CA Versailles , 29 OCTOBRE 2020, MARIN , N° RG19/03738
Contrat d’assurance – objet principal du contrat – principe de transparence matérielle –
EXTRAIT
« Les clauses critiquées arrêtent les conditions de détermination du taux d’invalidité, le seuil de ce taux à partir duquel l’assuré est considéré en état d’invalidité permanente totale et les taux d’incapacité fonctionnelle et professionnelle ouvrant droit à la prise en charge de l’assureur.
Elles définissent l’objet principal du contrat en ce qu’elles déterminent et délimitent le risque assuré qui est un élément essentiel de la police et caractérise celle-ci (…).
Lesdites clauses échappent ainsi à l’appréciation du caractère abusif des clauses sous réserve d’être rédigées de manière claire et compréhensible, c’est-à-dire qu’elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de sorte que ce consommateur soit en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (…).
Cependant, force est de constater qu’il n’est fourni dans la notice aucune définition de l’incapacité fonctionnelle (…).
Dès lors, les clauses litigieuses, rédigées de manière non claire et compréhensible, doivent être soumises à l’appréciation de leur caractère abusif. (…). L’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties n’est ainsi pas caractérisée. »
ANALYSE
Appliquant parfaitement la jurisprudence van HOVE de la CJUE (CJUE 23 avr. 2015, van Hove, aff. C-96/14), la Cour d’appel de Versailles considère que la clause visant à garantir la prise en charge des échéances dues par le prêteur en cas d’incapacité totale de travail de l’emprunteur relève de l’objet principal du contrat. Aussi, elle rappelle que cette stipulation évince le débat sur le déséquilibre significatif, à condition qu’elle soit claire et compréhensible.
Ensuite, et de nouveau conformément à la jurisprudence européenne, la Cour d’appel de Versailles énonce que l’appréciation du défaut de clarté et de de compréhensibilité doit être opérée de manière extensive. Le principe de transparence matérielle suppose en effet, selon la CJUE, de vérifier, comme l’a parfaitement rappelé la Cour d’appel, de vérifier que les clauses définissant l’objet principal du contrat « sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de sorte que ce consommateur soit en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui ».
Or les magistrats de la Cour d’appel de Versailles considèrent que cette exigence n’est pas en l’espèce remplie dans la mesure où « il n’est fourni dans la notice aucune définition de l’incapacité fonctionnelle (…). Or, la société ACM vie ne saurait sérieusement soutenir que la notion d’ ‘incapacité fonctionnelle physique ou mentale’ tombe sous le sens commun. Quant aux barème et règle visés dans l’indication susvisée, il est évident que même s’il s’agit d’éléments objectifs, il n’ont de sens que pour des seuls et rares initiés, non pour un consommateur moyen. Il en résulte que lors de l’adhésion, les emprunteurs n’étaient en réalité pas en mesure de connaître ce que recouvre l’incapacité fonctionnelle et, par voie de conséquence, le taux d’invalidité. Ils se sont trouvés ainsi privés de la faculté d’appréhender concrètement le mécanisme de prise en charge résultant du tableau à double entrée, repose notamment sur le taux d’incapacité fonctionnelle, notion non clairement définie pour un consommateur moyen, et d’évaluer les conséquences économiques en découlant pour eux, soit la portée réelle de la garantie offerte ». Les juges du fond ayant acaractérisé le défaut de compréhensibilité de la clause, ont à juste titre énoncé que « les clauses litigieuses, rédigées de manière non claire et compréhensible, doivent être soumises à l’appréciation de leur caractère abusif ».
S’agissant de l’appréciation du caractère abusif, la Cour d’appel de Versailles rappelle que « le caractère abusif d’une clause s’apprécie au regard de toutes les autres clauses du contrat ». Il importe en effet de replacer la clause dans son environnement contractuel, comme le suggère l’article L. 212-1, al. 4 du code de la consommation transposant l’article 4.1 de la directive 93/13. C’est ce qu’opère la Cour d’appel lorsqu’elle énonce que « S’il n’est pas contesté par les ACM vie que l’exigence précitée suppose de graves incapacités, qui, par nature et fort heureusement, sont relativement rares, ce qui est logique s’agissant d’une invalidité permanente totale non exclusivement déterminée par l’incapacité professionnelle, rien n’établit que la probabilité pour l’assureur de mobiliser sa garantie incapacité permanente totale soit quasiment nulle. La société ACM vie cite des hypothèses d’atteinte hépatique, d’insuffisances cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux, de certains cancers ou d’incapacités multiples remplissant cette condition et les appelants ne fournissent aucun élément de nature à contredire cette affirmation.[…] il doit être rappelé que le caractère abusif d’une clause s’apprécie au regard de toutes les autres clauses du contrat. Or, il importe de souligner que la cotisation due par les époux Marin, qui est leur obligation principale vis-à-vis de l’assureur, ne correspond pas exclusivement à la garantie invalidité permanente totale mais est aussi la contrepartie des autres garanties souscrites (décès, PTIA et incapacité temporaire de travail) qui sont autant d’obligations à la charge de l’assureur, la garantie incapacité temporaire de travail ayant de fait été mobilisée et bénéficié pendant de nombreux mois à Mme Marin avant sa consolidation ».
Elle en déduit que « l’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties n’est ainsi pas caractérisée ».
Voir également : CJUE 23 avr. 2015, aff. C-96/14