Dans l’affaire C‑484/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 20 octobre 2008, parvenue à la Cour le 10 novembre 2008, dans la procédure

C…

contre

A…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, faisant fonction de président de la première chambre, M. E. Levits, Mme C. Toader, MM. M. Ilešič et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 septembre 2009,

considérant les observations présentées:

– pour C…, par Me M. Merola, avvocato, et Me J. Cadarso Palau, abogado,

– pour l’A…, par Mme M. J. Rodríguez Teijeiro, procuradora, ainsi que par Mes L. Pineda Salido et M. Mateos Ferres, abogados,

– pour le gouvernement espagnol, par MM. J. López-Medel Bascones et M. Muñoz Pérez, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes ainsi que par Mmes H. Almeida et P. Contreiras, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Gippini Fournier et W. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant C… à l’A… au sujet de la légalité d’une clause introduite par C… dans les contrats de prêt à taux d’intérêt variable conclus avec ses clients et destinés à l’achat de logements.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

3 Les douzième et dix-neuvième considérants de la directive énoncent:

«considérant, toutefois, qu’en l’état actuel des législations nationales, seule une harmonisation partielle est envisageable; que, notamment, seules les clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle font l’objet de la […] directive; qu’il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du traité [CEE], d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de la […] directive;

[…]

considérant que, pour les besoins de la […] directive, l’appréciation du caractère abusif ne doit pas porter sur des clauses décrivant l’objet principal du contrat ou le rapport qualité/prix de la fourniture ou de la prestation; que l’objet principal du contrat et le rapport qualité/prix peuvent, néanmoins, être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’autres clauses […]»

4 L’article 3 de la directive prévoit:

«1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.

Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.

3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

5 L’article 4 de la directive est rédigé dans les termes suivants:

«1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.»

6 L’article 8 de la directive dispose:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la […] directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur.»

La réglementation nationale

7 En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a été assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984).

8 La loi 26/1984 a été modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998), qui a transposé la directive en droit interne.

9 Toutefois, la loi 7/1998 n’a pas transposé l’article 4, paragraphe 2, de la directive en droit interne.

Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles

10 Il ressort de la décision de renvoi que les contrats de prêt à taux d’intérêt variable destinés à l’achat de logements conclus entre C… et ses clients contiennent une clause écrite, introduite préalablement dans un contrat type, en vertu de laquelle le taux d’intérêt nominal prévu par le contrat, variable périodiquement conformément à l’indice de référence convenu, doit être arrondi, à partir de la première révision, au quart de point de pourcentage supérieur (ci-après la «clause d’arrondissement»).

11 Le 28 juillet 2000, l’A… a introduit un recours tendant, notamment, à obtenir de la part de C… la suppression de la clause d’arrondissement desdits contrats de prêt ainsi que la cessation de son utilisation pour l’avenir. Par jugement du 11 septembre 2001, le Juzgado de Primera Instancia de Madrid a accueilli le recours, estimant que la clause d’arrondissement était abusive et donc nulle, conformément à la législation nationale ayant transposé la directive.

12 C… a interjeté appel de ce jugement devant l’Audiencia Provincial de Madrid qui, le 10 octobre 2002, a rendu un arrêt confirmant le jugement de première instance.

13 Le 27 novembre 2002, C… s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant le Tribunal Supremo.

14 Selon le Tribunal Supremo, la clause d’arrondissement est susceptible de constituer un élément essentiel d’un contrat de prêt bancaire, tel que celui en cause au principal. Or, étant donné que l’article 4, paragraphe 2, de la directive exclurait que l’appréciation du caractère abusif porte sur une clause concernant, notamment, l’objet du contrat, une clause telle que celle en cause au principal ne pourrait, en principe, faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif.

15 Toutefois, le Tribunal Supremo relève également que, le Royaume d’Espagne n’ayant pas transposé dans son ordre juridique ledit article 4, paragraphe 2, la législation espagnole soumet le contrat tout entier à une telle appréciation.

16 C’est dans ces conditions que le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 8 de la [directive] doit‑il être interprété en ce sens qu’un État membre peut prévoir dans sa législation, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses que l’article 4, paragraphe 2, de la [directive] exclut dudit contrôle?

2) En conséquence, les dispositions combinées des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la [directive] s’opposent‑elles à ce qu’un État membre prévoie dans son ordre juridique, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses portant sur ‘la définition de l’objet principal du contrat’ ou sur ‘l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part’, même si lesdites clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible?

3) Une interprétation des articles 8 et 4, paragraphe 2, de la [directive] permettant à un État membre de procéder à un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses figurant dans les contrats conclus par les consommateurs et rédigées de façon claire et compréhensible, qui définissent l’objet principal du contrat ou l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, est‑elle compatible avec les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

17 L’A…, le gouvernement espagnol et la Commission des Communautés européennes contestent la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif qu’elle ne serait pas utile aux fins de la solution du litige dont la juridiction de renvoi est saisie. À cet égard, ils font valoir que la clause d’arrondissement en cause au principal ne porterait pas sur l’objet principal du contrat en question, mais constituerait un élément accessoire de celui-ci, de sorte que l’article 4, paragraphe 2, de la directive ne serait pas applicable au litige au principal.

18 À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir arrêts du 12 avril 2005, Keller, C‑145/03, Rec. p. I‑2529, point 33; du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, Rec. p. I‑6199, point 43, ainsi que du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C‑11/07, Rec. p. I‑6845, points 27 et 32).

19 Ainsi, bien que la Cour ait également jugé que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 21, et du 19 novembre 2009, Filipiak, C‑314/08, non encore publié au Recueil, point 41), le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible, notamment, que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que la disposition du droit de l’Union soumise à l’interprétation de la Cour ne peut trouver à s’appliquer (voir arrêts du 5 décembre 1996, Reisdorf, C‑85/95, Rec. p. I‑6257, point 16, et du 1er octobre 2009, Woningstichting Sint Servatius, C‑567/07, non encore publié au Recueil, point 43).

20 Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

21 En effet, dans sa décision de renvoi, le Tribunal Supremo s’interroge sur la portée des obligations qui incombent aux États membres en vertu de la directive, en ce qui concerne l’étendue du contrôle juridictionnel du caractère abusif de certaines clauses contractuelles qui, de l’avis du même Tribunal Supremo, relèveraient de l’article 4, paragraphe 2, de la directive.

22 Bien que cette appréciation du Tribunal Supremo ne soit pas partagée par toutes les parties, il n’apparaît pas, à tout le moins de manière manifeste, que ladite disposition de la directive ne puisse pas trouver à s’appliquer dans l’affaire au principal.

23 Dans ces conditions, force est de constater que la Cour est compétente pour se prononcer sur les questions préjudicielles qui lui sont soumises par la juridiction de renvoi, et que, dès lors, la demande de décision préjudicielle doit être déclarée recevable.

Sur le fond

Sur les première et deuxième questions

24 Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive s’opposent à ce qu’un État membre prévoie dans son ordre juridique, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

25 C… soutient que l’article 8 de la directive ne permet pas aux États membres d’introduire, par le biais de mesures de transposition, ou de maintenir, en cas d’absence de telles mesures, une réglementation nationale contraire à l’article 4, paragraphe 2, de la directive. En effet, cette disposition délimiterait de manière contraignante le champ d’application du système de protection prévu par la directive, en excluant ainsi toute possibilité pour les États membres d’y déroger, même afin de prévoir une réglementation nationale plus favorable aux consommateurs.

26 En revanche, les autres intéressés ayant présenté des observations font valoir que les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive ne s’opposent pas à une telle possibilité. En effet, ils estiment que l’adoption ou le maintien d’une pareille réglementation nationale relèverait de la faculté des États membres d’instituer, dans le domaine régi par la directive, des mécanismes plus stricts de protection des consommateurs.

27 Afin de répondre aux questions posées, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25, ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 25).

28 Néanmoins, comme l’indique expressément le douzième considérant de la directive, cette dernière n’a procédé qu’à une harmonisation partielle et minimale des législations nationales relatives aux clauses abusives, tout en reconnaissant aux États membres la possibilité d’assurer au consommateur un niveau de protection plus élevé que celui qu’elle prévoit.

29 Ainsi, l’article 8 de la directive prévoit formellement la possibilité pour les États membres d’«adopter ou [de] maintenir, dans le domaine régi par la […] directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur».

30 Il s’agit dès lors de vérifier si la portée de l’article 8 de la directive s’étend à l’ensemble du domaine régi par cette dernière et, par conséquent, à l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, ou bien si, comme le soutient C…, cette dernière disposition est exclue du champ d’application dudit article 8.

31 Or, à cet égard, il y a lieu de constater que l’article 4, paragraphe 2, de la directive prévoit uniquement que «l’appréciation du caractère abusif» ne porte pas sur les clauses visées à cette disposition, pour autant que ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

32 Il découle donc des termes mêmes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive que cette disposition, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 74 de ses conclusions, ne saurait être considérée comme fixant le champ d’application matériel de la directive. Au contraire, les clauses visées audit article 4, paragraphe 2, tout en relevant du domaine régi par la directive, échappent seulement à l’appréciation de leur caractère abusif, dans la mesure où la juridiction nationale compétente devait estimer, à la suite d’un examen au cas par cas, qu’elles ont été rédigées par le professionnel de façon claire et compréhensible.

33 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la directive définissent, dans leur ensemble, les critères généraux permettant d’apprécier la nature abusive des clauses contractuelles soumises aux dispositions de la directive (voir, en ce sens, arrêts du 7 mai 2002, Commission/Suède, C‑478/99, Rec. p. I‑4147, points 11 et 17, ainsi que du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C‑237/02, Rec. p. I‑3403, points 18, 19 et 21).

34 Dans cette même perspective, l’article 4, paragraphe 2, de la directive vise pour sa part, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 75 de ses conclusions, uniquement à établir les modalités et l’étendue du contrôle de fond des clauses contractuelles, n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui décrivent les prestations essentielles des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

35 Il s’ensuit que les clauses visées à cet article 4, paragraphe 2, relèvent bien du domaine régi par la directive et que, partant, l’article 8 de celle‑ci s’applique également audit article 4, paragraphe 2.

36 Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de C… selon lesquels, ainsi qu’il ressortirait notamment de l’arrêt du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas (C‑144/99, Rec. p. I‑3541), l’article 4, paragraphe 2, de la directive aurait un caractère impératif et contraignant pour les États membres, de sorte que ceux-ci ne pourraient pas invoquer l’article 8 de la directive pour adopter ou maintenir dans leurs ordres juridiques internes des dispositions susceptibles d’en modifier la portée.

37 À cet égard, il suffit de relever que ces arguments découlent d’une lecture erronée dudit arrêt. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le Royaume des Pays-Bas avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la directive non pas pour ne pas avoir transposé l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, mais uniquement pour en avoir assuré une transposition incomplète, de sorte que la réglementation nationale en cause n’était pas en mesure d’atteindre les résultats voulus par cette disposition.

38 En effet, ladite réglementation excluait toute possibilité de contrôle juridictionnel des clauses décrivant les prestations essentielles dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, même lorsque la rédaction de ces clauses était obscure et ambiguë, de sorte que le consommateur était empêché de manière absolue de faire valoir le caractère abusif d’une clause portant sur la définition de l’objet principal du contrat et sur l’adéquation entre le prix et les services ou les biens à fournir.

39 Il ne peut, par conséquent, être aucunement déduit de l’arrêt Commission/Pays-Bas, précité, que la Cour aurait considéré que l’article 4, paragraphe 2, de la directive constituait une disposition impérative et contraignante, devant être obligatoirement transposée en tant que telle par les États membres. Au contraire, la Cour s’est limitée à juger que, afin de garantir concrètement les objectifs de protection des consommateurs poursuivis par la directive, toute transposition dudit article 4, paragraphe 2, devait être complète, de sorte que l’interdiction d’apprécier le caractère abusif des clauses porte uniquement sur celles qui sont rédigées de façon claire et compréhensible.

40 Il découle de tout ce qui précède que les États membres ne sauraient être empêchés de maintenir ou d’adopter, dans l’ensemble du domaine régi par la directive, y compris l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, des règles plus strictes que celles prévues par la directive elle-même, pourvu qu’elles visent à assurer un niveau de protection plus élevé des consommateurs.

41 Or, s’agissant de la réglementation espagnole en cause au principal, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, la loi 7/1998 n’a pas transposé en droit interne l’article 4, paragraphe 2, de la directive.

42 Il s’ensuit que, dans l’ordre juridique espagnol, ainsi que le relève le Tribunal Supremo, une juridiction nationale peut en toutes circonstances apprécier, dans le cadre d’un litige concernant un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, le caractère abusif d’une clause n’ayant pas été individuellement négociée, qui porte notamment sur l’objet principal dudit contrat, même dans les hypothèses où cette clause a été rédigée préalablement par le professionnel de façon claire et compréhensible.

43 Dans ces conditions, force est de constater que, en autorisant la possibilité d’un contrôle juridictionnel complet du caractère abusif des clauses, telles que celles visées à l’article 4, paragraphe 2, de la directive, prévues par un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, la réglementation espagnole en cause au principal permet d’assurer au consommateur, conformément à l’article 8 de la directive, un niveau de protection effective plus élevé que celui établi par celle-ci.

44 À la lumière de ces considérations, il convient de répondre aux première et deuxième questions que les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Sur la troisième question

45 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE s’opposent à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

46 Or, s’agissant des articles 2 CE et 4, paragraphe 1, CE, il suffit de constater que, selon une jurisprudence constante, ces dispositions énoncent des objectifs et des principes généraux qui sont appliqués nécessairement en combinaison avec les chapitres respectifs du traité CE destinés à mettre en œuvre ces principes et objectifs. Elles ne sauraient donc à elles seules avoir pour effet de créer à la charge des États membres des obligations juridiques claires et inconditionnelles (voir, en ce sens, en ce qui concerne l’article 2 CE, arrêt du 24 janvier 1991, Alsthom Atlantique, C‑339/89, Rec. p. I‑107, point 9, et, s’agissant de l’article 4, paragraphe 1, CE, arrêt du 3 octobre 2000, Échirolles Distribution, C‑9/99, Rec. p. I‑8207, point 25).

47 De même, l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE ne saurait non plus produire à lui seul des obligations juridiques à la charge des États membres. En effet, cette disposition se borne à indiquer, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le clarifier, un objectif qui doit cependant être précisé dans d’autres dispositions du traité, notamment dans celles relatives aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 29, et Alsthom Atlantique, précité, point 10).

48 En outre, force est de constater que les indications figurant dans la décision de renvoi ne permettent pas à la Cour de délimiter clairement les dispositions du traité relatives aux règles de concurrence dont l’interprétation serait utile à la solution du litige au principal.

49 À la lumière de l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la troisième question que les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE ne s’opposent pas à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1) Les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

2) Les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE ne s’opposent pas à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13 selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjue100603.htm

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, réglementation nationale autorisant un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, oui.

Résumé : La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 (art. 4, paragraphe 2, et 8) ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Dans l’affaire C‑40/08, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao (Espagne), par décision du 29 janvier 2008, parvenue à la Cour le 5 février 2008, dans la procédure

A…

contre

N…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič, A. Tizzano (rapporteur), E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

– pour A…, par Mes P. Calderón Plaza et P. García Ibaceta, abogados,

– pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Bascones, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement hongrois, par Mmes K. Veres et R. Somssich ainsi que par M. M. Fehér, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Wils et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 mai 2009,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale devenue définitive opposant A… à Mme N… au sujet du paiement de sommes dues en exécution d’un contrat d’abonnement de téléphonie mobile que ladite société avait conclu avec cette dernière.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

4 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive:

«Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.»

5 L’annexe de la même directive comporte une liste indicative de clauses qui peuvent être déclarées abusives. Au nombre de celles-ci figurent, au point 1, sous q), de cette annexe, les clauses qui ont pour objet ou pour effet «de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat».

La législation nationale

6 En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a d’abord été assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984, ci-après la «loi 26/1984»).

7 La loi 26/1984 a été modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre Condiciones Generales de la Contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998, ci-après la «loi 7/1998»), qui a transposé la directive 93/13 dans le droit interne.

8 La loi 7/1998 a notamment ajouté à la loi 26/1984 un article 10 bis, lequel prévoit, à son paragraphe 1, que «[s]ont considérées comme clauses abusives toutes les dispositions n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. En tout état de cause, sont considérées comme clauses abusives les dispositions énoncées dans la première disposition additionnelle de la présente loi. […]».

9 L’article 8 de la loi 7/1998 dispose:

«1. Sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au préjudice de l’adhérent, contreviennent aux dispositions de la loi ou de toute autre règle impérative ou prohibitive, à moins que celles-ci ne sanctionnent différemment leur violation.

2. En particulier, sont nulles les conditions générales abusives dans les contrats conclus avec un consommateur, telles qu’elles sont définies, en tout état de cause, par l’article 10 bis et la première disposition additionnelle de la loi générale 26/1984 […]»

10 À la date des faits au principal, la procédure d’arbitrage était régie par la loi 60/2003 relative à l’arbitrage (Ley 60/2003 de Arbitraje), du 23 décembre 2003 (BOE n° 309, du 26 décembre 2003, ci-après la «loi 60/2003»).

11 L’article 8, paragraphes 4 et 5, de la loi 60/2003 disposait:

«4. Le tribunal de première instance du lieu où la sentence a été rendue est compétent pour statuer sur l’exécution forcée de celle-ci, conformément à l’article 545, paragraphe 2, du code de procédure civile […]

5. Le recours en annulation de la sentence arbitrale est formé devant l’Audiencia Provincial du lieu où celle-ci a été prononcée.»

12 L’article 22, paragraphes 1 et 2, de ladite loi prévoyait:

«1. Les arbitres sont compétents pour statuer sur leur propre compétence, y compris sur les exceptions relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage ou toute autre exception dont l’admission empêche l’examen au fond du litige. À cet effet, une convention d’arbitrage faisant partie d’un contrat est considérée comme une convention distincte des autres clauses du contrat. La décision des arbitres constatant la nullité du contrat n’emporte pas de plein droit la nullité de la convention d’arbitrage.

2. Les exceptions visées au paragraphe précédent doivent être soulevées au plus tard lors du dépôt des conclusions en défense, le fait pour une partie d’avoir désigné ou participé à la désignation des arbitres ne la privant pas du droit de soulever ces exceptions. L’exception prise de ce que la question litigieuse excéderait les pouvoirs des arbitres doit être soulevée dès que la question alléguée comme excédant leurs pouvoirs est soulevée pendant la procédure arbitrale.

Les arbitres ne peuvent admettre les exceptions soulevées ultérieurement que si le retard est justifié.»

13 L’article 40 de la même loi était libellé comme suit:

«Une sentence définitive peut faire l’objet d’une action en annulation, conformément aux dispositions du présent titre.»

14 L’article 41, paragraphe 1, de la loi 60/2003 énonçait:

«La sentence ne peut être annulée que lorsque la partie qui demande l’annulation allègue et prouve:

[…]

f) que la sentence est contraire à l’ordre public.

[…]»

15 Aux termes de l’article 41, paragraphe 4, de ladite loi, le recours en annulation devait être formé dans les deux mois suivant la notification de la sentence arbitrale.

16 L’article 43 de la loi 60/2003 disposait:

«La sentence définitive produit les effets de l’autorité de la chose jugée et ne peut faire l’objet que d’un recours en révision, conformément aux dispositions du code de procédure civile applicables aux décisions définitives.»

17 L’article 44 de la même loi précisait:

«L’exécution forcée des sentences est régie par les dispositions du code de procédure civile et du présent titre.»

18 L’article 517, paragraphe 2, point 2, de la loi 1/2000 sur la procédure civile (Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil), du 7 janvier 2000 (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, ci-après la «loi 1/2000»), dispose que sont susceptibles d’exécution forcée les sentences ou décisions arbitrales.

19 L’article 559, paragraphe 1, de la loi 1/2000 est libellé comme suit:

«La défenderesse à l’exécution peut également s’opposer à l’exécution pour les défauts de procédure suivants:

1. la défenderesse à l’exécution n’a pas le caractère ou la représentation visés dans la demande;

2. la requérante à l’exécution n’a pas la capacité ou la représentation ou n’a pas justifié avoir le caractère ou la représentation visés dans la demande;

3. nullité totale de l’ordonnance d’exécution parce que celle-ci ne contient pas la décision ou la sentence arbitrale prononçant la condamnation, le document présenté ne remplit pas les conditions légales requises pour être exécutoire, ou pour infraction, lors du traitement de l’exécution, aux dispositions de l’article 520 de la présente loi;

4. si le titre à exécuter est une sentence arbitrale non formalisée par notaire, le défaut d’authenticité de celle-ci.»

Le litige au principal et la question préjudicielle

20 Le 24 mai 2004, un contrat d’abonnement de téléphonie mobile a été conclu entre A… et Mme N…. Ce contrat comportait une clause arbitrale soumettant tout litige afférent à l’exécution de ce contrat à l’arbitrage de l’Asociación Europea de Arbitraje de Derecho y Equidad (Association européenne d’arbitrage et d’amiable composition, ci-après l’«AEADE»). Le siège de cette instance arbitrale, qui n’était pas indiqué dans le contrat, se trouve à Bilbao.

21 Mme N… n’ayant pas acquitté certaines factures et ayant résilié le contrat avant le terme de la durée minimale d’abonnement convenue, A… a engagé à son encontre une procédure arbitrale devant l’AEADE.

22 La sentence arbitrale, rendue le 14 avril 2005, a condamné Mme N… au paiement de la somme de 669,60 euros.

23 Mme N… n’ayant introduit aucune action en annulation contre cette sentence arbitrale, celle-ci est devenue définitive.

24 Le 29 octobre 2007, A…  a saisi le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao d’un recours en exécution forcée de ladite sentence arbitrale.

25 Dans sa décision de renvoi, cette juridiction constate que la clause d’arbitrage contenue dans le contrat d’abonnement présente un caractère abusif, eu égard, notamment, au motif que, tout d’abord, les frais que le consommateur devait exposer pour se déplacer au siège de l’instance arbitrale étaient supérieurs au montant de la somme faisant l’objet du litige au principal. Ensuite, selon la même juridiction, ce siège est situé à une distance importante du domicile du consommateur et n’est pas indiqué dans le contrat. Enfin, cette instance élabore elle-même les contrats qui sont ensuite utilisés par les entreprises de télécommunication.

26 Toutefois, la juridiction de renvoi relève également que, d’une part, la loi 60/2003 ne permet pas aux arbitres de soulever d’office la nullité des clauses d’arbitrage abusives et que, d’autre part, la loi 1/2000 ne prévoit aucune disposition concernant l’appréciation du caractère abusif des clauses d’arbitrage par le juge compétent pour statuer sur un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale devenue définitive.

27 Dans ces circonstances, nourrissant des doutes quant à la compatibilité de la législation nationale avec le droit communautaire, notamment en ce qui concerne les règles procédurales internes, le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La protection des consommateurs qu’assure la [directive 93/13] implique-t-elle que la juridiction saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale définitive, rendue sans comparution du consommateur, apprécie d’office la nullité de la convention d’arbitrage et, par conséquent, annule la sentence au motif que ladite convention d’arbitrage comporte une clause d’arbitrage abusive au détriment du consommateur?»

Sur la question préjudicielle

28 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue de relever d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur ainsi que d’annuler ladite sentence.

29 Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler d’emblée que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25, ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168/05, Rec. p. I‑10421, point 25).

30 Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêts Mostaza Claro, précité, point 36, et du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, non encore publié au Recueil, point 25).

31 Afin d’assurer la protection voulue par la directive 93/13, la Cour a également souligné à plusieurs reprises que la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (arrêts précités Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, point 27, ainsi que Mostaza Claro, point 26).

32 C’est à la lumière de ces principes que la Cour a ainsi jugé que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle (arrêt Mostaza Claro, précité, point 38).

33 La présente affaire se distingue toutefois de celle ayant donné lieu à l’arrêt Mostaza Claro, précité, en ce que Mme N… est demeurée totalement passive au cours des différentes procédures afférentes au litige qui l’oppose à A…  et, en particulier, elle n’a pas introduit d’action tendant à obtenir l’annulation de la sentence arbitrale rendue par l’AEADE afin de contester le caractère abusif de la clause d’arbitrage, de sorte que cette sentence a désormais acquis la force de chose jugée.

34 Dans ces conditions, il y a lieu de déterminer si la nécessité de substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers oblige le juge de l’exécution à assurer une protection absolue au consommateur, et ce même en l’absence de toute action juridictionnelle introduite par ce dernier afin de faire valoir ses droits et nonobstant les règles procédurales nationales mettant en œuvre le principe de l’autorité de la chose jugée.

35 À cet égard, il importe de rappeler d’emblée l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique communautaire que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée.

36 En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, Rec. p. I‑10239, point 38; du 16 mars 2006, Kapferer, C‑234/04, Rec. p. I‑2585, point 20, et du 3 septembre 2009, Fallimento Olimpiclub, C‑2/08, non encore publié au Recueil, point 22).

37 Par conséquent, selon la jurisprudence de la Cour, le droit communautaire n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même si cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle qu’en soit la nature, du droit communautaire par la décision en cause (voir, notamment, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126/97, Rec. p. I‑3055, points 47 et 48; Kapferer, précité, point 21, ainsi que Fallimento Olimpiclub, précité, point 23).

38 En l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêts précités Kapferer, point 22, et Fallimento Olimpiclub, point 24).

39 En ce qui concerne, en premier lieu, le principe d’effectivité, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 14, et Fallimento Olimpiclub, précité, point 27).

40 En l’occurrence, la sentence arbitrale en cause au principal est devenue définitive en raison du fait que le consommateur concerné n’a pas introduit de recours en annulation contre cette sentence dans le délai prévu à cet effet.

41 À cet égard, il importe de relever que, selon une jurisprudence constante, la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique est compatible avec le droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, 33/76, Rec. p. 1989, point 5; du 10 juillet 1997, Palmisani, C‑261/95, Rec. p. I‑4025, point 28, ainsi que du 12 février 2008, Kempter, C-2/06, Rec. p. I-411, point 58). En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2002, Grundig Italiana, C‑255/00, Rec. p. I‑8003, point 34).

42 Il convient dès lors de vérifier le caractère raisonnable d’un délai de deux mois, tel que celui prévu à l’article 41, paragraphe 4, de la loi 60/2003, à l’expiration duquel, en l’absence de recours en annulation, une sentence arbitrale devient définitive et acquiert ainsi l’autorité de la chose jugée.

43 En l’occurrence, il y a lieu de constater, d’une part, que, comme la Cour l’a déjà jugé, un délai de recours de 60 jours n’est pas en soi critiquable (voir, en ce sens, arrêt Peterbroeck, précité, point 16).

44 En effet, un tel délai de forclusion présente un caractère raisonnable en ce sens qu’il permet tant d’évaluer s’il existe des motifs de contester une sentence arbitrale que, le cas échéant, de préparer le recours en annulation contre cette dernière. À cet égard, il importe de relever que, dans la présente affaire, il n’a nullement été soutenu que les règles de procédure nationales régissant l’introduction du recours en annulation d’une sentence arbitrale, et notamment le délai de deux mois imparti à cet effet, étaient déraisonnables.

45 D’autre part, il importe de préciser que, aux termes de l’article 41, paragraphe 4, de la loi 60/2003, le délai commence à courir à compter de la notification de la sentence arbitrale. Ainsi, dans l’affaire au principal, le consommateur ne saurait se trouver dans une situation où le délai de prescription commence à courir, voire est écoulé, sans même qu’il ait eu connaissance des effets de la clause d’arbitrage abusive à son égard.

46 Dans ces conditions, un tel délai de recours apparaît conforme au principe d’effectivité, dans la mesure où il n’est pas par lui-même de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits que les consommateurs tirent de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2003, Santex, C‑327/00, Rec. p. I‑1877, point 55).

47 En tout état de cause, le respect du principe d’effectivité ne saurait aller, dans des circonstances telles que celles au principal, jusqu’à exiger qu’une juridiction nationale doive non seulement compenser une omission procédurale d’un consommateur ignorant ses droits, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Mostaza Claro, précité, mais également suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné qui, tel que la défenderesse au principal, n’a ni participé à la procédure arbitrale ni introduit une action en annulation contre la sentence arbitrale devenue de ce fait définitive.

48 À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que les règles procédurales fixées par le système espagnol de protection des consommateurs contre les clauses contractuelles abusives ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par la directive 93/13.

49 En ce qui concerne, en second lieu, le principe d’équivalence, celui-ci requiert que les conditions imposées par le droit national pour soulever d’office une règle de droit communautaire ne soient pas moins favorables que celles régissant l’application d’office de règles du même rang de droit interne (voir en ce sens, notamment, arrêt du 14 décembre 1995, van Schijndel et van Veen, C-430/93 et C-431/93, Rec. p. I‑ 4705, points 13 et 17 ainsi que jurisprudence citée).

50 Afin de vérifier si ledit principe est respecté dans l’affaire dont est saisie la juridiction nationale, il appartient à cette dernière, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités procédurales des recours dans le domaine du droit interne, d’examiner tant l’objet que les éléments essentiels des recours prétendument similaires de nature interne (voir, notamment, arrêt du 16 mai 2000, Preston e.a., C‑78/98, Rec. p. I‑3201, points 49 et 56). Toutefois, en vue de l’appréciation à laquelle ladite juridiction devra procéder, la Cour peut lui fournir certains éléments tenant à l’interprétation du droit communautaire (voir arrêt Preston e.a., précité, point 50).

51 Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 30 du présent arrêt, il convient de préciser que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 constitue une disposition de caractère impératif. Il importe en outre de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, cette directive, dans son intégralité, constitue, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous t), CE, une mesure indispensable à l’accomplissement des missions confiées à la Communauté européenne et, en particulier, au relèvement du niveau et de la qualité de vie dans l’ensemble de cette dernière (arrêt Mostaza Claro, précité, point 37).

52 Ainsi, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs, il y a lieu de constater que l’article 6 de celle-ci doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public.

53 Il en découle que, dans la mesure où le juge national saisi d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale définitive doit, selon les règles de procédure internes, apprécier d’office la contrariété entre une clause arbitrale et les règles nationales d’ordre public, il est également tenu d’apprécier d’office le caractère abusif de cette clause au regard de l’article 6 de ladite directive, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir, en ce sens, arrêt Pannon GSM, précité, point 32).

54 Une telle obligation incombe également au juge national lorsqu’il dispose, dans le cadre du système juridictionnel interne, d’une simple faculté d’apprécier d’office la contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public (voir, en ce sens, arrêts précités van Schijndel et van Veen, points 13, 14 et 22, ainsi que Kempter, point 45).

55 Or, s’agissant de l’affaire au principal, selon le gouvernement espagnol, le juge de l’exécution d’une sentence arbitrale devenue définitive est compétent pour apprécier d’office la nullité d’une clause arbitrale, contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, en raison du fait que cette clause est contraire aux règles nationales d’ordre public. Une telle compétence aurait par ailleurs été admise dans plusieurs arrêts récents de l’Audiencia Provincial de Madrid ainsi que de l’Audiencia Nacional.

56 Il appartient dès lors à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans le litige dont elle est saisie.

57 Enfin, s’agissant des conséquences de la constatation par le juge de l’exécution de l’existence d’une clause d’arbitrage abusive dans un contrat conclu par un professionnel avec un consommateur, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 exige que les États membres prévoient que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, «dans les conditions fixées par leurs droits nationaux».

58 Dès lors, ainsi que l’a suggéré le gouvernement hongrois dans ses observations écrites, il appartient à la juridiction de renvoi de tirer, conformément au droit national, toutes les conséquences que l’existence d’une clause d’arbitrage abusive implique au regard de la sentence arbitrale, pour autant que cette clause n’est pas en mesure de lier le consommateur.

59 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue, dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans la mesure où, selon les règles de procédure nationales, elle peut procéder à une telle appréciation dans le cadre de recours similaires de nature interne. Si tel est le cas, il incombe à cette juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s’assurer que ce consommateur n’est pas lié par ladite clause.

Sur les dépens

60 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue, dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans la mesure où, selon les règles de procédure nationales, elle peut procéder à une telle appréciation dans le cadre de recours similaires de nature interne. Si tel est le cas, il incombe à cette juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s’assurer que ce consommateur n’est pas lié par ladite clause.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce091006.htm

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, protection, appréciation d’office par le juge du caractère abusif d’une clause, clause d’arbitrage

Résumé : La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue, dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans la mesure où, selon les règles de procédure nationales, elle peut procéder à une telle appréciation dans le cadre de recours similaires de nature interne. Si tel est le cas, il incombe à cette juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s’assurer que ce consommateur n’est pas lié par ladite clause.

Dans l’affaire C‑243/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Budaörsi Városi Bíróság (Hongrie), par décision du 22 mai 2008, parvenue à la Cour le 2 juin 2008, dans la procédure

P… tgib

contre

E…,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. T. von Danwitz, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. E. Juhász et J. Malenovský, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 avril 2009,

considérant les observations présentées:

– pour P…, par Mes J. Vitári, C. Petia et M. B. Bíró, ügyvédek,

– pour le gouvernement hongrois, par Mmes J. Fazekas, R. Somssich, K. Borvölgyi et M. M. Fehér, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Bascones, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par M. B. Cabouat et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par Mmes C. Pesendorfer et A. Hable, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Ossowski, en qualité d’agent, assisté de M. T. de la Mare, barrister,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Wils et B. Simon, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’entreprise P…  à Mme G…, au sujet de l’exécution d’un contrat d’abonnement téléphonique conclu entre lesdites parties.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

4 L’article 3 de la directive dispose:

«1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

[…]

3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive des clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

5 Le point 1, sous q), de cette annexe vise les clauses ayant pour objet ou pour effet:

«de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur […]»

6 L’article 4, paragraphe 1, de la directive prévoit:

«Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.»

7 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

8 L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive énonce:

«1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.»

La réglementation nationale

9 Au moment des faits en cause au principal, étaient applicables le code civil, dans sa version résultant de la loi n° CXLIX de 1997 (Magyar Közlöny 1997/115, ci-après le «code civil»), et le décret gouvernemental n° 18/1999 relatif aux clauses à considérer comme abusives dans les contrats conclus avec un consommateur (Magyar Közlöny 1998/8), dans sa version en vigueur lors du litige au principal.

10 Conformément à l’article 209, paragraphe 1, du code civil, une partie peut contester toute condition générale contractuelle considérée comme étant abusive. Selon le paragraphe 4 de l’article 209 B dudit code, des dispositions particulières déterminent les clauses considérées comme abusives dans les contrats de consommation. En vertu de l’article 235, paragraphe 1, du code civil, à la suite d’une contestation valable, le contrat en cause perd sa force juridique à compter de la date de sa conclusion. D’après l’article 236, paragraphe 1, du code civil, la contestation doit être communiquée par écrit à l’autre partie dans un délai d’un an.

11 Le décret gouvernemental n° 18/1999, dans sa version en vigueur lors du litige au principal, classe les clauses contractuelles en deux catégories. Relèvent d’une première catégorie les clauses contractuelles dont l’utilisation dans les contrats de consommation est interdite, et qui sont, en conséquence, nulles de plein droit. La seconde catégorie regroupe les clauses réputées abusives jusqu’à ce que la preuve contraire ait été apportée, l’auteur d’une telle clause pouvant renverser cette présomption.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 Le 12 décembre 2004, Mme G… avait conclu avec P… un contrat d’abonnement relatif à la fourniture de services de téléphonie mobile. Le contrat avait été conclu sur la base d’un formulaire fourni par P… qui stipulait que, en signant le contrat, Mme G… prenait connaissance du règlement d’exploitation, comprenant les conditions générales contractuelles et constituant un élément indissociable du contrat, et en acceptait la teneur.

13 En vertu de ce règlement d’exploitation, les deux parties au principal reconnaissaient la compétence de la juridiction du ressort du siège de P… pour tout litige né du contrat d’abonnement ou en relation avec celui-ci. Cette clause attributive de compétence n’avait pas fait l’objet d’une négociation entre ces deux parties.

14 Considérant que Mme G…i ne s’était pas conformée à ses obligations contractuelles, P… a introduit, en application de ladite clause, une demande d’injonction de payer auprès du Budaörsi Városi Bíróság, juridiction dans le ressort de laquelle se situe son siège social.

15 La juridiction saisie a prononcé l’injonction sollicitée par P… Mme G… a alors formé, dans le délai prévu, une opposition à l’encontre de cette injonction, la procédure ainsi étant devenue contradictoire.

16 Ladite juridiction a relevé que la résidence de Mme G… ne se trouvait pas dans son ressort territorial. Elle a constaté que la résidence permanente de cette dernière, qui bénéficie d’une pension d’invalidité, est située à Dombegyház, dans le comitat de Békés, soit à 275 kilomètres de Budaörs, et a précisé que les possibilités de transport entre Budaörs et Dombegyház sont très limitées en raison de l’absence de ligne directe de train ou de bus.

17 Le Budaörsi Városi Bíróság a observé que les règles de procédure applicables prévoient que la juridiction territorialement compétente est celle où se trouve la résidence de Mme G…, à savoir le Battonyai Városi Bíróság (tribunal municipal de Battonya).

18 La juridiction de renvoi a expliqué que le code de procédure civile prévoit que le juge, dans le domaine considéré, doit soulever d’office la question de sa compétence territoriale. Cependant, ne s’agissant pas d’une compétence exclusive, il ne serait plus possible de soulever cette question après le premier dépôt, par la partie défenderesse, d’un mémoire en défense portant sur le fond du litige. Le juge saisi ne pourrait examiner l’exactitude des faits invoqués pour établir sa compétence territoriale que lorsqu’ils sont contraires à des faits notoires ou à des faits dont la juridiction a officiellement connaissance, ou encore lorsqu’ils sont improbables ou que l’autre partie au litige les conteste.

19 Dans ces conditions, le Budaörsi Városi Bíróság, nourrissant des doutes quant au caractère éventuellement abusif de la clause attributive de compétence figurant dans les conditions générales du contrat litigieux, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 6, paragraphe 1, de la directive [93/13], aux termes duquel les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, peut-il être interprété en ce sens que le fait que le consommateur n’est pas lié par une clause abusive introduite par le professionnel ne résulte pas de plein droit de la loi, mais suppose que le consommateur conteste avec succès ladite clause abusive en introduisant une demande à cet effet?

2) La protection que la directive [93/13] confère aux consommateurs nécessite-t-elle de la part du juge national que celui-ci se prononce d’office, même en l’absence de demande en ce sens, c’est-à-dire sans que le caractère abusif de la clause n’ait été invoqué – et quel que soit le caractère, contentieux ou gracieux, de la procédure –, sur le caractère abusif d’une clause contractuelle dont il est saisi, et qu’il examine ainsi d’office, dans le cadre de la vérification de sa propre compétence territoriale, la clause introduite par le professionnel?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, quels sont les éléments que le juge national doit prendre en compte et apprécier dans le cadre dudit examen?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

20 Par cette question, la juridiction de renvoi vise à savoir si l’article 6, paragraphe 1, de la directive, selon lequel les clauses abusives contenues dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne lient pas ce dernier, doit être interprété en ce sens que c’est uniquement dans les cas où le consommateur a contesté avec succès une telle clause qu’il n’est pas lié par celle-ci.

21 Afin de répondre à la question posée, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que l’obligation imposée aux États membres en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive vise à accorder un droit au citoyen, dans son rôle de consommateur, et définit le résultat auquel tend la directive (voir arrêts du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas, C‑144/99, Rec. p. I‑3541, point 18, et du 7 mai 2002, Commission/Suède, C‑478/99, Rec. p. I‑4147, points 16 et 18).

22 Ainsi, le système de protection mis en œuvre par ladite directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25).

23 La Cour a également jugé, au point 26 dudit arrêt, que l’objectif poursuivi par l’article 6 de la directive ne pourrait être atteint si les consommateurs devaient se trouver dans l’obligation de soulever eux-mêmes le caractère abusif d’une clause contractuelle et qu’une protection effective du consommateur ne saurait être assurée que si le juge national se voit reconnaître la faculté d’apprécier d’office une telle clause.

24 Il convient de souligner, à cet égard, que, s’il faut garantir cette faculté au juge national, il est exclu d’interpréter l’article 6, paragraphe 1, de la directive comme signifiant que c’est uniquement dans les cas où le consommateur a introduit une demande explicite à ce sujet qu’une clause contractuelle abusive ne lie pas le consommateur. Une telle interprétation exclurait, en effet, la possibilité pour le juge national d’apprécier d’office, dans le cadre de l’examen de la recevabilité de la demande qui lui est soumise et sans demande explicite du consommateur à cet effet, le caractère abusif d’une clause contractuelle.

25 Quant aux effets juridiques dont doit être assortie une clause abusive, la Cour a précisé, dans son arrêt du 26 octobre 2006, Mostaza Claro (C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 36), que l’importance de la protection des consommateurs a conduit le législateur communautaire à prévoir, à l’article 6, paragraphe 1, de la directive, que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel «ne lient pas les consommateurs». Elle a souligné qu’il s’agit d’une disposition impérative qui, compte tenu de l’infériorité de l’une des parties au contrat, tend à substituer à l’équilibre formel que celui-ci établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers.

26 La Cour a ajouté, au point 37 dudit arrêt, que la directive, qui vise à renforcer la protection des consommateurs, constitue, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous t), CE, une mesure indispensable à l’accomplissement des missions confiées à la Communauté européenne et, en particulier, au relèvement du niveau et de la qualité de vie dans l’ensemble de cette dernière.

27 Par conséquent, l’expression «dans les conditions fixées par leurs droits nationaux», énoncée à l’article 6, paragraphe 1, de la directive, ne saurait être comprise comme permettant aux États membres de subordonner le caractère non contraignant d’une clause abusive à une condition telle que celle évoquée dans la première question préjudicielle.

28 Partant, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle abusive ne lie pas le consommateur, et qu’il n’est pas nécessaire, à cet égard, que celui-ci ait préalablement contesté avec succès une telle clause.

Sur la deuxième question

29 Par cette question, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur les obligations incombant au juge national, en vertu des dispositions de la directive, afin de savoir si ce dernier, dans le cadre de l’examen de sa compétence et indépendamment de la nature du recours, doit se prononcer, au besoin d’office, sur le caractère abusif d’une clause contractuelle.

30 Afin de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que la Cour, dans son arrêt du 21 novembre 2002, Cofidis (C‑473/00, Rec. p. I‑10875, point 34), a relevé que la protection que la directive confère aux consommateurs s’étend aux hypothèses dans lesquelles le consommateur, qui a conclu avec un professionnel un contrat contenant une clause abusive, s’abstient d’invoquer le caractère abusif de cette clause soit parce qu’il ignore ses droits, soit parce qu’il est dissuadé de les faire valoir en raison des frais qu’une action en justice entraînerait.

31 Il convient également de relever que la Cour a jugé, au point 38 de l’arrêt Mostaza Claro, précité, que la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive assure aux consommateurs justifient que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel.

32 Le juge saisi est donc appelé à assurer l’effet utile de la protection voulue par les dispositions de la directive. Par conséquent, le rôle qui est ainsi attribué par le droit communautaire au juge national dans le domaine considéré ne se limite pas à la simple faculté de se prononcer sur la nature éventuellement abusive d’une clause contractuelle, mais comporte également l’obligation d’examiner d’office cette question, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, y compris lorsqu’il s’interroge sur sa propre compétence territoriale.

33 Dans l’exercice de cette obligation, le juge national n’est toutefois pas tenu, en vertu de la directive, d’écarter l’application de la clause en cause si le consommateur, après avoir été avisé par ledit juge, entend ne pas en faire valoir le caractère abusif et non contraignant.

34 Dans ces conditions, les caractéristiques spécifiques de la procédure juridictionnelle, qui se déroule dans le cadre du droit national entre le professionnel et le consommateur, ne saurait constituer un élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doit bénéficier le consommateur en vertu des dispositions de la directive.

35 Il convient, dès lors, de répondre à la deuxième question que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose. Cette obligation incombe au juge national également lors de la vérification de sa propre compétence territoriale.

Sur la troisième question

36 Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à obtenir des indications relatives aux éléments que le juge national doit considérer afin d’apprécier le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle.

37 Afin de répondre à cette question, il y a lieu d’observer que, en se référant aux notions de bonne foi et de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, l’article 3 de la directive ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle (arrêt du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C‑237/02, Rec. p. I‑3403, point 19).

38 Dans ce contexte, l’annexe à laquelle renvoie l’article 3, paragraphe 3, de la directive ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives (arrêt Freiburger Kommunalbauten, précité, point 20).

39 En outre, l’article 4 de la directive prévoit que le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion.

40 Toutefois, quant à la clause faisant l’objet du litige au principal, il convient de rappeler que, aux points 21 à 24 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, la Cour a jugé que, dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel au sens de la directive, une clause préalablement rédigée par un professionnel et n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui a pour objet de conférer compétence, pour tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège du professionnel, réunit tous les critères pour pouvoir être qualifiée d’abusive au regard de la directive.

41 En effet et ainsi que la Cour l’a souligné au point 22 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, une telle clause fait peser sur le consommateur l’obligation de se soumettre à la compétence exclusive d’un tribunal qui peut être éloigné de son domicile, ce qui est susceptible de rendre sa comparution plus difficile. Dans le cas de litiges portant sur des sommes limitées, les frais afférents à la comparution du consommateur pourraient se révéler dissuasifs et conduire ce dernier à renoncer à tout recours judiciaire ou à toute défense. La Cour a dès lors conclu, audit point 22, qu’une telle clause entre dans la catégorie de celles ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice par le consommateur, catégorie visée au point 1, sous q), de l’annexe de la directive.

42 S’il est vrai que la Cour, dans l’exercice de la compétence qui lui est conférée à l’article 234 CE, a interprété au point 22 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, les critères généraux utilisés par le législateur communautaire pour définir la notion de clause abusive, elle ne saurait cependant se prononcer sur l’application de ces critères généraux à une clause particulière qui doit être examinée en fonction des circonstances propres au cas d’espèce (voir arrêt Freiburger Kommunalbauten, précité, point 22).

43 Il appartient au juge de renvoi, à la lumière de ce qui précède, d’apprécier si une clause contractuelle peut être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive.

44 Dans ces conditions, il convient de répondre à la troisième question en ce sens qu’il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle faisant l’objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive. Ce faisant, le juge national doit tenir compte du fait qu’une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être considérée comme abusive.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle abusive ne lie pas le consommateur, et qu’il n’est pas nécessaire, à cet égard, que celui-ci ait préalablement contesté avec succès une telle clause.

2) Le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose. Cette obligation incombe au juge national également lors de la vérification de sa propre compétence territoriale.

3) Il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle faisant l’objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. Ce faisant, le juge national doit tenir compte du fait qu’une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être considérée comme abusive.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce090604.htm

ANALYSE 1 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, contestation préalable par le consommateur de la clause, non.

Résumé : L’article 6, paragraphe 1, de la directive du 5 avril 1993 doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle abusive ne lie pas le consommateur, et qu’il n’est pas nécessaire, à cet égard, que celui-ci ait préalablement contesté avec succès une telle clause.

ANALYSE 2 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, appréciation d’office par le juge du caractère abusif d’une clause, clause relative à la compétence territoriale.

Résumé : Le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose. Cette obligation incombe au juge national également lors de la vérification de sa propre compétence territoriale.

ANALYSE 3 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, clause attributive de compétence n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, recherche du caractère abusif.

Résumé : Pour déterminer si la clause contractuelle contestée réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, le juge national doit tenir compte du fait qu’une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être considérée comme abusive.

Dans l’affaire C-168/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Audiencia Provincial de Madrid (Espagne), par décision du 15 février 2005, parvenue à la Cour le 14 avril 2005, dans la procédure

E…

contre

M…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. K. Lenaerts, E. Juhász, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur) et M. Ilešic(, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

– pour M…, par Me H. García Pi, abogado,

– pour le gouvernement espagnol, par M. E. Braquehais Conesa, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement allemand, par Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement hongrois, par M. P. Gottfried, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. A. Aresu et L. Escobar Guerrero, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 avril 2006,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme M… à C… (ci-après «M…») au sujet de la validité d’une clause compromissoire figurant dans le contrat qu’elle a conclu avec cette société.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 L’article 3, paragraphe 1, de la directive prévoit:

«Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.»

4 L’article 6, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

5 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive:

«Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.»

6 L’annexe de la directive comporte une liste indicative de clauses qui peuvent être déclarées abusives. Parmi celles-ci, le point 1, sous q), de cette annexe vise les clauses qui ont pour objet ou pour effet «de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuve à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat».

La réglementation nationale

7 En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a d’abord été assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984, ci-après la «loi 26/1984»).

8 La loi 26/1984 a été modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre Condiciones Generales de la Contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998, ci-après la «loi 7/1998»), qui a transposé la directive dans le droit interne.

9 La loi 7/1998 a notamment ajouté à la loi 26/1984 un article 10 bis et une première disposition additionnelle.

10 Aux termes de l’article 10 bis, paragraphe 1, de la loi 26/1984, «[s]ont considérées comme clauses abusives toutes les dispositions n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. En tout état de cause, sont considérées comme clauses abusives les dispositions énoncées dans la première disposition additionnelle de la présente loi. […]»

11 La première disposition additionnelle de la loi 26/1984 reprend en substance la liste des clauses pouvant être déclarées abusives qui est annexée à la directive, en précisant qu’elle n’a qu’un caractère minimal. Selon le point 26 de cette disposition additionnelle, est considérée comme abusive «la soumission à un arbitrage autre que l’arbitrage des litiges de consommation, à moins qu’il ne s’agisse d’organes arbitraux institués par des dispositions législatives dans un secteur ou dans un cas spécifique».

12 L’article 8 de la loi 7/1998 dispose:

«1. Sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au préjudice de l’adhérent, contreviennent aux dispositions de la loi ou de toute autre règle impérative ou prohibitive, à moins que celles-ci ne sanctionnent différemment leur violation.

2. En particulier, sont nulles les conditions générales abusives dans les contrats conclus avec un consommateur, telles qu’elles sont définies, en tout état de cause, par l’article 10 bis et la première disposition additionnelle de la loi générale 26/1984 […]»

13 À la date des faits au principal, la procédure d’arbitrage était régie par la loi 36/1988 relative à l’arbitrage (Ley 36/1988 de Arbitraje), du 5 décembre 1988 (BOE n° 293, du 7 décembre 1988, ci-après la «loi 36/1988»).

14 L’article 23, paragraphe 1, de la loi 36/1988 prévoyait:

«L’opposition à l’arbitrage pour défaut de compétence objective des arbitres, inexistence, nullité ou caducité de la convention d’arbitrage doit être formée concomitamment à la présentation par les parties de leurs prétentions initiales respectives.»

15 L’article 45 de la loi 36/1988 était libellé comme suit:

«La sentence arbitrale ne peut être annulée que dans les cas suivants:

1. Lorsque la convention d’arbitrage est nulle.

[…]

5. Lorsque la sentence est contraire à l’ordre public.»

Le litige au principal et la question préjudicielle

16 Le 2 mai 2002, un contrat d’abonnement à une ligne de téléphonie mobile a été conclu entre M… et Mme M… Ce contrat comportait une clause compromissoire soumettant tout litige afférent audit contrat à l’arbitrage de l’Asociación Europea de Arbitraje de Derecho y Equidad (Association européenne d’arbitrage et d’amiable composition, ci-après l’«AEADE»).

17 Mme M… n’ayant pas respecté le délai minimal d’abonnement, M… a engagé une procédure arbitrale devant l’AEADE. Par lettre du 25 juillet 2003, celle-ci a imparti un délai de 10 jours à Mme M… pour refuser l’arbitrage, en précisant que, en cas de refus, la voie judiciaire restait ouverte. Mme M… a présenté des arguments sur le fond, mais n’a pas dénoncé la procédure d’arbitrage ni invoqué la nullité de la convention d’arbitrage. Le litige a par la suite été arbitré à son détriment.

18 Mme M… a attaqué la sentence arbitrale rendue par l’AEADE devant la juridiction de renvoi, en soutenant que le caractère abusif de la clause compromissoire entraînait la nullité de la convention d’arbitrage.

19 Dans la décision de renvoi, l’Audiencia Provincial de Madrid constate qu’il ne fait aucun doute que ladite convention d’arbitrage comporte une clause contractuelle abusive et est donc entachée de nullité.

20 Toutefois, vu que Mme M… n’a pas invoqué cette nullité dans le cadre de la procédure arbitrale et afin d’interpréter le droit national conformément à la directive, l’Audiencia Provincial de Madrid a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La protection des consommateurs qu’assure la directive 93/13/CEE […] implique-t-elle que la juridiction saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale apprécie la nullité de la convention d’arbitrage et annule la sentence au motif que ladite convention d’arbitrage comporte une clause abusive, lorsque le consommateur a invoqué ladite nullité dans le cadre du recours en annulation, mais non dans le cadre de la procédure arbitrale?»

Observations liminaires

21 Il ressort du dossier transmis à la Cour par la juridiction de renvoi que cette dernière a établi le caractère abusif de la clause compromissoire qui figure dans le contrat conclu entre M… et Mme M…

22 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour ne saurait se prononcer sur l’application des critères généraux utilisés par le législateur communautaire pour définir la notion de clause abusive à une clause particulière qui doit être examinée en fonction des circonstances propres au cas d’espèce (arrêt du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C-237/02, Rec. p. I-3403, point 22).

23 Il appartient donc au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle qui fait l’objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive (arrêt Freiburger Kommunalbauten, précité, point 25).

Sur la question préjudicielle

24 Selon une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire relèvent de l’ordre juridique interne de chaque État membre en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêts du 16 mai 2000, Preston e.a., C-78/98, Rec. p. I-3201, point 31, et du 19 septembre 2006, i-21 Germany et Arcor, C-392/04 et C-422/04, non encore publié au Recueil, point 57).

25 Le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C-240/98 à C-244/98, Rec. p. I-4941, point 25).

26 Une telle situation d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 27).

27 C’est à l’aune de ces principes que la Cour a jugé que la faculté pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause constitue un moyen propre à la fois à atteindre le résultat fixé à l’article 6 de la directive, à savoir empêcher qu’un consommateur individuel ne soit lié par une clause abusive, et à contribuer à la réalisation de l’objectif visé à son article 7, dès lors qu’un tel examen peut avoir un effet dissuasif concourant à faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêts Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 28, ainsi que du 21 novembre 2002, Cofidis, C-473/00, Rec. p. I-10875, point 32).

28 Cette faculté reconnue au juge a été considérée comme nécessaire pour assurer au consommateur une protection effective, eu égard notamment au risque non négligeable que celui-ci soit dans l’ignorance de ses droits ou rencontre des difficultés pour les exercer (arrêts précités Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, point 26, ainsi que Cofidis, point 33).

29 La protection que la directive confère aux consommateurs s’étend ainsi aux hypothèses dans lesquelles le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat contenant une clause abusive s’abstient d’invoquer le caractère abusif de cette clause soit parce qu’il ignore ses droits, soit parce qu’il est dissuadé de les faire valoir en raison des frais qu’une action en justice entraînerait (arrêt Cofidis, précité, point 34).

30 Dans ces conditions, l’objectif poursuivi par l’article 6 de la directive, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 27 du présent arrêt, impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait pas être atteint si la juridiction saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale était empêchée d’apprécier la nullité de cette sentence, au seul motif que le consommateur n’a pas invoqué la nullité de la convention d’arbitrage dans le cadre de la procédure arbitrale.

31 Une telle omission de la part du consommateur ne pourrait alors, en aucun cas, être compensée par l’action de sujets qui sont des tiers par rapport au contrat. Le système de protection spéciale institué par la directive serait en définitive compromis.

32 C’est précisément dans ce sens que la réglementation espagnole a évolué. En effet, bien qu’elle ne soit pas applicable au litige au principal, il n’est pas sans intérêt de préciser que la loi 60/2003 relative à l’arbitrage (Ley 60/2003 de Arbitraje), du 23 décembre 2003 (BOE n° 309, du 26 décembre 2003), n’exige plus que l’opposition à l’arbitrage, notamment pour cause de nullité de la convention d’arbitrage, soit formée concomitamment à la présentation par les parties de leurs prétentions initiales respectives.

33 Móvil et le gouvernement allemand font valoir que, en permettant à la juridiction d’apprécier la nullité d’une convention d’arbitrage dans les cas où le consommateur n’a pas soulevé une telle exception lors de la procédure d’arbitrage, il serait porté une atteinte grave à l’efficacité des sentences arbitrales.

34 Cet argument revient à considérer que les exigences tenant à l’efficacité de la procédure arbitrale justifient que le contrôle des sentences arbitrales revête un caractère limité et que l’annulation d’une sentence ne puisse être obtenue que dans des cas exceptionnels (arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126/97, Rec. p. I-3055, point 35).

35 Toutefois, la Cour a déjà jugé que, dans la mesure où une juridiction nationale doit, selon ses règles de procédure internes, faire droit à une demande en annulation d’une sentence arbitrale fondée sur la méconnaissance des règles nationales d’ordre public, elle doit également faire droit à une telle demande fondée sur la méconnaissance des règles communautaires de ce type (voir, en ce sens, arrêt Eco Swiss, précité, point 37).

36 L’importance de la protection des consommateurs a notamment conduit le législateur communautaire à prévoir, à l’article 6, paragraphe 1, de la directive, que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel «ne lient pas les consommateurs». Il s’agit d’une disposition impérative qui, tenant compte de l’infériorité de l’une des parties au contrat, tend à substituer à l’équilibre formel que celui-ci établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers.

37 Par ailleurs, la directive, qui vise à renforcer la protection des consommateurs, constitue, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous t), CE, une mesure indispensable à l’accomplissement des missions confiées à la Communauté et, en particulier, au relèvement du niveau et de la qualité de vie dans l’ensemble de cette dernière (voir par analogie, à propos de l’article 81 CE, arrêt Eco Swiss, précité, point 36).

38 La nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive assure aux consommateurs justifient, en outre, que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel.

39 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle implique qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale apprécie la nullité de la convention d’arbitrage et annule cette sentence au motif que ladite convention contient une clause abusive, alors même que le consommateur a invoqué cette nullité non pas dans le cadre de la procédure arbitrale, mais uniquement dans celui du recours en annulation.

Sur les dépens

40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle implique qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale apprécie la nullité de la convention d’arbitrage et annule cette sentence au motif que ladite convention contient une clause abusive, alors même que le consommateur a invoqué cette nullité non pas dans le cadre de la procédure arbitrale, mais uniquement dans celui du recours en annulation.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce061026.htm

ANALYSE 1 :

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, convention d’arbitrage, recours en annulation, appréciation du caractère abusif d’une clause de la convention.

Résumé : La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 doit être interprétée en ce sens qu’elle implique qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale apprécie la nullité de la convention d’arbitrage et annule cette sentence au motif que ladite convention contient une clause abusive, alors même que le consommateur a invoqué cette nullité non pas dans le cadre de la procédure arbitrale, mais uniquement dans celui du recours en annulation.

 

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 1er avril 2004.
F… GmbH Baugesellschaft & Co. KG contre Ludger H… et Ulrike H….
Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof – Allemagne.
Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrat portant sur la construction et la livraison d’un emplacement de parking – Inversion de l’ordre d’exécution des obligations contractuelles prévu par les dispositions supplétives du droit national – Clause obligeant le consommateur à payer le prix avant que le professionnel n’ait exécuté ses obligations – Obligation du professionnel de fournir une garantie.
Affaire C-237/02.

Dans l’affaire C-237/02,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 234 CE, par le Bundesgerichtshof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
F…
et
L… H…,
U… H….,
une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29),
LA COUR (cinquième chambre)
composée de M. P. Jann (rapporteur), faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, A. La Pergola et S. von Bahr, juges,
avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: M. R. Grass,
considérant les observations écrites présentées:
– pour F…, par Me U. Jeutter, Rechtsanwalt,
– pour M. et Mme H…, par Me D. Fiebelkorn, Rechtsanwältin,
– pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. França et H. Kreppel, en qualité d’agents,
vu le rapport du juge rapporteur,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du
25 septembre 2003,
rend le présent
Arrêt

1. Par ordonnance du 2 mai 2002, parvenue à la Cour le 27 juin suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en application de l’article 234 CE, une question préjudicielle sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant F…, demanderesse au principal, à M. et Mme H…, défendeurs au principal, à propos du versement d’intérêts moratoires sur le prix à payer pour la construction et l’achat d’un emplacement de parking.
Le cadre juridique
La directive

3. Aux termes de son article 1er , paragraphe 1, la directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

4. L’article 3 de la directive est libellé comme suit:
«1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
[…]
3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

5. Parmi les clauses mentionnées dans cette annexe, figurent:
«[les] clauses ayant pour objet ou pour effet
[…]
b) d’exclure ou de limiter de façon inappropriée les droits légaux du consommateur vis-à-vis du professionnel ou d’une autre partie en cas de nonexécution totale ou partielle ou d’exécution défectueuse par le professionnel d’une quelconque des obligations contractuelles […];
[…]
o) d’obliger le consommateur à exécuter ses obligations lors même que le professionnel n’exécuterait pas les siennes;
[…]»

6. L’article 4, paragraphe 1, de la directive dispose:
«Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.»

Le droit national

7. À l’époque pertinente pour les faits du litige au principal, la protection des consommateurs contre les clauses abusives prévue par la directive était assurée en droit allemand par le Gesetz zur Regelung des Rechts der Allgemeinen Geschäftsbedingungen (loi relative aux conditions générales d’affaires), du 9 décembre 1976 (BGBl. 1976, I, p. 3317, ciaprès l’«AGBG»). L’article 9 de cette loi prévoyait:
«1. Les dispositions des conditions générales d’affaires sont inefficaces lorsque, contrairement aux impératifs de la bonne foi, elles désavantagent le partenaire contractuel du stipulant de manière déraisonnable.
2. En cas de doute, il y a lieu d’admettre un désavantage déraisonnable lorsqu’une disposition:
1. n’est pas compatible avec les idées fondamentales de la réglementation légale dont elle s’écarte, ou
2. limite des droits ou obligations essentiels résultant de la nature du contrat de telle sorte que la réalisation du but contractuel est menacé.»

8. S’agissant du contrat de louage d’ouvrage, le Bürgerliches Gesetzbuch (code civil allemand, ci-après le «BGB») prévoit, à son article 641, paragraphe 1, une règle supplétive relative à l’exigibilité de la rémunération. Selon cette disposition, la rémunération est due à la réception de l’ouvrage.
Le litige au principal

9. Par contrat passé devant notaire le 5 mai 1998, F…, une entreprise de construction communale, a, dans le cadre de ses activités commerciales, vendu à M. et Mme H…, à des fins privées, un emplacement dans un parking qu’elle devait construire.

10. Aux termes de l’article 5 du contrat, la totalité du prix était exigible après remise par l’entrepreneur d’une sûreté. En cas de retard de paiement, l’acquéreur était redevable d’intérêts moratoires.

11. La sûreté a été constituée sous la forme d’une garantie bancaire et remise à M. et Mme H… le 20 mai 1999. La banque offrant la garantie s’est engagée, en renonçant au bénéfice de discussion, à garantir les éventuelles prétentions que M. et Mme H… pourraient faire valoir à l’encontre de F… en restitution du prix d’achat qui lui serait versé ou dont elle serait habilitée à disposer.

12. M. et Mme H… ont refusé d’exécuter le paiement. Ils ont fait valoir que la disposition relative à l’exigibilité de la totalité du prix était contraire à l’article 9 de l’AGBG. Ils n’ont versé le prix qu’après s’être vu délivrer l’emplacement dans le parking, exempt de vices, le 21 décembre 1999.

13. F… a réclamé des intérêts moratoires en raison du paiement tardif. Le Landgericht Freiburg (Allemagne) a accueilli la demande. Sur appel, l’Oberlandesgericht Karlsruhe (Allemagne) a rejeté la demande. F… s’est alors pourvue en «Revision» devant le Bundesgerichtshof.

14. Ce dernier a constaté que le contrat litigieux relève du champ d’application de la directive, tel qu’il est défini à l’article 3, paragraphe 2, de celle-ci. Il tend à considérer que, dans le contexte du droit allemand, l’article 5 du contrat litigieux ne constitue pas une clause abusive. Il estime cependant que, eu égard à la diversité des réglementations en vigueur dans les États membres, cette appréciation n’est pas exempte de doute. Le Bundesgerichtshof a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Une clause contenue dans des conditions générales de vente, en vertu de laquelle l’acquéreur d’une construction à ériger est tenu d’en payer la totalité du prix, indépendamment de l’état d’avancement de la construction, lorsque le vendeur lui a au préalable remis une garantie bancaire de nature à couvrir les sommes auxquelles il pourrait prétendre du fait de la non-exécution ou d’une mauvaise exécution du contrat, doit-elle être considérée comme abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs?»
Sur la question préjudicielle

15. Toutes les observations soumises à la Cour comportent une mise en balance des avantages et désavantages liés à la clause litigieuse dans le cadre du droit national.

16. F… et le gouvernement allemand font valoir que la clause litigieuse n’est pas abusive. Les désavantages qui peuvent résulter pour le consommateur de l’obligation de verser le prix avant l’exécution du contrat seraient compensés par la garantie bancaire fournie par le constructeur. Certes, cette clause inverse l’ordre de fourniture des prestations, tel qu’il est prévu, à titre supplétif, par l’article 641 du BGB. Toutefois, dans la mesure où, pour le constructeur, elle réduit la nécessité de recourir à des emprunts pour financer la construction, le prix de cette dernière pourrait être diminué en conséquence. En outre, la garantie bancaire fournie par le constructeur limiterait les désavantages subis par les acquéreurs, puisqu’elle leur garantit la restitution des montants payés tant en cas de non-exécution qu’en cas d’exécution défectueuse, et ce même dans l’hypothèse d’une insolvabilité du constructeur.

17. M. et Mme H… soutiennent que la clause litigieuse est abusive et entre dans la catégorie des clauses visées au point 1, sous b) et o), de l’annexe à la directive. Le principe de base, reconnu dans tous les régimes de droit civil, selon lequel les prestations réciproques doivent s’exécuter de manière simultanée, serait violé et l’«égalité des armes» entre les parties contractantes serait rompue au détriment du consommateur, dont la position serait affaiblie de manière significative notamment dans l’éventualité d’un litige au sujet de l’existence de vices de construction. Ils ajoutent que la clause est inattendue, qu’elle n’est pas claire et qu’elle a été imposée par un constructeur en situation de monopole.

18. Au terme d’une analyse approfondie du droit allemand, la Commission des Communautés européennes parvient à la conclusion que la clause litigieuse entraîne, en toute hypothèse, un désavantage au détriment du consommateur. La question de savoir s’il s’agit d’un déséquilibre significatif et injustifié au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive serait une question d’appréciation à laquelle il appartient au juge national de répondre.

19. À cet égard, il convient de constater que, en se référant aux notions de bonne foi et de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, l’article 3 de la directive ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle (voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2002, Commission/Suède, C-478/99, Rec. p. I-4147, point 17).

20. L’annexe à laquelle renvoie l’article 3, paragraphe 3, de la directive ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. Une clause qui y figure ne doit pas nécessairement être considérée comme abusive et, inversement, une clause qui n’y figure pas peut néanmoins être déclarée abusive (arrêt Commission/Suède, précité, point 20).

21. S’agissant de la question de savoir si une clause contractuelle particulière présente ou non un caractère abusif, l’article 4 de la directive indique que la réponse doit être apportée en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion. Il convient de relever que, dans ce contexte, doivent également être appréciées les conséquences que ladite clause peut avoir dans le cadre du droit applicable au contrat, ce qui implique un examen du système juridique national.

22. Il s’ensuit que, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 25 de ses conclusions, la Cour peut, dans le cadre de l’exercice de la compétence d’interprétation du droit communautaire qui lui est conférée à l’article 234 CE, interpréter les critères généraux utilisés par le législateur communautaire pour définir la notion de clause abusive. En revanche, elle ne saurait se prononcer sur l’application de ces critères généraux à une clause particulière qui doit être examinée en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

23. Il est vrai que, dans l’arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C-240/98 à C-244/98, Rec. p. I-4941, points 21 à 24), la Cour a jugé qu’une clause préalablement rédigée par un professionnel, qui a pour objet de conférer compétence, pour tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège du professionnel, réunit tous les critères pour pouvoir être qualifiée d’abusive au regard de la directive. Toutefois, cette appréciation a été portée à propos d’une clause à l’avantage exclusif du professionnel et sans contrepartie pour le consommateur, mettant en cause, quel que soit le type de contrat, l’effectivité de la protection juridictionnelle des droits que la directive reconnaît au consommateur. Il était donc possible de constater le caractère abusif de cette clause sans avoir à examiner toutes les circonstances propres à la conclusion du contrat ni à apprécier les avantages et les désavantages liés à cette clause dans le droit national applicable au contrat.

24. Ainsi qu’il ressort des observations qui ont été soumises à la Cour, tel n’est pas le cas de la clause qui fait l’objet du litige au principal.

25. Il y a donc lieu de répondre à la question posée en ce sens qu’il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle qui fait l’objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive.

Sur les dépens
26. Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 2 mai 2002, dit pour droit:
Il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle qui fait l’objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.