Cour de cassation
La clause de devise étrangère est dépourvue de clarté faute d’information sur le risque de dépréciation importante de la monnaie de paiement par rapport à celle de compte

Cass. civ. 1re, 7 septembre 2022, n°21-15.199

Cass. civ. 1re, 7 septembre 2022, n° 21-15.199 

 

 

Contrat de prêt libellé en devise étrangère — écart de change — risque de dépréciation — franc suisse – défaut de clarté 

 

EXTRAITS :

11.Pour rejeter les demandes formées par les emprunteurs au titre du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt, l’arrêt retient que ces clauses définissent l’objet principal de ces contrats et sont claires et compréhensibles dès lors qu’elles précisent, en des termes intelligibles, les modalités de l’amortissement de ces deux prêts avec conversion de la somme due en euros selon un taux de change, que les emprunteurs ont reçu une information au moyen d’un document signé le 1er février 2008 dans lequel la banque appelait leur attention sur les points particuliers de cette convention et notamment sur les risques d’évolution d’un capital placé sur un support spéculatif et les risques de change liés au cours du franc suisse, et qu’ils étaient en capacité d’apprécier la nature et la portée de leurs engagements et de mesurer les risques encourus en cas de dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse ainsi que les conséquences induites sur leurs obligations financières.

12.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

 

ANALYSE : 

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation concerne l’appréciation du caractère abusif des clauses du contrat de prêt libellé en devise étrangère. 

Pour apprécier le caractère abusif d’une clause portant sur l’objet principal du contrat, il faut préalablement s’assurer que la clause n’est pas claire et compréhensible. Or, l’arrêt d’appel avait jugé que lesdites clauses ne pouvaient être considérées comme abusives dès lors qu’elles étaient claires et compréhensibles. Les juges du fond avaient relevé la remise d’un document dans lequel la banque appelait l’attention des emprunteurs « sur les risques d’évolution d’un capital placé sur un support spéculatif et les risques de change liés au cours du franc suisse ». 

 

Cependant, dans cet important contentieux, la Cour de Justice de l’Union Européenne a tranché en considérant que la clause dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère suppose, pour répondre aux exigences de clarté, que le professionnel ait « fourni les informations suffisantes et exactes permettant au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, 10 juin 2021 BNP Paribas Personnal, C-776/19 à C-782/19). A défaut, la clause pourra faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif. 

La première chambre civile, cassant la décision rendue par les juges du fond, se rangeant derrière la solution de la Cour de Justice de l’Union Européenne, relève qu’ils n’ont pas vérifié que la banque avait fourni aux emprunteurs les informations suffisantes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme du contrat et le risque encouru « dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte ». Faute d’une information sur ce risque précis lié à la dépréciation, et pas simplement à l’évolution du cours, le principe de transparence matérielle posé par la CJUE n’est pas respecté, et la clause est susceptible d’être jugée abusive. 

 

Voir également : 

-  Site de la CCA :  

CJUE, 10 juin 2021 BNP Paribas Personnal  

 La clause de monnaie étrangère est susceptible de créer un déséquilibre significatif dès lors que le professionnel n’a pas satisfait à l’exigence de transparence en ne permettant pas au consommateur d’évaluer les conséquences économiques négatives de cette stipulation