans ces conditions que le tribunal d’instance de Vienne a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La protection que la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, [assure à ceux-ci implique] que le juge national, appliquant des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à ladite directive, les interprète dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de celle-ci;

Cette exigence d’une interprétation conforme du système de protection des consommateurs prévu par la directive impose-t-elle au juge national, saisi d’une action en paiement, engagée par le professionnel à l’encontre du consommateur avec lequel il a contracté, d’écarter une règle de procédure d’exception, telle celle prévue à l’article L. 311-37 du code de la consommation, en ce qu’elle interdit au juge national d’annuler, à la demande du consommateur ou d’office, toute clause abusive viciant le contrat dès lors que celui-ci a été formé plus de deux ans avant l’introduction de l’instance et en ce qu’elle permet, ainsi, au professionnel de se prévaloir en justice desdites clauses et de fonder son action sur celles-ci?»

Sur la question préjudicielle

16. Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si la protection que la directive assure aux consommateurs s’oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l’expiration d’un délai de forclusion de relever, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d’une clause insérée dans ledit contrat.

Sur la recevabilité

17. À titre liminaire, C… et le gouvernement français émettent des doutes quant à la pertinence de la question posée au regard de la solution du litige au principal et donc quant à la recevabilité de la demande préjudicielle.

18. C… soutient que les clauses jugées abusives par la juridiction de renvoi n’entrent pas dans le champ d’application de la directive. S’agissant de clauses financières incluses dans un contrat de crédit, elles porteraient sur la définition de l’objet principal de celui-ci. Dès lors, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive, elles seraient exclues du champ d’application de cette dernière. Les clauses en question ne sauraient se voir reprocher un défaut de clarté puisqu’elles ne seraient que la reproduction d’un modèle de contrat élaboré par le législateur national, lequel ne serait pas soumis, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive, aux dispositions de celle-ci.

19. C…  ajoute que c’est à tort que la juridiction de renvoi a jugé applicable au domaine des clauses abusives le délai de forclusion prévu à l’article L. 311-37 du code de la consommation en matière de crédit à la consommation. Le gouvernement français relève que cette question suscite effectivement des doutes et que la Cour de cassation (France) n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ce point.

20. À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Le rejet d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire ou l’examen de la validité d’une règle communautaire, demandés par cette juridiction, n’ont

aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal (voir, notamment, arrêts du 22 juin 2000, Fornasar e.a., C-318/98, Rec. p. I-4785, point 27, et du 10 mai 2001, Agorà et Excelsior, C-223/99 et C-260/99, Rec. p. I-3605, points 18 et 20).

21. En l’espèce, la juridiction de renvoi considère que certaines des clauses financières imprimées du contrat de crédit dont il a à connaître sont entachées d’un défaut de clarté et de compréhensibilité. Ce défaut serait lié notamment à l’emploi, sur l’imprimé utilisé par l’établissement de crédit, de termes d’inspiration publicitaire, évoquant une prétendue gratuité de l’opération, que la juridiction de renvoi considère comme ayant été de nature à induire le consommateur en erreur.

22. À cet égard, il convient de relever que, dans la mesure où elles ne se limitent pas à refléter des dispositions législatives ou réglementaires impératives et où il leur est reproché une rédaction ambiguë, il n’apparaît pas de manière manifeste que les clauses en question échappent au champ d’application de la directive, tel qu’il est délimité par les articles 1er, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de celle-ci.

23. Pour entrer dans le champ d’application de la directive, lesdites clauses doivent toutefois répondre aux critères définis à l’article 3, paragraphe 1, de la directive, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et doivent, en dépit de l’exigence de bonne foi, créer au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. Bien que la juridiction de renvoi n’ait fourni aucun élément sur ce dernier point, il ne saurait être exclu que cette condition soit remplie.

24. Quant à la question de savoir si le délai de forclusion prévu à l’article L. 311-37 du code de la consommation est applicable ou non aux clauses abusives, il s’agit d’une question relevant du droit national qui, en tant que telle, échappe à la compétence de la Cour.

25. Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que la question posée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.

26. Il s’ensuit que la demande préjudicielle est recevable. Il y a donc lieu d’y répondre, en se fondant sur la prémisse selon laquelle les clauses que la juridiction de renvoi considère comme abusives satisfont aux critères définis aux articles 1er, paragraphe 2, 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de la directive.

Sur le fond

27. C… et le gouvernement français s’attachent en premier lieu à distinguer l’affaire au principal de celle qui a donné lieu à l’arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C-240/98 à C-244/98, Rec. p. I-4941). Selon eux, en permettant au juge national d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause attributive de juridiction, la Cour a simplement permis à ce dernier de relever lui-même son incompétence. Dans l’affaire au principal, il s’agirait cependant d’apprécier si le juge doit ou non appliquer un délai de forclusion imposé par le législateur national.

28. C… et le gouvernement français soutiennent en second lieu que, en l’absence dans la directive d’une disposition relative à un éventuel délai de forclusion, la question de l’application d’un tel délai relève du principe de l’autonomie procédurale. Il appartiendrait dès lors à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de la directive dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité. Or, la Cour aurait constaté à diverses occasions la compatibilité avec ces principes de délais de forclusion plus brefs que celui de deux ans prévu à l’article L. 311-37 du code de la consommation (arrêts du 16 décembre 1976,Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, et du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261/95, Rec. p. I-4025).

29. M. F… soutient qu’il convient de faire une interprétation large de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité. Selon lui, la Cour a, dans cet arrêt, considéré la possibilité pour le juge national d’apprécier d’office l’illégalité d’une clause abusive comme un moyen permettant d’atteindre le résultat fixé à l’article 6 de la directive, à savoir garantir que les clauses abusives ne lient pas le consommateur. Or, ce résultat ne pourrait être atteint si cette possibilité était soumise à un délai. Dans le cas des contrats de crédit à la consommation, la plupart des procédures seraient introduites par le prêteur professionnel, auquel il suffirait d’attendre l’expiration dudit délai pour introduire l’action en paiement, privant ainsi le consommateur de la protection instituée par la directive.

30. Le gouvernement autrichien, tout en reconnaissant que la directive laisse aux États membres une marge d’appréciation importante et qu’un délai de prescription peut contribuer à la sécurité juridique, fait valoir que, eu égard à l’effet de forclusion du délai en cause et à sa brièveté, il est douteux qu’il permette d’atteindre le résultat prescrit par les articles 6 et 7 de la directive.

31. La Commission, qui soutient également une interprétation large de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, estime que la fixation d’une limite temporelle au pouvoir reconnu au juge de relever d’office l’illégalité d’une clause abusive est contraire aux objectifs de la directive. Permettre aux États membres d’établir de telles limites, éventuellement différentes, serait en outre contraire au principe d’application uniforme du droit communautaire.

32. À cet égard, il convient de rappeler que, au point 28 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, la Cour a jugé que la faculté pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause constitue un moyen propre à la fois à atteindre le résultat fixé à l’article 6 de la directive, à savoir empêcher qu’un consommateur individuel ne soit lié par une clause abusive, et à contribuer à la réalisation de l’objectif visé à son article 7, dès lors qu’un tel examen peut avoir un effet dissuasif concourant à faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

33. Cette faculté reconnue au juge a été considérée comme nécessaire pour assurer au consommateur une protection effective, eu égard notamment au risque non négligeable que celui-ci soit dans l’ignorance de ses droits ou rencontre des difficultés pour les exercer (arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 26).

34. La protection que la directive confère aux consommateurs s’étend ainsi aux hypothèses dans lesquelles le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat contenant une clause abusive s’abstient d’invoquer le caractère abusif de cette clause soit parce qu’il ignore ses droits, soit parce qu’il est dissuadé de les faire valoir en raison des frais qu’une action en justice entraînerait.

35. Il apparaît dès lors que, dans les procédures ayant pour objet l’exécution de clauses abusives, introduites par des professionnels à l’encontre de consommateurs, la fixation d’une limite temporelle au pouvoir du juge d’écarter, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, de telles clauses est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par les articles 6 et 7 de la directive. Il suffit en effet aux professionnels, pour priver les consommateurs du bénéfice de cette protection, d’attendre l’expiration du délai fixé par le législateur national pour demander l’exécution des clauses abusives qu’ils continueraient d’utiliser dans les contrats.

36. Il y a donc lieu de considérer qu’une disposition procédurale qui interdit au juge national, à l’expiration d’un délai de forclusion, de relever, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par un consommateur, le caractère abusif d’une clause dont l’exécution est demandée par le professionnel, est de nature à rendre excessivement difficile, dans les litiges auxquels les consommateurs sont défendeurs, l’application de la protection que la directive entend leur conférer.

37. Cette interprétation n’est pas contredite par le fait que, comme le font valoir C… et le gouvernement français, la Cour a jugé à diverses reprises que des délais de forclusion plus brefs que celui en cause dans l’affaire au principal ne sont pas incompatibles avec la protection des droits conférés à des particuliers par le droit communautaire (arrêts précités Rewe et Palmisani). Il suffit en effet de rappeler que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales (arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 14). Les arrêts précités Rewe et Palmisani invoqués par C… et le gouvernement français ne sont donc que le résultat d’appréciations au cas par cas, portées en considération de l’ensemble du contexte factuel et juridique propre à chaque affaire, qui ne sauraient être transposées automatiquement dans des domaines différents de ceux dans le cadre desquels elles ont été émises.

38. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que la protection que la directive assure aux consommateurs s’oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l’expiration d’un délai de forclusion de relever, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d’une clause insérée dans ledit contrat.

Sur les dépens

39. Les frais exposés par les gouvernements français et autrichien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

statuant sur la question à elle soumise par le tribunal d’instance de Vienne, par jugement du 15 décembre 2000, rectifié par jugement du 26 janvier 2001, dit pour droit:

La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, s ‘ oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l ‘ encontre d ‘ un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l ‘ expiration d ‘ un délai de forclusion de relever, d ‘ office ou à la suite d ‘ une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d ‘ une clause insérée dans ledit contrat.

Wathelet
Timmermans
Edward
La Pergola
Jann

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 novembre 2002
Le greffier
Le président de la cinquième chambre
R. Grass
M. Wathelet

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce021121.htm

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, non conformité, réglementation interne interdisant au juge national à l’expiration d’un délai de forclusion de relever le caractère abusif d’une clause, portée.

Résumé La protection que la directive n°93/13 du 5 avril 1993 assure aux consommateurs s’oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l’expiration d’un délai de forclusion de relever, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d’une clause insérée dans ledit contrat.

Dans l’affaire C-478/99,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. L. Parpala et P. Stancanelli, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume de Suède, représenté par Mme L. Nordling et M. A. Kruse, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume de Danemark, représenté par M. J. Molde, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

et par

République de Finlande, représentée par Mmes T. Pynnä et E. Bygglin, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet de faire constater que, en s’abstenant d’adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour transposer dans son ordre juridique national l’annexe visée à l’article 3, paragraphe 3, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29), le royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. P. Jann (rapporteur), président de chambre, D. A. O. Edward et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l’audience du 25 octobre 2001,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 janvier 2002,

rend le présent

Arrêt

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 décembre 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en s’abstenant d’adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour transposer dans son ordre juridique national l’annexe visée à l’article 3, paragraphe 3, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»), le royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

La directive

2. Aux termes de son article 1er, la directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. L’article 8 prévoit toutefois que les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus strictes pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur.

3. L’article 3 de la directive est libellé comme suit:

«1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. […]

3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

4. La directive comporte une annexe, intitulée «Clauses visées à l’article 3 paragraphe 3», qui énumère dix-sept types de clauses contractuelles. Le dix-septième considérant de la directive précise à cet égard que, «pour les besoins de la présente directive, la liste des clauses figurant en annexe ne saurait avoir qu’un caractère indicatif et que, en conséquence du caractère minimal, elle peut faire l’objet d’ajouts ou de formulations plus limitatives notamment en ce qui concerne la portée de ces clauses, par les États membres dans le cadre de leur législation».

5. Selon l’article 10 de la directive, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive au plus tard le 31 décembre 1994.

La réglementation nationale

6. La directive a été transposée en droit suédois par la lagen (1994:1512) om avtalsvillkor i konsumentförhållanden (loi sur les clauses contractuelles dans les relations avec les consommateurs) et par la lagen (1994:1513) om ändring i lagen (1915:218) om avtal och andra rättshandlingar på förmögenhetsrättens område (loi modifiant la loi sur les contrats et autres actes juridiques en droit patrimonial).

7. L’annexe de la directive n’a pas été reprise dans le texte de ces lois. Elle figure, accompagnée de commentaires, dans l’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la lagen (1994:1512).

La procédure

8. Considérant que la directive n’avait pas été transposée de manière complète en droit suédois dans le délai prescrit, la Commission a engagé la procédure en manquement. Après avoir mis le royaume de Suède en demeure de lui présenter ses observations, la Commission a, le 6 avril 1998, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Le royaume de Suède n’ayant pas donné suite à cet avis, la Commission a introduit le présent recours.

9. Par ordonnances du président de la Cour des 26 mai et 4 juillet 2000, la république de Finlande et le royaume de Danemark ont été admis à intervenir à l’appui des conclusions du royaume de Suède.

Sur le fond

10. La Commission fait valoir que la directive a un double objectif: d’une part, ainsi qu’il ressort de son article 1er et de son deuxième considérant, rapprocher les dispositions en vigueur dans les États membres en ce qui concerne les clauses abusives insérées dans les contrats conclus avec les consommateurs; d’autre part, comme l’indiquent ses cinquième et huitième considérants, améliorer l’information des consommateurs quant aux règles de droit applicables.

11. Le fait que la liste de clauses abusives figurant en annexe à la directive est, comme l’indique l’article 3, paragraphe 3, de la directive, «non exhaustive» signifierait que, conformément à l’article 8 de la directive, elle peut faire l’objet d’ajouts ou de formulations plus limitatives de la part des États membres dans le cadre de leur législation. De même, le fait que cette liste est, comme le précise ledit article 3, paragraphe 3, «indicative» signifierait seulement que les clauses y énumérées ne doivent pas être automatiquement considérées comme abusives, mais que l’autorité nationale compétente doit être libre d’en apprécier la nature au regard des critères généraux définis aux articles 3, paragraphe 1, et 4, de la directive.

12. En tout état de cause, il serait indispensable, pour pouvoir atteindre le double objectif poursuivi et pour satisfaire aux exigences de la sécurité juridique, que cette liste soit publiée comme partie intégrante des dispositions transposant la directive. Une simple mention dans les travaux préparatoires d’une loi ne saurait suffire, ainsi qu’il découlerait de l’arrêt du 30 janvier 1985, Commission/Danemark (143/83, Rec. p. 427, point 11). Il serait douteux que le public intéressé, qui comprend non seulement les consommateurs mais également les opérateurs économiques tant suédois qu’étrangers, et les autorités nationales compétentes pour l’application des mesures de transposition de la directive aient facilement accès à ces travaux préparatoires, voire soient informés de leur existence et de leur importance.

13. Le gouvernement suédois, soutenu en tous ses moyens et arguments par les gouvernements danois et finlandais, rappelle que, conformément à l’article 249 CE, les États membres jouissent d’une grande liberté en ce qui concerne la forme et les moyens de transposition d’une directive. La présente affaire se distinguerait de l’affaire Commission/Danemark, précitée, en ce que la liste figurant en annexe à la directive, qui ne serait qu’un instrument d’interprétation des critères généraux définis par les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive, n’aurait pas, en soi, pour objectif la création de droits et d’obligations pour les particuliers.

14. Lors de la transposition de la directive, la question de son annexe aurait fait l’objet d’un débat approfondi. Selon une tradition juridique bien établie en Suède et commune aux pays nordiques, les travaux préparatoires constitueraient un instrument majeur d’interprétation des lois. L’incorporation de l’annexe de la directive dans ces travaux serait ainsi apparue comme la solution la mieux adaptée. Les juridictions suédoises auraient d’ores et déjà considéré comme abusives la plupart des clauses visées dans ladite annexe, le cas échéant en se référant à la liste en question, et le public intéressé serait informé de son existence par divers moyens.

15. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, chacun des États membres destinataires d’une directive a l’obligation de prendre, dans son ordre juridique national, toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer le plein effet de la directive, conformément à l’objectif qu’elle poursuit (voir, notamment, arrêts du 17 juin 1999, Commission/Italie, C-336/97, Rec. p. I-3771, point 19, et du 8 mars 2001, Commission/France, C-97/00, Rec. p. I-2053, point 9).

16. En l’espèce, l’article 6 de la directive impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs. L’article 7 leur fait également obligation de mettre en place des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

17. L’article 3 de la directive définit de manière abstraite les éléments qui donnent à une clause un caractère abusif. L’article 4 précise que ce caractère abusif doit être apprécié en tenant compte des circonstances qui ont entouré la conclusion du contrat. L’article 5 prévoit une obligation de clarté dans la rédaction des clauses proposées au consommateur.

18. Ces dispositions, qui visent à accorder des droits aux consommateurs, définissent le résultat auquel tend la directive. Selon une jurisprudence constante, il est indispensable que la situation juridique découlant des mesures nationales de transposition soit suffisamment précise et claire et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et, le cas échéant, de s’en prévaloir devant les juridictions nationales (voir, notamment, arrêts du 23 mars 1995, Commission/Grèce, C-365/93, Rec. p. I-499, point 9, et du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas, C-144/99, Rec. p. I-3541, point 17). Ainsi que la Cour l’a déjà souligné, cette dernière condition est particulièrement importante lorsque la directive en cause vise à accorder des droits aux ressortissants d’autres États membres, comme tel est le cas en l’espèce (arrêt Commission/Pays-Bas, précité, point 18).

19. La Commission ne fait pas valoir que le royaume de Suède n’a pas satisfait aux obligations qui lui incombent en vertu desdites dispositions de la directive.

20. S’agissant de l’annexe visée à l’article 3, paragraphe 3, de la directive, dont la transposition fait l’objet du présent recours, il convient de relever que, selon les termes mêmes de cette disposition, l’annexe en cause contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. Il est constant qu’une clause qui y figure ne doit pas nécessairement être considérée comme abusive et que, inversement, une clause qui n’y figure pas peut néanmoins être déclarée abusive.

21. Dans la mesure où elle ne limite pas la marge d’appréciation dont disposent les autorités nationales dans la détermination du caractère abusif d’une clause, la liste figurant en annexe à la directive ne vise pas à reconnaître aux consommateurs des droits allant au-delà de ceux qui résultent des articles 3 à 7 de la directive. Elle ne modifie en rien le résultat auquel tend la directive et qui, comme tel, s’impose aux États membres. Il s’ensuit que, contrairement à la thèse soutenue par la Commission, le plein effet de la directive peut être assuré dans un cadre légal suffisamment précis et clair sans que la liste figurant en annexe à la directive fasse partie intégrante des dispositions transposant la directive.

22. Dans la mesure où la liste figurant en annexe à la directive a une valeur indicative et illustrative, elle constitue une source d’information à la fois pour les autorités nationales chargées d’appliquer les mesures de transposition et pour les particuliers concernés par lesdites mesures. Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 48 de ses conclusions, les États membres doivent donc, afin d’atteindre le résultat visé par la directive, choisir une forme et des moyens de transposition offrant une garantie suffisante que le public pourra en prendre connaissance.

23. En l’espèce, l’annexe de la directive a été intégralement reprise dans les travaux préparatoires de la loi assurant la transposition de la directive. Le gouvernement suédois a fait valoir que, selon une tradition juridique bien établie en Suède et commune aux pays nordiques, les travaux préparatoires constituent un instrument majeur d’interprétation des lois. Il a en outre affirmé que ces travaux peuvent être aisément consultés et que, au surplus, l’information du public sur les clauses considérées ou pouvant être considérées comme abusives est assurée par divers moyens. En réponse à ces explications, la Commission s’est bornée à soutenir que ces éléments ne sauraient compenser le fait que la liste figurant en annexe à la directive ne fait pas partie intégrante des dispositions transposant la directive.

24. Dans ces conditions, il convient de constater que la Commission n’a pas établi que les mesures prises par le royaume de Suède n’offrent pas une garantie suffisante pour que le public puisse prendre connaissance de la liste figurant en annexe à la directive.

25. Il découle de ce qui précède que la Commission n’a pas démontré que le royaume de Suède s’est abstenu d’adopter les mesures nécessaires pour transposer dans son ordre juridique national l’annexe visée à l’article 3, paragraphe 3, de la directive.

26. Le recours doit en conséquence être rejeté.

Sur les dépens

27. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le royaume de Suède ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en son action, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, le royaume de Danemark et la république de Finlande supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

3) Le royaume de Danemark et la république de Finlande supportent leurs propres dépens.

Jann
Edward
Wathelet

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 mai 2002.

Le greffier, R. Grass

Le président de la cinquième chambre, P. Jann

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce020507.htm

ANALYSE 1 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, annexe, liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.

Résumé : L’annexe visée à l’article 3, paragraphe 3, de la directive, contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives ; une clause qui y figure ne doit pas nécessairement être considérée comme abusive et, inversement, une clause qui n’y figure pas peut néanmoins être déclarée abusive.

ANALYSE 2 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, annexe, mesures de transposition.

Résumé : La liste figurant en annexe à la directive n°93-13 a une valeur indicative et illustrative, elle constitue une source d’information à la fois pour les autorités nationales chargées d’appliquer les mesures de transposition et pour les particuliers concernés par lesdites mesures ; les États membres doivent donc, afin d’atteindre le résultat visé par la directive, choisir une forme et des moyens de transposition offrant une garantie suffisante que le public pourra en prendre connaissance.

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

22 novembre 2001

Dans les affaires jointes C-541/99 et C-542/99,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l’article 234 CE, par le Giudice di pace di Viadana (Italie) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

Cape S…

et

I… Srl (C-541/99),

et entre

I… MN RE Sas

et

O… Srl (C-542/99),

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29),

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme F. Macken (rapporteur), président de chambre, MM. C. Gulmann et J.-P. Puissochet, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,

considérant les observations écrites présentées:

– pour le gouvernement italien, par MM. U. Leanza et G. Castellani Pastoris, en qualité d’agents, assistés de M. D. Del Gaizo, avvocato dello Stato,

– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Ortiz Vamonde, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger et R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. França et P. Stancanelli, en qualité d’agents,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales d’I… Srl, représentée par Me R. Chiericati, avvocatessa, du gouvernement italien, représenté par M. D. Del Gaizo, et de la Commission, représentée par MM. M. França et P. Stancanelli, à l’audience du 17 mai 2001,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juin 2001,

rend le présent

Arrêt

1. Par deux ordonnances du 12 novembre 1999, parvenues à la Cour le 31 décembre suivant, le Giudice di pace di Viadana a posé, en application de l’article 234 CE, trois questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement Cape S… à I… Srl et I… MN RE Sas à O… Srl à propos de l’exécution de contrats types contenant une clause attributive de compétence au Giudice di pace di Viadana, laquelle est contestée par C… et O… sur le fondement de la directive.

Le cadre juridique

3. La directive a pour objet, selon son article 1er, paragraphe 1, de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

4. Aux termes de l’article 2, sous b), de la directive:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[…]

b) ‘consommateur: toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle».

5. L’article 2, sous c), de la directive définit le terme «professionnel» comme visant «toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6. I… MN RE Sas et I… Srl (ci-après «I…») ont conclu avec O… et C…, respectivement les 14 septembre 1990 et 26 janvier 1996, deux contrats portant sur la fourniture à ces dernières de machines de distribution automatique de boissons, lesquelles ont été installées dans les locaux de ces deux sociétés et étaient destinées à l’usage exclusif de leur personnel.

7. Dans le cadre de l’exécution desdits contrats, C… et O… ont formé une opposition à injonction de payer, en soutenant que la clause attributive de compétence qu’ils contiennent est abusive au sens de l’article 1469 bis, point 19, du code civil italien et, par conséquent, inopposable aux parties aux contrats en vertu de l’article 1469 quinquies de ce même code.

8. La juridiction de renvoi constate que sa compétence pour connaître des deux litiges qui lui sont soumis dépend de l’interprétation desdites dispositions du code civil, lesquelles constituent une «transposition servile» de la directive. En particulier, les notions de «professionnel» et de «consommateur» visées à l’article 1469 bis du code civil seraient une transcription littérale des définitions figurant à l’article 2 de ladite directive.

9. Dans les deux affaires, I… soutient que C… et O… ne peuvent être considérées comme des consommateurs aux fins de l’application de la directive. En effet, outre qu’il s’agit de sociétés et non de personnes physiques, C… et O… auraient signé les contrats en cause devant la juridiction nationale dans l’exercice de leur activité d’entreprise.

10. Estimant que la solution des deux litiges portés devant lui dépend de l’interprétation de la directive, le Giudice di pace di Viadana a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont rédigées en des termes identiques dans les deux affaires:

«1) Peut-on considérer comme un consommateur un entrepreneur qui, concluant un contrat avec un autre entrepreneur sur le modèle prévu par ce dernier dans la mesure où ce contrat s’insère dans son activité professionnelle spécifique, achète un service ou un bien, à l’usage exclusif de ses propres salariés, totalement dissocié et étranger à son activité professionnelle et commerciale typique? Est-il possible de dire, dans ce cas, que cette personne a agi à des fins ne concernant pas l’entreprise?

2) En cas de réponse affirmative à la question précédente, peut-on considérer comme un consommateur toute personne ou organisme quand il agit à des fins étrangères ou ne pouvant servir à l’activité commerciale ou professionnelle typique qu’il ou elle exerce, ou la notion de consommateur se réfère-t-elle exclusivement à la personne physique, à l’exclusion de toute autre personne?

3) Peut-on considérer une société comme un consommateur?»

11. Par ordonnance du président de la Cour du 17 janvier 2000, les affaires C-541/99 et C-542/99 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l’arrêt.

Sur les deuxième et troisième questions

12. Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «consommateur», telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques.

13. I…, les gouvernements italien et français, ainsi que la Commission, soutiennent que la notion de «consommateur» vise uniquement les personnes physiques.

14. En revanche, le gouvernement espagnol prétend que, si le droit communautaire considère que, en principe, les personnes morales ne sont pas des consommateurs au sens de la directive, il n’exclut pas une interprétation conférant une telle qualité à ces dernières. Avec le gouvernement français, il fait valoir que la définition du consommateur donnée par la directive n’exclut pas la possibilité pour les droits nationaux des États membres, lors de la transposition de celle-ci, de considérer une société comme un consommateur.

15. À cet égard, il convient de relever que l’article 2, sous b), de la directive définit le consommateur comme étant «toute personne physique» qui remplit les conditions énoncées par cette disposition, tandis que l’article 2, sous c), de la directive définit la notion de «professionnel» en se référant tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales.

16. Il ressort donc clairement du libellé de l’article 2 de la directive qu’une personne autre qu’une personne physique, qui conclut un contrat avec un professionnel, ne saurait être regardée comme un consommateur au sens de ladite disposition.

17. Dès lors, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que la notion de «consommateur», telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques.

Sur la première question

18. Eu égard à la réponse apportée aux deuxième et troisième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la première question.

Sur les dépens

19. Les frais exposés par les gouvernements italien, espagnol et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Giudice di pace di Viadana, par ordonnances du 12 novembre 1999, dit pour droit:

La notion de «consommateur», telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clause abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques.

Macken Gulmann
Puissochet

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 novembre 2001.

Le greffier
Le président de la troisième chambre

R. Grass
F. Macken

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce011122.htm

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, notion de consommateur.

Résumé : La notion de «consommateur», telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques.

Voir également :

Arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2005: consulter l’arrêt

Dans les affaires jointes C-240/98 à C-244/98, ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona (Espagne) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

O…  SA
et
R… (C-240/98)
et entre
S… SA
et
J. M. S. A. P. (C-241/98),
J.L. C. B. (C-242/98),
M. B. (C-243/98),
E. V. F. (C-244/98),

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, L. Sevón, président de chambre, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann (rapporteur), H. Ragnemalm, M. Wathelet, V. Skouris et Mme F. Macken, juges,

avocat général: M. A. Saggio,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

– pour O… SA et S… SA, par Me A. Estany Segalas, avocat au barreau de Barcelone,

– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Ortiz Vaamonde, abogado del Estado, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et R. Loosli-Surrans, chargé de mission à la même direction, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. L. Iglesias Buhigues, conseiller juridique, et M. Desantes Real, membre du service juridique, en qualité d’agents,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de O… SA, de S… SA, du gouvernement espagnol, du gouvernement français et de la Commission à l’audience du 26 octobre 1999, ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 décembre 1999, rend le présent Arrêt

1. Par ordonnances des 31 mars 1998 (C-240/98 et C-241/98) et 1er avril 1998 (C-242/98, C-243/98 et C-244/98), parvenues à la Cour le 8 juillet suivant, le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona a posé, en vertu de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre de litiges opposant, d’une part, O… SA à Mme M. Q. et, d’autre part, S… SA à MM. S. A. P., C. B., B. et V. F. au sujet du paiement de sommes dues en exécution de contrats de vente à tempérament conclus entre lesdites sociétés et les défendeurs au principal.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3. La directive a pour objet, selon son article 1er, paragraphe 1, de «rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur».

4. Aux termes de l’article 2 de la directive:

«Aux fins de la présente directive, on entend par :

b) ‘consommateur: toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle;

c) ‘professionnel: toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée».

5. L’article 3, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.»

6. L’article 3, paragraphe 3, de la directive fait référence à l’annexe de celle-ci qui contient une «liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives». Le point 1 de cette annexe vise les «Clauses ayant pour objet ou pour effet:

q) de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur…».

7. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

8. Aux termes de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive:

«1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.»

9. Selon l’article 10, paragraphe 1, de la directive, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive au plus tard le 31 décembre 1994.

La réglementation nationale

10. En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives insérées dans les contrats par des professionnels a d’abord été assurée par la Ley General 26/1984, de 19 de julio, para la Defensa de los Consumidores y Usuarios (loi générale n° 26, du 19 juillet 1984, relative à la protection des consommateurs et des usagers, Boletín Oficial del Estado n° 176, du 24 juillet 1984, ci-après la «loi n° 26/1984»).

11. Selon l’article 10, paragraphe 1, sous c), de la loi n° 26/1984, les clauses, conditions ou stipulations qui s’appliquent de façon générale à l’offre ou à la promotion de produits ou de services, doivent être conformes à la bonne foi et assurer un juste équilibre entre les droits et les obligations des parties, ce qui, en tout état de cause, exclut l’utilisation de clauses abusives. En vertu de l’article 10, paragraphe 4, de ladite loi, ces dernières, définies comme étant des clauses qui portent préjudice de manière disproportionnée et inéquitable au consommateur ou qui induisent un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au détriment des consommateurs, sont nulles de plein droit.

12. La transposition intégrale de la directive a été réalisée par la Ley 7/1998, de 13 de abril, sobre Condiciones Generales de la Contratación (loi n° 7/1998, du 13 avril 1998, sur les conditions générales de contrats, Boletín Oficial del Estado n° 89, du 14 avril 1998, ci-après la «loi n° 7/1998»).

13. L’article 8 de la loi n° 7/1998 prévoit que sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au préjudice de l’adhérent, contreviennent aux dispositions de la loi et, en particulier, les conditions générales abusives dans les contrats conclus avec un consommateur au sens de la loi n° 26/1984.

14. La loi n° 7/1998 complète en outre la loi n° 26/1984 en lui ajoutant, notamment, un article 10 bis, dont le paragraphe 1 reproduit en substance l’article 3, paragraphe 1, de la directive, ainsi qu’une disposition additionnelle qui reprend pour l’essentiel la liste des clauses qui peuvent être déclarées abusives annexée à la directive, en précisant qu’elle n’a qu’un caractère minimal. Selon le point 27 de cette disposition additionnelle, est considérée comme abusive l’inclusion dans le contrat d’une clause attribuant expressément compétence à un juge ou à un tribunal autre que celui qui correspond au domicile du consommateur ou au lieu d’exécution de l’obligation.

Les litiges au principal et la question préjudicielle

15. Les défendeurs au principal, tous domiciliés en Espagne, ont conclu, chacun en ce qui le concerne, entre le 4 mai 1995 et le 16 octobre 1996, un contrat portant sur l’achat à tempérament, à des fins personnelles, d’une encyclopédie. Les demanderesses au principal sont les vendeurs de ces encyclopédies.

16. Les contrats comportaient une clause attribuant compétence aux juridictions de Barcelone (Espagne), ville dans laquelle aucun des défendeurs au principal n’est domicilié mais où se trouve le siège des demanderesses au principal.

17. Les acquéreurs des encyclopédies n’ayant pas versé les sommes dues aux échéances convenues, les vendeurs ont, entre les 25 juillet et 19 décembre 1997, saisi le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona, dans le cadre de la procédure de «juicio de cognición» (procédure sommaire réservée aux litiges portant sur des sommes limitées), aux fins d’obtenir la condamnation des défendeurs au principal au paiement des sommes dues.

18. Ces demandes n’ont pas été signifiées à ces derniers, la juridiction de renvoi doutant de sa compétence pour connaître des litiges. Elle relève en effet que, à plusieurs reprises, le Tribunal Supremo a déclaré abusives des clauses attributives de compétence telles que celles en cause dans les litiges dont elle est saisie. Toutefois, selon elle, les décisions des juridictions nationales sont contradictoires quant à la possibilité d’apprécier d’office la nullité de clauses abusives dans le cadre de procédures relatives à la protection des intérêts des consommateurs.

19. C’est dans ces conditions que le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona, considérant qu’une interprétation de la directive est nécessaire pour statuer sur les litiges qui lui sont soumis, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, qui est formulée en termes identiques dans les cinq ordonnances de renvoi:

«La protection que la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs assure à ceux-ci permet-elle au juge national d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat soumis à son appréciation lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions ordinaires?»

20. Par ordonnance du président de la Cour du 20 juillet 1998, les cinq affaires C-240/98 à C-244/98 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l’arrêt.

21. À titre liminaire, il convient de relever qu’une clause telle que celle en cause dans les litiges au principal, dès lors qu’elle a été insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel au sens de la directive, réunit tous les critères pour pouvoir être qualifiée d’abusive au regard de cette dernière.

22. Une telle clause, qui a pour objet de conférer compétence, pour tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège du professionnel, fait peser sur le consommateur l’obligation de se soumettre à la compétence exclusive d’un tribunal qui peut être éloigné de son domicile, ce qui est susceptible de rendre sa comparution plus difficile. Dans le cas de litiges portant sur des sommes limitées, les frais afférents à la comparution du consommateur pourraient se révéler dissuasifs et conduire ce dernier à renoncer à tout recours judiciaire ou à toute défense. Une telle clause entre ainsi dans la catégorie de celles ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice par le consommateur, catégorie visée au point 1, sous q), de l’annexe de la directive.

23. En revanche, cette clause permet au professionnel de regrouper l’ensemble du contentieux afférent à son activité professionnelle au tribunal dans le ressort duquel se trouve le siège de celle-ci, ce qui tout à la fois facilite l’organisation de sa comparution et rend celle-ci moins onéreuse.

24. Il s’ensuit qu’une clause attributive de juridiction, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, doit être considérée comme abusive au sens de l’article 3 de la directive, dans la mesure où elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

25. Quant à la question de savoir si un tribunal, saisi d’un litige relatif à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, peut apprécier d’office le caractère abusif d’une clause de ce contrat, il convient de rappeler que le système de protection mis en oeuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci.

26. L’objectif poursuivi par l’article 6 de la directive, qui impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait être atteint si ces derniers devaient se trouver dans l’obligation de soulever eux-mêmes le caractère abusif de telles clauses. Dans des litiges dont la valeur est souvent limitée, les honoraires d’avocat peuvent être supérieurs à l’intérêt en jeu, ce qui peut dissuader le consommateur de se défendre contre l’application d’une clause abusive. S’il est vrai que, dans nombre d’États membres, les règles de procédure permettent dans de tels litiges aux particuliers de se défendre eux-mêmes, il existe un risque non négligeable que, notamment par ignorance, le consommateur n’invoque pas le caractère abusif de la clause qui lui est opposée. Il s’ensuit qu’une protection effective du consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit reconnaître la faculté d’apprécier d’office une telle clause.

27. Au demeurant, ainsi que l’a fait observer M. l’avocat général au point 24 de ses conclusions, le système de protection établi par la directive repose sur l’idée que la situation inégale entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat. C’est la raison pour laquelle l’article 7 de la directive, qui, en son paragraphe 1, requiert des États membres qu’ils mettent en oeuvre des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives, précise, en son paragraphe 2, que ces moyens comprennent la possibilité pour les associations agréées de consommateurs de saisir les tribunaux afin de faire déterminer si des clauses rédigées en vue d’une utilisation généralisée présentent un caractère abusif et d’obtenir, le cas échéant, leur interdiction, alors même qu’elles n’auraient pas été utilisées dans des contrats déterminés.

28. Ainsi que l’a relevé le gouvernement français, il est difficilement concevable que, dans un système exigeant la mise en oeuvre à titre préventif d’actions collectives spécifiques destinées à mettre un terme aux abus préjudiciables aux intérêts des consommateurs, le juge saisi d’un litige concernant un contrat déterminé, dans lequel est stipulée une clause abusive, ne puisse écarter l’application de cette clause pour la seule raison que le consommateur n’en soulève pas le caractère abusif. Il y a lieu au contraire de considérer que la faculté pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause constitue un moyen propre à la fois à atteindre le résultat fixé à l’article 6 de la directive, à savoir empêcher qu’un consommateur individuel ne soit lié par une clause abusive, et à contribuer à la réalisation de l’objectif visé à son article 7, dès lors qu’un tel examen peut avoir un effet dissuasif concourant à faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la protection que la directive assure aux consommateurs implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales.

30. S’agissant d’une situation dans laquelle une directive n’est pas transposée, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante (arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8; du 16 décembre 1993, Wagner Miret, C-334/92, Rec. p. I-6911, point 20, et du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91/92, Rec. p. I-3325, point 26), en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 189, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 249, troisième alinéa, CE).

31. Il incombe ainsi au juge de renvoi, saisi d’un litige relevant du domaine d’application de la directive et trouvant son origine dans des faits postérieurs à l’expiration du délai de transposition de cette dernière, lorsqu’il applique les dispositions du droit national en vigueur à la date des faits, telles qu’elles ont été rappelées aux points 10 et 11 du présent arrêt, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, conformément à la directive, d’une manière telle qu’elles puissent recevoir une application d’office.

32. Il ressort des considérations qui précèdent que la juridiction nationale est tenue, lorsqu’elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à la dite directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de cette directive. L’exigence d’une interprétation conforme requiert en particulier que le juge national privilégie celle qui lui permettra de refuser d’office d’assumer une compétence qui lui est attribuée en vertu d’une clause abusive.

Sur les dépens

33. Les frais exposés par les gouvernements espagnol et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona, par ordonnances des 31 mars et 1er avril 1998, dit pour droit:

1) La protection que la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, assure à ceux-ci implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales.

2) La juridiction nationale est tenue, lorsqu’elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à ladite directive, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cette directive. L’exigence d’une interprétation conforme requiert en particulier que le juge national privilégie celle qui lui permettra de refuser d’office d’assumer une compétence qui lui est attribuée en vertu d’une clause abusive.

Rodríguez Iglesias
Sevón
Kapteyn
Gulmann Puissochet
Hirsch
Jann
Ragnemalm
Wathelet Skouris Macken

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2000.
Le greffier
Le président
R. Grass
G. C. Rodríguez Iglesias

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce000627.htm

ANALYSE 1 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, protection, appréciation d’office par le juge du caractère abusif d’une clause.

Résumé : La protection que la directive n°93/13 du 5 avril 1993 assure aux consommateurs implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales.

ANALYSE 2 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, protection,  pouvoir du juge d’examiner d’office le caractère abusif, clause attributive de compétence.

Résumé : La juridiction nationale est tenue, lorsqu’elle applique des dispositions de droit national de les interpréter à la lumière de la directive n°93/13, ce qui requiert en en particulier que le juge national privilégie l’interprétation qui lui permettra de refuser d’office d’assumer une compétence qui lui est attribuée en vertu d’une clause abusive.