Le TJ de Cahors annule rétroactivement un contrat de prêt Helvet Immo.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CAHORS, 18 novembre 2022, N°RG 19/00001

Tribunal Judiciaire de Cahors, 18 novembre 2022, n° RG 19/00001 

Clauses abusives – contrats – juge de l’exécution – consommateur – prêt – suisse – taux d’intérêt –risque – taux de change 

 

EXTRAITS : 

 

Sur l’existence de clauses abusives : 

 

« une clause d’indexation faisant supporter le risque de change inhérent au contrat par le consommateur est une clause qui crée un déséquilibre significatif au détriment de celui-ci et qui, partant, est abusive. » 

 

« la clause de reconnaissance d’information contenue par le bordereau d’acceptation du contrat de prêt HELVET IMMO […] ne peut exonérer BNP PPF de sa responsabilité et ne peut valoir, par le consommateur, reconnaissance de la bonne exécution par le professionnel de ses obligations  d’information, de conseil et de mise en garde. 

Il convient de constater que cette clause crée même un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur. Cette clause est également abusive et doit donc être réputée non écrite conformément à l’article L.241-1 du code de la consommation. » 

 

« Dans le prêt HELVET IMMO, trois clauses sont relatives à la variation du taux d’intérêt et utilisent trois indices différents selon l’hypothèse […] ces trois clauses relatives à la révision du taux d’intérêt ne sont pas conformes aux exigences de transparence fixées par la CJUE dès lors que les consommateurs ne peuvent pas comprendre les effets concrets qu’elles auront sur leurs obligations financières. Il en résulte que ces clauses d’intérêt ne sont ni claires ni intelligibles et, en conséquence, doivent être déclarées abusives et réputées non écrites conformément à l’article L.241-1 du code de la consommation. » 

Sur l’anéantissement rétroactif du contrat de prêt : 

 

« Les stipulations de la clause implicite d’indexation nécessitent une lecture croisée et globale en ce qu’elles sont éclatées dans de nombreux paragraphes du contrat. Elles constituent un ensemble indivisible, de sorte que le contrat dépourvu de l’ensemble de ces stipulations n’a plus aucun sens. Le juge n’a pas la possibilité de le réécrire pour lui permettre de fonctionner. Il convient dès lors de juger que le contrat de prêt HELVET IMMO ne peut pas subsister sans cette clause implicite d’indexation. Les clauses de révision du taux d’intérêt sont également essentielles au fonctionnement du contrat et celui-ci ne peut subsister sans elles. En conséquence, il y a lieu de juger que le contrat HELVET IMMO proposé par BNP PPF et souscrit par D Y doit être annulé dans son ensemble. » 

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, en 2009, BNP PPF a consenti à X un prêt afin de financer l’acquisition d’un appartement pour un montant en principal de 180.188,89 francs suisses, outre les intérêts conventionnels au taux variable initial de 4,60% et les accessoires (cf offre HELVET IMMO n°65086287 datée du 9 mars 2009 pour 121.749,25 euros empruntés avec un TEG affiché de 5,11%.). X ayant cessé de procéder aux règlements de ses échéances, BNP PPF a notamment prononcé la déchéance du terme et l’exigibilité du prêt le 10/02/2017 après l’avoir mis en demeure de payer les sommes dont il était redevable. 

Par acte du 2/01/2019, BNP PPF a fait délivrer une assignation devant le juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Cahors pour une audience d’orientation et sommation de prendre connaissance du cahier des conditions de la vente et d’assister aux audiences d’orientation et d’adjudication. L’affaire a été renvoyée à plusieurs reprises à la demande des parties. 

A l’audience du 17/06/2022, BNP PPF a, entre autres, demandé au juge de l’exécution près du tribunal judiciaire de Cahors de débouter X de ses demandes et contestations, de juger que le montant de la créance BNP Paribas Personal Finance en principal, accessoires, intérêts et frais s’élève à la somme globale de 148.873,31 euros selon décompte arrêté au 17/06/2022 avec intérêts au taux contractuel de 2,14%, à parfaire jusqu’à la date effective de paiement outre les dépens sur la présente saisie, et de juger que le quantum de la créance revendiquée par BNP Paribas Personal Finance est bien fondé et justifié. A titre subsidiaire, dans le cas où la vente amiable serait accordée par le juge de l’exécution, BNP souhaite que soient jugées irrecevables les demandes de M.Y formées sur le fondement des clauses abusives pour défaut d’intérêt à agir. De plus, BNP demande à ce que les clauses relatives au risque de change et à la variation du taux d’intérêt soient jugées comme ne relevant pas du contrôle des clauses abusives en ce qu’elles sont rédigées de manière claire et compréhensible. A titre infiniment subsidiaire, BNP demande à ce que les clauses relatives au risque de change et à la variation du taux d’intérêt soient jugées comme ne créant pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et, en conséquence, à débouter M.Y de ses demandes sur le fondement des clauses abusives. 

 

Après avoir relevé que X avait bien un intérêt à agir sur le fondement des clauses abusives, le tribunal se penche sur la question de l’existence de ces clauses abusives. 

 

Il rappelle tout d’abord que, selon l’article L 132-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.  

Il énonce ensuite que le caractère abusif d’une clause s’apprécie « en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat ». Le tribunal termine par expliquer que le juge national a l’obligation de relever d’office le caractère abusif d’une clause au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) lorsqu’il dispose des éléments de fait et de droit à cet effet (Civ. 1ère, 20 avril 2022, n°20-16.942). Il doit en effet vérifier si la clause d’indexation du prêt est claire et intelligible pour au consommateur moyen, et notamment si l’emprunteur a reçu des informations suffisantes et exactes afin qu’il puisse évaluer le risque des conséquences économiques négatives de cette clause sur ses obligations financières. 

 

Concernant la clause d’indexation, le tribunal commence par rappeler que le déséquilibre significatif induit par une clause d’indexation ou une clause de remboursement en devise étrangère est caractérisé par l’absence de transparence de cette clause (Civ. 1ère 20 avril 2022, n°20-16.316). 

La CJUE s’est prononcée au regard de la clause d’indexation implicite du prêt HELVET IMMO, par deux arrêts du 10 juin 2021 (CJUE, 10 juin 2021, aff. C 609/19 et aff. jointes C- 776/19 à C-782/19). Elle y précise en outre les différents critères qui doivent être appliqués par les juges nationaux pour déterminer si la clause d’indexation du prêt HELVET IMMO, compte tenu des spécificités et du fonctionnement singulier de ce contrat, est abusive. 

En l’espèce, le prêt HELVET IMMO ne contenant pas les termes « risque de change », ni aucun autre avertissement explicite relatif aux risques inhérents aux prêts libellés sur une devise étrangère, la CJUE estime que compte tenu des connaissances du professionnel relatives au contexte économique prévisible et des moyens dont il dispose pour anticiper l’évolution d’un cours de change, une clause d’indexation faisant supporter le risque de change inhérent au contrat par le consommateur est une clause qui crée un déséquilibre significatif au détriment de celui-ci et qui, partant, est abusive. 

Le tribunal explique ensuite que, concernant la clause implicite d’indexation du prêt HELVET IMMO, celle-ci est abusive en ce qu’elle créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment de M.Y et au profit de BNP PPF, avec un risque de change non plafonné. En effet, le risque de change supporté par l’emprunteur n’est pas limité car l’exercice de l’option par ce dernier est si onéreux qu’il s’avère en pratique inenvisageable. 

 

Concernant la clause de reconnaissance d’information contenue par le bordereau d’acceptation du contrat de prêt HELVET IMMO qui stipule que les « emprunteurs déclarent (…) avoir été informés que le présent crédit comporte des opérations de change pouvant avoir un impact sur son plan de remboursement », celle-ci ne peut exonérer BNP PPF de sa responsabilité et ne peut valoir, par le consommateur, reconnaissance de la bonne exécution par le professionnel de ses obligations  d’information, de conseil et de mise en garde. 

Le tribunal décide qu’il convient de constater que cette clause crée même un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur. Cette clause est, par conséquent, également abusive et doit donc être réputée non écrite conformément à l’article L.241-1 du code de la consommation. 

 

Enfin, concernant les trois clauses relatives à la variation du taux d’intérêt du prêt HELVET IMMO, celles-ci utilisent trois indices différents selon l’hypothèse : le SWAP francs suisses 5 ans, le TME ou le TIBEUR. 

Or, comme le fait valoir M. Y, ces indices sont peu compréhensibles pour un consommateur moyen et ce d’autant que BNP PPF n’a pas mis à sa disposition les historiques de variation de ces indices et n’a pas explicité les effets concrets que ces indices auront sur ses obligations financières. En conséquence, ces trois clauses relatives à la révision du taux d’intérêt ne sont pas conformes aux exigences de transparence fixées par la CJUE dès lors que les consommateurs ne peuvent pas comprendre les effets concrets qu’elles auront sur leurs obligations financières. Il en résulte que ces clauses d’intérêt ne sont ni claires ni intelligibles et, en conséquence, doivent être déclarées abusives et réputées non écrites conformément à l’article L.241-1 du code de la consommation. 

 

Après avoir rappelé que, selon l’article L.241-1 du code de la consommation : « Les clauses abusives sont réputées non écrites. (…) Les dispositions du présent article sont d’ordre public » ; le tribunal explique ensuite que ce même article L.241-1 du code de la consommation précise, en conséquence du réputé non écrit d’une clause abusive, que : « Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses ». Les alinéas 6 et 8 de l’article L. 132-1 ancien du code de la consommation, eux, disposent que : « les clauses abusives sont réputées non écrites » et que « le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses ». 

 

Selon le tribunal, les stipulations de la clause implicite d’indexation étant éclatées dans de nombreux paragraphes du contrat et constituant un ensemble indivisible, de sorte que le contrat dépourvu de l’ensemble de ces stipulations n’aurait plus aucun sens, il convient dès lors de juger que le contrat de prêt HELVET IMMO ne peut pas subsister sans cette clause implicite d’indexation. 

Concernant les clauses de révision du taux d’intérêt, celles-ci sont également essentielles au fonctionnement du contrat et ce dernier ne peut subsister sans elles. En conséquence, il y a lieu de juger que le contrat HELVET IMMO proposé par BNP PPF et souscrit par D Y doit être annulé dans son ensemble. 

 

Voir également : 

–  Civ. 1ère, 20 avril 2022, n°20-16.942

Civ. 1ère 20 avril 2022, n°20-16.316