Dans l’affaire C-472/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fovárosi Bíróság (devenue la Fovárosi Törvényszék) (Hongrie), par décision du 16 juin 2011, parvenue à la Cour le 16 septembre 2011, dans la procédure

B…

contre

C… C…,

V… C…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Ilešic, E. Levits, M. Safjan et Mme M. Berger (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 septembre 2012,

considérant les observations présentées:

– pour B…, par Me E. Héjja, ügyvéd,

– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Martínez-Lage Sobredo, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement slovaque, par M. M. Kianicka, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. B. Simon et M. van Beek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la B… aux époux C… au sujet du paiement des sommes dues en vertu d’un contrat de crédit en cas de résiliation anticipée de ce contrat par l’établissement prêteur en raison d’un comportement imputable à l’emprunteur.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 3, paragraphe 1, de la directive définit la clause abusive en ces termes:

«Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.»

4 S’agissant de l’examen du caractère abusif d’une clause, l’article 4, paragraphe 1, de la directive précise:

«Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.»

5 En ce qui concerne les effets liés à la constatation du caractère abusif d’une clause, l’article 6, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

6 L’article 7, paragraphe 1, de la directive ajoute:

«Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.»

Le droit national

7 Aux termes de l’article 209, paragraphe 1, du code civil, «est abusive une condition contractuelle générale ou une clause d’un contrat de consommation qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle dès lors que, en violation des obligations de bonne foi et de loyauté, elle fixe les droits et les obligations des parties découlant du contrat de manière unilatérale et non motivée au détriment de la partie contractante qui n’est pas l’auteur de la clause».

8 L’article 209/A, paragraphe 2, du code civil prévoit que de telles clauses sont nulles.

9 L’article 2, sous j), du décret gouvernemental n° 18/1999, du 5 février 1999, relatif aux clauses à considérer comme abusives dans les contrats de consommation, prévoit:

«[…] est à considérer comme abusive, jusqu’à preuve du contraire, en particulier la clause qui

[…]

j) impose au consommateur de verser un montant excessif dans l’hypothèse où il n’a pas exécuté ses obligations ou qu’il ne les a pas exécutées conformément au contrat.».

10 Selon l’article 3, paragraphe 2, de la loi n° III de 1952 portant code de procédure civile, le juge, en l’absence d’une disposition légale contraire, est lié par les conclusions et les arguments juridiques présentés par les parties.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11 Le 16 juin 2006, M. C… a conclu un contrat de crédit avec la B…, dont le terme était fixé au 15 juin 2012.

12 La clause n° 29 du contrat prérédigé par la B… prévoyait que, si ce contrat était résilié avant son terme en raison d’un manquement de l’emprunteur ou pour tout autre motif découlant d’un comportement imputable à ce dernier, l’emprunteur devrait verser, en plus des intérêts moratoires et des frais, la totalité des échéances restant dues. Les échéances rendues exigibles comprenaient, outre le montant du principal, les intérêts du prêt et la prime d’assurance.

13 M. C… s’est acquitté, pour la dernière fois, d’une échéance au mois de février 2008. La B… a alors résilié le contrat et demandé à l’emprunteur le paiement des sommes restant dues en application de la clause n° 29 de celui-ci. M. C… n’ayant pas déféré à cette demande, elle a introduit un recours à son encontre ainsi que, en se fondant sur les règles du droit de la famille, à l’encontre de l’épouse de celui-ci.

14 Dans le cadre de la procédure pendante devant lui, le Pesti Központi kerületi bíróság (tribunal d’arrondissement du centre de Pest), saisi en tant que juridiction de première instance, a informé les parties qu’il considérait que cette clause n° 29 était abusive et les a invitées à s’exprimer sur ce point. M. C… a fait valoir qu’il considérait comme excessives les prétentions de la B… et qu’il reconnaissait uniquement le bien-fondé du montant du principal. La B… a contesté le caractère abusif de la clause en cause.

15 Par décision du 6 juillet 2010, le Pesti Központi kerületi bíróság a condamné M. C… à payer à la B… un montant calculé sans faire application de la clause n° 29 du contrat.

16 La B… a fait appel de cette décision. C’est dans ces conditions que la Fovárosi Bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Une juridiction nationale agit-elle de manière conforme à l’article 7, paragraphe 1, de la directive […] si, ayant constaté le caractère abusif d’une condition contractuelle générale et en l’absence de demande en ce sens des parties, elle les informe qu’elle considère nulle la quatrième phrase de la clause n° 29 des conditions générales du contrat de prêt conclu entre les parties au litige? La nullité résulte d’une contrariété à des dispositions légales, à savoir [aux articles] 1er, paragraphe 1, sous c), et 2, sous j), du décret gouvernemental n° 18/1999 […].

2) Dans la situation visée à la première question, est-il loisible à la juridiction nationale d’inviter les parties au litige à présenter une déclaration relative à ladite clause contractuelle, de façon à pouvoir tirer les conséquences juridiques attachées à son caractère éventuellement abusif et atteindre les objectifs poursuivis par l’article 6, paragraphe 1, de la directive?

3) Dans les circonstances ci-dessus décrites, lors de l’examen d’une clause contractuelle abusive, est-il loisible à la juridiction nationale d’examiner toutes les clauses du contrat ou n’y a-t-il lieu d’examiner que les clauses sur lesquelles le cocontractant du consommateur fonde sa demande?»

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

17 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent ou, au contraire, permettent que le juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle informe les parties qu’il a relevé l’existence d’une cause de nullité et les invite à présenter une déclaration à cet égard.

18 Il ressort du dossier que ces questions sont liées à l’existence, dans le droit national, d’une règle selon laquelle le juge qui a relevé d’office une cause de nullité doit en avertir les parties et leur donner la possibilité de faire une déclaration sur l’éventuelle constatation de l’absence de validité du rapport de droit concerné, en l’absence de laquelle il ne peut pas prononcer la nullité.

19 Afin de répondre à ces questions, il convient de rappeler que le système de protection mis en œuvre par la directive repose en effet sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C-40/08, Rec. p. I-9579, point 29, et du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C-618/10, non encore publié au Recueil, point 39).

20 Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir, notamment, arrêts du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C-137/08, Rec. p. I-10847, point 47, et Banco Español de Crédito, précité, point 40).

21 Afin d’assurer la protection recherchée par la directive, la Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (voir, notamment, arrêts précités VB Pénzügyi Lízing, point 48, et Banco Español de Crédito, point 41).

22 C’est à la lumière de ces considérations que la Cour a jugé que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel (voir, notamment, arrêts précités VB Pénzügyi Lízing, point 49, et Banco Español de Crédito, point 42).

23 Par conséquent, le rôle qui est attribué par le droit de l’Union au juge national dans le domaine considéré ne se limite pas à la simple faculté de se prononcer sur la nature éventuellement abusive d’une clause contractuelle, mais comporte également l’obligation d’examiner d’office cette question, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir, notamment, arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08, Rec. p. I-4713, point 32, et Banco Español de Crédito, précité, point 43).

24 À cet égard, en se prononçant sur une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale saisie dans le cadre d’une procédure contradictoire opposant un consommateur à un professionnel, la Cour a jugé que cette juridiction est tenue de prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur entre dans le champ d’application de la directive et, dans l’affirmative, d’apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause (voir, en ce sens, arrêts précités VB Pénzügyi Lízing, point 56, et Banco Español de Crédito, point 44).

25 Quant aux conséquences à tirer de la constatation du caractère abusif d’une clause, l’article 6, paragraphe 1, de la directive exige que les États membres prévoient qu’une telle clause ne lie pas les consommateurs «dans les conditions fixées dans leurs droits nationaux».

26 À cet égard, il convient de rappeler que, en l’absence de réglementation par le droit de l’Union, les modalités procédurales des recours en justice destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts précités Asturcom Telecomunicaciones, point 38, et Banco Español de Crédito, point 46).

27 S’agissant de l’obligation d’assurer l’effectivité de la protection prévue par la directive en ce qui concerne la sanction d’une clause abusive, la Cour a déjà précisé que le juge national doit tirer toutes les conséquences qui, selon le droit national, découlent de la constatation du caractère abusif de la clause en cause afin de s’assurer que le consommateur n’est pas lié par celle-ci (arrêt Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 59). La Cour a toutefois précisé que le juge national n’est pas tenu, en vertu de la directive, d’écarter l’application de la clause en cause si le consommateur, après avoir été avisé par ledit juge, entend ne pas en faire valoir le caractère abusif et non contraignant (voir arrêt Pannon GSM, précité, points 33 et 35).

28 Il découle de cette jurisprudence que la pleine efficacité de la protection prévue par la directive requiert que le juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause puisse tirer toutes les conséquences de cette constatation, sans attendre que le consommateur, informé de ses droits, présente une déclaration demandant que ladite clause soit annulée.

29 Toutefois, en mettant en œuvre le droit de l’Union, le juge national doit également respecter les exigences d’une protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, telle qu’elle est garantie par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Parmi ces exigences figure le principe du contradictoire, qui fait partie des droits de la défense et qui s’impose au juge notamment lorsqu’il tranche un litige sur la base d’un motif retenu d’office (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C-89/08 P, Rec. p. I-11245, points 50 ainsi que 54).

30 La Cour a ainsi jugé que, en règle générale, le principe du contradictoire ne confère pas seulement à chaque partie à un procès le droit de prendre connaissance des pièces et des observations soumises au juge par son adversaire, et de les discuter, mais implique également le droit des parties de prendre connaissance des moyens de droit relevés d’office par le juge, sur lesquels celui-ci entend fonder sa décision, et de les discuter. La Cour a souligné que, pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe en effet que les parties aient connaissance et puissent débattre contradictoirement tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure (voir arrêt Commission/Irlande e.a., précité, points 55 ainsi que 56).

31 Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où le juge national, après avoir établi sur la base des éléments de fait et de droit dont il dispose, ou dont il a eu communication à la suite des mesures d’instruction qu’il a prises d’office à cet effet, qu’une clause relève du champ d’application de la directive, constate, au terme d’une appréciation à laquelle il a procédé d’office, que cette clause présente un caractère abusif, il est, en règle générale, tenu d’en informer les parties au litige et de les inviter à en débattre contradictoirement selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure.

32 La règle nationale en cause dans le litige au principal, selon laquelle le juge qui a relevé d’office une cause de nullité doit en avertir les parties et leur donner la possibilité de faire une déclaration sur l’éventuelle constatation de l’absence de validité du rapport de droit concerné, répond à cette exigence.

33 Dans l’hypothèse d’un relevé d’office du caractère abusif d’une clause, l’obligation d’aviser les parties et de leur donner la possibilité de s’exprimer ne peut, au demeurant, être considérée comme étant, en soi, incompatible avec le principe d’effectivité qui régit la mise en œuvre, par les États membres, des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. En effet, il est constant que ce principe doit être appliqué en prenant en considération, notamment, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, dont le principe du contradictoire est un élément (voir, en ce sens, arrêt Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 39).

34 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que c’est dans le respect du principe du contradictoire et sans porter atteinte à l’effectivité de la protection prévue par la directive au bénéfice du consommateur que le juge de renvoi a, dans le cadre de la procédure au principal, invité tant l’établissement financier demandeur dans cette procédure que le consommateur qui y est défendeur à présenter leurs observations sur l’appréciation qu’il portait quant au caractère abusif de la clause litigieuse.

35 Cette possibilité donnée au consommateur de s’exprimer sur ce point répond également à l’obligation qui incombe au juge national, ainsi qu’il a été rappelé au point 25 du présent arrêt, de tenir compte, le cas échéant, de la volonté exprimée par le consommateur lorsque, conscient du caractère non contraignant d’une clause abusive, ce dernier indique néanmoins qu’il s’oppose à ce qu’elle soit écartée, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à la clause en question.

36 Il convient, par conséquent, de répondre aux première et deuxième questions que les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive doivent être interprétés en ce sens que le juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle n’est pas tenu, afin de pouvoir tirer les conséquences de cette constatation, d’attendre que le consommateur, informé de ses droits, présente une déclaration demandant que ladite clause soit annulée. Toutefois, le principe du contradictoire impose, en règle générale, au juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle d’en informer les parties au litige et de leur donner la possibilité d’en débattre contradictoirement selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure.

Sur la troisième question

37 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle permet au juge national, voire lui impose, lors de l’examen d’une clause abusive, d’examiner toutes les clauses du contrat ou si, au contraire, il doit limiter son examen aux clauses sur lesquelles est fondée la demande dont il est saisi.

38 À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort du dossier que, dans l’affaire au principal, la demande introduite par la B… à l’encontre des époux C… est fondée sur la clause n° 29 du contrat de crédit qu’ils ont conclu et que la détermination du caractère abusif ou non de cette clause est déterminante pour la décision à rendre sur la demande de paiement des diverses indemnités réclamées par la B….

39 Il convient donc d’interpréter la troisième question en ce sens que le juge de renvoi cherche à savoir si, lors de l’appréciation du caractère abusif de la clause sur laquelle est fondée la demande, il peut ou doit tenir compte des autres clauses du contrat.

40 En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive, une clause est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat. Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la même directive, cette appréciation doit être portée en tenant compte de la nature des services qui font l’objet du contrat et en se référant à toutes les circonstances qui ont entouré sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

41 Il y a donc lieu de répondre à la troisième question que le juge national doit, afin de porter une appréciation sur le caractère éventuellement abusif de la clause contractuelle qui sert de base à la demande dont il est saisi, tenir compte de toutes les autres clauses du contrat.

Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1) Les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que le juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle n’est pas tenu, afin de pouvoir tirer les conséquences de cette constatation, d’attendre que le consommateur, informé de ses droits, présente une déclaration demandant que ladite clause soit annulée. Toutefois, le principe du contradictoire impose, en règle générale, au juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle d’en informer les parties au litige et de leur donner la possibilité d’en débattre contradictoirement selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure.

2) Le juge national doit, afin de porter une appréciation sur le caractère éventuellement abusif de la clause contractuelle qui sert de base à la demande dont il est saisi, tenir compte de toutes les autres clauses du contrat.

Banco E… SA

contre

X…

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, MM. M. Safjan, M. Ilešic, E. Levits et Mme M. Berger, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er décembre 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Banco E…, par Mmes A. Herrador Muñoz et V. Betancor Sánchez ainsi que par M. R. Rivero Sáez, abogados,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par Mme J. Kemper et M. T. Henze, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Owsiany-Homung et M. E. Gippini Fournier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 février 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation:

–        de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29);

–        de l’article 2 de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (JO L 110, p. 30);

–        des dispositions du règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JO L 399 p. 1);

–        des articles 5, paragraphe 1, sous l) et m), 6, 7 et 10, paragraphe 2, sous l), de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO L 133, p. 66), et

–        de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) nº 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales») (JO L 149, p. 22).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Banco Español de Crédito SA (ci-après « B…») à M. X… au sujet du paiement de sommes dues en exécution d’un contrat de prêt à la consommation conclu entre ces parties.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

La directive 87/102/CEE

3        La directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation (JO 1987, L 42, p. 48), prévoyait à son article 6:

«1.      Nonobstant l’exclusion prévue à l’article 2 paragraphe 1 point e), lorsqu’un contrat a été passé entre un établissement de crédit ou un organisme financier et un consommateur pour l’octroi d’un crédit sous la forme d’une avance sur compte courant, sauf dans le cas des comptes liés à des cartes de crédit, le consommateur est informé au moment de la conclusion du contrat ou avant celle-ci:

–        du plafond éventuel du crédit,

–        du taux d’intérêt annuel et des frais applicables dès la conclusion du contrat et des conditions dans lesquelles ils pourront être modifiés,

–        des modalités selon lesquelles il peut être mis fin au contrat.

Ces informations sont confirmées par écrit.

2.      De plus, en cours de contrat, le consommateur est informé de toute modification du taux d’intérêt annuel ou des frais au moment où intervient cette modification. Cette information peut être fournie dans un relevé de compte ou par tout autre moyen jugé acceptable par les États membres.

3.      Dans les États membres où l’existence d’un découvert accepté tacitement est licite, ces derniers veillent à ce que le consommateur soit informé du taux d’intérêt annuel et des frais éventuels applicables ainsi que de toute modification de ceux-ci, lorsque ce découvert se prolonge au-delà d’une période de trois mois.»

4        Aux termes de l’article 7 de ladite directive:

«Lorsqu’il s’agit d’un crédit consenti en vue de l’acquisition de biens,  les États membres fixent les conditions dans lesquelles les biens peuvent être repris, notamment lorsque le consommateur n’a pas donné son accord. Ils veillent en outre à ce que, lorsque le prêteur reprend les biens, le décompte entre les parties soit établi de manière à éviter que la reprise n’entraîne un enrichissement non justifié.»

La directive 93/13

5        Le douzième considérant de la directive 93/13 énonce:

«considérant, toutefois, qu’en l’état actuel des législations nationales, seule une harmonisation partielle est envisageable; que, notamment, seules les clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle font l’objet de la présente directive; qu’il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du traité, d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de la présente directive».

6        Le vingt et unième considérant de ladite directive est libellé comme suit:

«considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel; que si, malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives».

7        Le vingt-quatrième considérant de la même directive précise:

«considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs».

8        Aux termes de l’article 6 de la directive 93/13:

«1.      Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.

2.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordée par la présente directive du fait du choix du droit d’un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres.»

9        L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive est libellé comme suit:

«Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.»

10      L’article 8 de la même directive dispose:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité [CE], pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur.»

La directive 2005/29

11      L’article 11, paragraphes 1 et 2, de la directive 2005/29 prévoit:

«1.      Les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l’intérêt des consommateurs.

[…]

2.      Dans le cadre des dispositions juridiques visées au paragraphe 1, les États membres confèrent aux tribunaux ou aux autorités administratives des pouvoirs les habilitant, dans les cas où ceux-ci estiment que ces mesures sont nécessaires compte tenu de tous les intérêts en jeu, et notamment de l’intérêt général:

a)      à ordonner la cessation de pratiques commerciales déloyales ou à engager les poursuites appropriées en vue de faire ordonner la cessation desdites pratiques,

ou

b)      si la pratique commerciale déloyale n’a pas encore été mise en œuvre mais est imminente, à interdire cette pratique ou à engager les poursuites appropriées en vue de faire ordonner son interdiction,

même en l’absence de preuve d’une perte ou d’un préjudice réels, ou d’une intention ou d’une négligence de la part du professionnel.

Les États membres prévoient en outre que les mesures visées au premier alinéa peuvent être prises dans le cadre d’une procédure accélérée:

–        soit avec effet provisoire,

–        soit avec effet définitif,

étant entendu qu’il appartient à chaque État membre de déterminer laquelle de ces deux options sera retenue.

[…]»

Le règlement n° 1896/2006

12      Le dixième considérant du règlement n° 1896/2006 précise:

«La procédure instituée par le présent règlement devrait constituer un instrument complémentaire et facultatif pour le demandeur, qui demeure libre de recourir à une procédure prévue par le droit national. En conséquence, le présent règlement ne remplace ni n’harmonise les mécanismes de recouvrement de créances incontestées prévus par le droit national.»

13      L’article 1er du règlement n° 1896/2006 prévoit:

«1.      Le présent règlement a pour objet:

a)      de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer;

et

b)      d’assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

2.      Le présent règlement n’empêche pas le demandeur de faire valoir une créance au sens de l’article 4 en recourant à une autre procédure prévue par le droit d’un État membre ou par le droit communautaire.»

La directive 2008/48

14      L’article 1er de la directive 2008/48 est libellé comme suit:

«La présente directive a pour objet d’harmoniser certains aspects des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de contrats de crédit aux consommateurs.»

15      Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive:

«Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat ou une offre de crédit, le prêteur et, le cas échéant, l’intermédiaire de crédit, lui donnent en temps utile, sur la base des clauses et conditions du crédit proposé par le prêteur et, le cas échéant, des préférences exprimées par le consommateur et des informations fournies par ce dernier, les informations nécessaires à la comparaison des différentes offres pour prendre une décision en connaissance de cause sur la conclusion d’un contrat de crédit. […]

Ces informations portent sur:

[…]

l)      le taux d’intérêt applicable en cas de retard de paiement, ainsi que les modalités d’adaptation de celui-ci et, le cas échéant, les frais d’inexécution;

m)      un avertissement concernant les conséquences des impayés;

[…]»

16      L’article 10, paragraphe 2, de la même directive dispose:

«Le contrat de crédit mentionne, de façon claire et concise:

[…]

l)      le taux d’intérêt applicable en cas de retard de paiement applicable au moment de la conclusion du contrat de crédit et les modalités d’adaptation de ce taux, ainsi que, le cas échéant, les frais d’inexécution;

[…]»

La directive 2009/22

17      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2009/22 prévoit:

«La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux actions en cessation, mentionnées à l’article 2, visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs inclus dans les directives énumérées à l’annexe I, afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.»

18      Aux termes de l’article 2 de ladite directive:

«1.      Les États membres désignent les tribunaux ou autorités administratives compétents pour statuer sur les recours formés par les entités qualifiées au sens de l’article 3 visant:

a)      à faire cesser ou interdire toute infraction, avec toute la diligence requise et, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure d’urgence;

[…]

2.      La présente directive est sans préjudice des règles de droit international privé en ce qui concerne le droit applicable, à savoir normalement, soit le droit de l’État membre où l’infraction a son origine, soit celui de l’État membre où l’infraction produit ses effets.»

Le droit espagnol

19      En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a été, tout d’abord, assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984, p. 21686, ci après la «loi 26/1984»).

20      La loi 26/1984 a été, ensuite, modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998, p. 12304), qui a transposé la directive 93/13 dans le droit interne espagnol.

21      Enfin, le décret royal législatif 1/2007 portant refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires (Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias), du 16 novembre 2007 (BOE n° 287, du 30 novembre 2007, p. 49181, ci-après le «décret législatif 1/2007»), a adopté le texte codifié de la loi 26/1984, telle que modifiée.

22      Aux termes de l’article 83 du décret législatif 1/2007:

«1.      Les clauses abusives sont nulles de plein droit et sont réputées non écrites.

2.      La partie du contrat entachée de nullité est complétée conformément à l’article 1258 du code civil et au principe de la bonne foi objective.

À cet effet, le juge qui déclare la nullité desdites clauses complète le contrat et dispose d’un pouvoir modérateur quant aux droits et obligations des parties, si le contrat subsiste, et quant aux conséquences de son invalidité si celle-ci cause un préjudice appréciable au consommateur et à l’usager.

Le juge ne peut déclarer l’invalidité du contrat que si les clauses qui subsistent placent les parties dans une situation inéquitable à laquelle il ne peut être remédié.»

23      L’article 1258 du code civil dispose:

«Les contrats sont conclus par simple consentement et rendent dès lors obligatoires non seulement l’exécution des dispositions expressément convenues, mais aussi toutes les conséquences qui, selon leur nature, sont conformes à la bonne foi, à l’usage et à la loi.»

24      S’agissant de la procédure d’injonction de payer, le code de procédure civile (Ley de Enjuiciamiento Civil), dans sa version en vigueur à la date à laquelle la procédure ayant donné lieu au litige au principal a été engagée, énonce, à son article 812, paragraphe 1, les conditions d’application de cette même procédure dans les termes suivants:

«Peut recourir à la procédure d’injonction toute personne réclamant à autrui le paiement d’une dette pécuniaire, échue, exigible et ne dépassant pas 30 000 euros, dès lors que le montant de cette dette est attesté selon les modalités qui suivent:

1)      soit par la présentation de documents, quels que soient leur forme, leur type ou leur support physique, signés par le débiteur ou portant son timbre, empreinte ou marque ou tout autre signal, physique ou électronique, provenant du débiteur;

2)      soit par la présentation de factures, bons de livraison, certificats, télégrammes, télécopies ou tous autres documents qui, même créés unilatéralement par le créancier, sont habituellement utilisés pour documenter les crédits et dettes dans les relations du type de celle existant entre le créancier et son débiteur.

[…]»

25      L’article 815, paragraphe 1, du code de procédure civile, intitulé «Recevabilité de la demande et injonction de payer», dispose:

«Si les documents joints à la demande font partie de ceux prévus à l’article 812, paragraphe 2, ou constituent un commencement de preuve du droit du demandeur, confirmé par le contenu de la demande, le greffier ordonne au débiteur de payer le demandeur dans un délai de 20 jours et de fournir les preuves de ce paiement au tribunal, ou de comparaître devant celui-ci et d’indiquer de manière succincte, dans l’acte d’opposition, les motifs pour lesquels il considère qu’il n’est pas redevable, en tout ou en partie, du montant réclamé […]»

26      Quant à l’article 818, paragraphe 1, du code de procédure civile, relatif à l’opposition du débiteur, il prévoit:

«Si le débiteur forme opposition en temps utile, le litige est tranché définitivement à l’issue de la procédure appropriée et le jugement prononcé passe en force de chose jugée.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

27      Le 28 mai 2007 M. X… a conclu un contrat de prêt pour un montant de 30 000 euros avec B… (ci-après le «contrat litigieux»), afin de pouvoir procéder à l’acquisition d’un véhicule devant «subvenir aux besoins du ménage». Le taux de rémunération était fixé à 7,950 %, le TAEG (taux annuel effectif global) à 8,890 % et le taux des intérêts moratoires à 29 %.

28      Bien que l’échéance du contrat litigieux ait été fixée au 5 juin 2014, B… a considéré que celui-ci avait expiré avant cette date au motif que, au mois de septembre 2008, les remboursements de sept mensualités n’avaient pas encore été effectués. Ainsi, le 8 janvier 2009, elle a introduit, devant le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell, conformément au droit espagnol, une demande d’injonction de payer portant sur la somme de 29 381,95 euros, correspondant aux mensualités impayées, majorées des intérêts conventionnels et des dépens.

29      Le 21 janvier 2010, le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell a rendu une ordonnance dans laquelle il a constaté que, d’une part, le contrat litigieux était un contrat d’adhésion, conclu sans réelles possibilités de négociation et comportant des conditions générales imposées, et que, d’autre part, le taux des intérêts moratoires de 29 % était fixé dans une clause dactylographiée qui ne se distinguait pas du reste du texte en ce qui concerne le type de lettres, le corps des lettres utilisées ou l’acceptation spécifique par le consommateur.

30      Dans ces conditions, en tenant compte, notamment, du niveau du taux d’intérêt Euribor («Euro interbank offered rate») et de la Banque centrale européenne (BCE) ainsi que du fait que le taux desdits intérêts moratoires était supérieur de plus de 20 points à celui de la rémunération, le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell a déclaré d’office la nullité de plein droit de la clause relative aux intérêts moratoires, au motif que celle-ci présentait un caractère abusif, en faisant référence à la jurisprudence constante de la Cour en la matière. Il a en outre fixé ce même taux à 19 %, en faisant référence au taux d’intérêt légal et au taux des intérêts moratoires figurant dans les lois budgétaires nationales de 1990 à 2008, et a exigé que B… effectue un nouveau calcul du montant des intérêts pour la période en cause dans le litige dont il était saisi.

31       B… a interjeté appel de ladite ordonnance devant l’Audiencia Provincial de Barcelona en faisant valoir, en substance, que le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell ne pouvait, à ce stade de la procédure, ni constater d’office la nullité de la clause contractuelle relative aux intérêts moratoires, considérée par lui comme abusive, ni procéder à la révision de celle-ci.

32      Dans la décision de renvoi, l’Audiencia Provincial de Barcelona a constaté, en premier lieu, que la législation espagnole en matière de protection des intérêts des consommateurs et des usagers n’habilite pas les juges saisis d’une demande d’injonction de payer à déclarer, d’office et in limine litis, la nullité des clauses abusives, l’analyse de la licéité de celles-ci relevant de la procédure de droit commun, laquelle n’est ouverte que dans le cas d’une opposition formée par le débiteur.

33      S’agissant, en second lieu, du droit de l’Union, ladite juridiction a relevé que, certes, la jurisprudence de la Cour a interprété l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 en ce sens que les juges nationaux sont tenus de soulever d’office la nullité et l’inapplicabilité d’une clause abusive, même en l’absence de toute demande des parties au contrat présentée à cet effet.

34      Toutefois, selon la juridiction de renvoi, le règlement n° 1896/2006, régissant précisément la matière de l’injonction de payer au niveau de l’Union européenne, n’institue pas une procédure d’examen d’office et in limine litis des clauses abusives, mais se borne à énumérer une série d’exigences et d’informations qui doivent être fournies aux consommateurs.

35      De même, ni la directive 2008/48, concernant les contrats de crédit à la consommation, ni la directive 2009/22, relative aux actions en cessation des infractions préjudiciables aux intérêts des consommateurs, ne prévoient de mécanismes procéduraux qui imposent aux juridictions nationales de constater d’office la nullité d’une clause telle que celle contenue dans le contrat litigieux.

36      Enfin, même en considérant comme «déloyale», au sens de la directive 2005/29, la pratique consistant à insérer dans le texte d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur une clause d’intérêts moratoires, la loi 29/2009 portant modification du régime légal de la concurrence déloyale et de la publicité pour l’amélioration de la protection des consommateurs et des usagers (Ley 29/2009 por la que se modifica el régimen legal de la competencia desleal y de la publicidad para la mejora de la protección de los consumidores y usuarios), du 30 décembre 2009 (BOE n° 315, du 31 décembre 2009, p. 112039), n’ayant pas transposé en droit espagnol l’article 11, paragraphe 2, de cette directive, les juridictions nationales ne disposent pas, en tout état de cause, du pouvoir d’examiner d’office le caractère déloyal de ladite pratique.

37      C’est dans ces conditions que l’Audiencia Provincial de Barcelona, éprouvant des doutes en ce qui concerne la correcte interprétation du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le droit de l’Union, et en particulier le droit des consommateurs et des usagers, s’oppose-t-il à ce qu’une juridiction nationale évite de se prononcer d’office, in limine litis et à tout moment de la procédure, sur la nullité ou non et la révision ou non d’une clause d’intérêts moratoires (en l’occurrence de 29 %) insérée dans un contrat de prêt à la consommation? La juridiction peut-elle choisir, sans porter atteinte aux droits que le consommateur tire de la législation de l’Union, de laisser l’éventuel examen d’une telle clause à l’initiative du débiteur (par la voie de l’opposition que ce dernier peut former)?

2)      À la lumière de l’article 6, paragraphe 1, de la directive [93/13] et de l’article 2 de la directive [2009/22], quelle doit être, à cet effet, l’interprétation conforme de l’article 83 du [décret législatif 1/2007] […]? Quelle est la portée, à cet égard, de l’article 6, paragraphe 1, de la directive [93/13] lorsqu’il prévoit que les clauses abusives ‘ne lient pas les consommateurs’?

3)      Le contrôle juridictionnel d’office et in limine litis peut-il être exclu lorsque le demandeur indique clairement, dans sa demande, le taux d’intérêt moratoire, le montant de la créance, notamment le principal et les intérêts, les pénalités contractuelles et les frais, le taux d’intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés (sauf si des intérêts légaux sont automatiquement ajoutés au principal en vertu du droit de l’État membre d’origine), la cause de l’action, y compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et des intérêts réclamés, et lorsque le demandeur précise s’il s’agit d’un taux d’intérêt légal ou contractuel, d’une capitalisation des intérêts, du taux d’intérêt du prêt, s’il a été calculé par le demandeur, ou du pourcentage au-dessus du taux de base de la Banque centrale européenne, comme le prévoit le règlement [n° 1896/2006] instituant une procédure européenne d’injonction de payer?

4)      À défaut de transposition, les articles 5, sous l) et m), 6 et 10, sous l), de la directive [2008/48] – lorsqu’ils mentionnent les ‘modalités d’adaptation’ –, obligent-ils l’établissement financier à indiquer de manière spécifique et séparée dans le contrat (et non pas dans le corps du texte, de manière indistincte), de façon claire et visible, en tant qu’‘informations précontractuelles’, les références au taux d’intérêt moratoire en cas d’impayé ainsi que les éléments pris en considération pour sa fixation (frais financiers, de recouvrement…) et à inclure un avertissement concernant les conséquences relatives aux éléments de coût?

5)      L’article 6, paragraphe 2, de la directive [2008/48] implique-t-il l’obligation de notifier la fin anticipée du crédit ou du prêt, qui permet l’application du taux d’intérêt moratoire? Le principe de l’interdiction de l’enrichissement non justifié, énoncé à l’article 7 de la directive [2008/48], est-il applicable lorsque l’établissement de crédit entend non seulement reprendre le bien (le capital d’emprunt), mais également appliquer des intérêts de retard particulièrement élevés?

6)      À défaut de règle de transposition et à la lumière de l’article 11, paragraphe 2, de la directive [2005/29], la juridiction peut-elle examiner d’office le caractère déloyal de la pratique consistant à insérer dans le texte du contrat une clause d’intérêts moratoires?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

38      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier.

39      Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler d’emblée que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C-240/98 à C-244/98, Rec. p. I-4941, point 25; du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168/05, Rec. p. I-10421, point 25, ainsi que du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C-40/08, Rec. p. I-9579, point 29).

40      Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêts Mostaza Claro, précité, point 36; Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 30; du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C-137/08, non encore publié au Recueil, point 47, et du 15 mars 2012, Perenicová et Perenic, C-453/10, non encore publié au Recueil, point 28).

41      Afin d’assurer la protection recherchée par la directive 93/13, la Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (voir arrêts précités Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, point 27; Mostaza Claro, point 26; Asturcom Telecomunicaciones, point 31, ainsi que VB Pénzügyi Lízing, point 48).

42      C’est à la lumière de ces principes que la Cour a ainsi jugé que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel (voir, en ce sens, arrêts Mostaza Claro, précité, point 38; du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08, Rec. p. I-4713, point 31; Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 32, ainsi que VB Pénzügyi Lízing, précité, point 49).

43      Par conséquent, le rôle qui est attribué par le droit de l’Union au juge national dans le domaine considéré ne se limite pas à la simple faculté de se prononcer sur la nature éventuellement abusive d’une clause contractuelle, mais comporte également l’obligation d’examiner d’office cette question, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir arrêt Pannon GSM, précité, point 32).

44      À cet égard, en se prononçant sur une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale saisie dans le cadre d’une procédure contradictoire ouverte à la suite de l’opposition formée par un consommateur à une injonction de payer, la Cour a jugé que cette juridiction est tenue de prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur entre dans le champ d’application de la directive 93/13 et, dans l’affirmative, d’apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause (arrêt VB Pénzügyi Lízing, précité, point 56).

45      Toutefois, la présente affaire se distingue de celles ayant donné lieu aux arrêts précités Pannon GSM et VB Pénzügyi Lízing par le fait qu’elle concerne la définition des responsabilités incombant au juge national, en vertu des dispositions de la directive 93/13, dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer, et ce avant l’opposition formée par le consommateur.

46      À cet égard, il y a lieu de constater que, en l’absence d’harmonisation des mécanismes nationaux de recouvrement de créances incontestées, les modalités de mise en œuvre des procédures nationales d’injonction de payer relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts précités Mostaza Claro, point 24, et Asturcom Telecomunicaciones, point 38).

47      S’agissant du principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité à celui-ci de la réglementation en cause dans l’affaire au principal.

48      En effet, il ressort du dossier que le système procédural espagnol ne permet pas au juge national saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, non seulement le caractère abusif, au regard de l’article 6 de la directive 93/13, d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur en l’absence d’opposition formée par ce dernier, mais également la contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public, ce qu’il appartient, toutefois, à la juridiction de renvoi de vérifier.

49      En ce qui concerne le principe d’effectivité, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, chaque cas dans lequel se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales (voir arrêt Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 39 et jurisprudence citée).

50      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que, conformément à l’article 812 du code de procédure civile, la procédure d’injonction de payer s’applique aux dettes pécuniaires échues, liquides et exigibles, dont le montant n’excède pas une valeur limitée, s’élevant à 30 000 euros à la date des faits au principal.

51      Afin de garantir aux créanciers un accès plus simple à la justice et un déroulement de la procédure plus rapide, ce même article prévoit uniquement la nécessité pour ceux-ci de joindre à la demande des documents prouvant l’existence de la dette, sans les obliger à indiquer clairement le taux d’intérêt moratoire, la période précise d’exigibilité et le point de référence de ce même taux par rapport à l’intérêt légal de droit interne ou bien au taux de la Banque centrale européenne.

52      Ainsi, en vertu des articles 815, paragraphe 1, et 818, paragraphe 1, du code de procédure civile, le juge national saisi d’une demande d’injonction de payer jouit d’une compétence qui est limitée à la seule vérification de l’existence des conditions formelles d’ouverture de cette procédure, en présence desquelles il doit faire droit à la demande dont il est saisi et rendre une injonction exécutoire sans pouvoir examiner, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, le bien-fondé de la demande au regard des informations dont il dispose, à moins que le débiteur ne refuse de s’acquitter de sa dette ou ne forme opposition dans un délai de 20 jours à compter de la date de la notification de ladite injonction. Une telle opposition doit nécessairement être effectuée avec l’assistance d’un avocat pour les litiges excédant une valeur déterminée par la loi, s’élevant à 900 euros à la date des faits ayant donné lieu au litige au principal.

53      Or, dans ce contexte, force est de constater qu’un tel régime procédural, instituant une impossibilité pour le juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose déjà de tous les éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif des clauses contenues dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier, est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2002, Cofidis, C-473/00, Rec. p. I-10875, point 35).

54      En effet, compte tenu de l’ensemble, du déroulement et des particularités de la procédure d’injonction de payer décrite aux points 50 à 52 du présent arrêt, il existe un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit parce qu’ils peuvent être dissuadés de se défendre eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce qu’ils ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits, ou encore en raison du contenu limité de la demande d’injonction introduite par les professionnels et donc du caractère incomplet des informations dont ils disposent.

55      Ainsi, il suffirait aux professionnels d’engager une procédure d’injonction de payer au lieu d’une procédure civile ordinaire pour priver les consommateurs du bénéfice de la protection voulue par la directive 93/13, ce qui s’avère également contraire à la jurisprudence de la Cour selon laquelle les caractéristiques spécifiques des procédures juridictionnelles, qui se déroulent dans le cadre du droit national entre les professionnels et les consommateurs, ne sauraient constituer un élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doivent bénéficier ces derniers en vertu des dispositions de cette directive (arrêt Pannon GSM, précité, point 34).

56      Dans ces conditions, il convient de constater que la réglementation espagnole en cause au principal n’apparaît pas conforme au principe d’effectivité, en ce qu’elle rend impossible ou excessivement difficile, dans les procédures engagées par les professionnels et auxquels les consommateurs sont défendeurs, l’application de la protection que la directive 93/13 entend conférer à ces derniers.

57      À la lumière de ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier.

Sur la deuxième question

58      Afin de fournir une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Michaniki, C-213/07, Rec. p. I-9999, points 50 et 51), il convient de comprendre la deuxième question comme demandant, en substance, si les articles 2 de la directive 2009/22 et 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle prévue à l’article 83 du décret législatif 1/2007, qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause.

59      À cet égard, il importe de relever, à titre liminaire, que le litige au principal se déroule dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer engagée par l’une des parties contractantes et non pas dans le contexte d’une action en cessation introduite par une «entité qualifiée» au sens de l’article 3 de la directive 2009/22.

60      Par conséquent, dans la mesure où cette dernière directive n’est pas applicable au litige au principal, il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’interprétation de l’article 2 de celle-ci.

61      Cela étant, afin de répondre à la question posée concernant les conséquences à tirer de la déclaration du caractère abusif d’une clause contractuelle, il convient de se référer tant à la lettre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 qu’aux finalités et à l’économie générale de cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2009, AHP Manufacturing, C-482/07, Rec. p. I-7295, point 27, et du 8 décembre 2011, Merck Sharp & Dohme, C-125/10, non encore publié au Recueil, point 29).

62      En ce qui concerne le libellé dudit article 6, paragraphe 1, il convient de constater, d’une part, que le premier membre de phrase de cette disposition, tout en reconnaissant aux États membres une certaine marge d’autonomie en ce qui concerne la définition des régimes juridiques applicables aux clauses abusives, impose néanmoins expressément de prévoir que lesdites clauses «ne lient pas les consommateurs».

63      Dans ce contexte, la Cour a déjà eu l’occasion d’interpréter cette disposition en ce sens qu’il incombe aux juridictions nationales constatant le caractère abusif de clauses contractuelles de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national, afin que le consommateur ne soit pas lié par lesdites clauses (voir arrêt Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 58; ordonnance du 16 novembre 2010, Pohotovost, C-76/10, non encore publiée au Recueil, point 62, ainsi que arrêt Perenicová et Perenic, précité, point 30). En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 40 du présent arrêt, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à restaurer l’égalité entre ces derniers.

64      D’autre part, il y a lieu de relever que le législateur de l’Union a explicitement prévu, dans le second membre de phrase de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, ainsi qu’au vingt et unième considérant de celle-ci, que le contrat conclu entre le professionnel et le consommateur restera contraignant pour les parties «selon les mêmes termes», s’il peut subsister «sans les clauses abusives».

65      Il découle ainsi du libellé du paragraphe 1 dudit article 6 que les juges nationaux sont tenus uniquement d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sans qu’ils soient habilités à réviser le contenu de celle-ci. En effet, ce contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible.

66      Cette interprétation est corroborée, en outre, par la finalité et l’économie générale de la directive 93/13.

67      En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, cette directive, dans son intégralité, constitue une mesure indispensable à l’accomplissement des missions confiées à l’Union et, en particulier, au relèvement du niveau et de la qualité de vie dans l’ensemble de cette dernière (voir arrêts précités Mostaza Claro, point 37; Pannon GSM, point 26, et Asturcom Telecomunicaciones, point 51).

68      Ainsi, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection assurée aux consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux États membres, comme il ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec le vingt-quatrième considérant de celle-ci, de prévoir des moyens adéquats et efficaces «afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel».

69      Or, dans ce contexte, force est de constater que, comme l’a relevé Mme l’avocat général aux points 86 à 88 de ses conclusions, s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives figurant dans de tels contrats, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13. En effet, cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives (voir, en ce sens, ordonnance Pohotovost’, précitée, point 41 et jurisprudence citée), dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels.

70      De ce fait, une telle faculté, si elle était reconnue au juge national, ne serait pas en mesure de garantir, par elle-même, une protection aussi efficace du consommateur que celle résultant de la non-application des clauses abusives. Par ailleurs, cette faculté ne pourrait pas non plus être fondée sur l’article 8 de la directive 93/13, qui laisse aux États membres la possibilité d’adopter ou de maintenir, dans le domaine régi par cette directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le droit de l’Union, pour autant que soit assuré un niveau de protection plus élevé au consommateur (voir arrêts du 3 juin 2010 Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, C-484/08, Rec. p. I-4785, points 28 et 29, ainsi que Perenicová et Perenic, précité, point 34).

71      Il découle, dès lors, de ces considérations que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne saurait être compris comme permettant au juge national, dans le cas où il constate l’existence d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de réviser le contenu de ladite clause au lieu d’en écarter simplement l’application à l’égard de ce dernier.

72      À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier quelles sont les règles nationales applicables au litige dont elle est saisie et de faire tout ce qui relève de sa compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, non encore publié au Recueil, point 27 et jurisprudence citée).

73      À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que l’article 83 du décret législatif 1/2007, qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause.

Sur les troisième à sixième questions

74      Par ses troisième à sixième questions, la juridiction de renvoi interroge, en substance, la Cour, d’une part, sur les responsabilités qui incombent aux juges nationaux, en vertu du règlement n° 1896/2006 et de la directive 2005/29, dans le cas où ils contrôlent une clause contractuelle d’intérêts moratoires telle que celle en cause au principal, et, d’autre part, sur les obligations auxquelles sont soumis les établissements financiers aux fins de l’application du taux d’intérêt moratoire dans des contrats de crédit, au sens des articles 5, paragraphe 1, sous l) et m), 6, 7 et 10, paragraphe 2, sous l), de la directive 2008/48.

75      Le Royaume d’Espagne et la Commission européenne soutiennent que ces questions sont irrecevables, dans la mesure où les règles du droit de l’Union qu’elles visent ne sont pas applicables au litige au principal et que, partant, l’interprétation de celles-ci ne saurait être utile à la juridiction de renvoi pour trancher ce litige.

76      À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 12 avril 2005, Keller, C-145/03, Rec. p. I-2529, point 33; du 18 juillet 2007, Lucchini, C-119/05, Rec. p. I-6199, point 43, ainsi que du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C-11/07, Rec. p. I-6845, points 27 et 32).

77      Ainsi, le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C-94/04 et C-202/04, Rec. p. I-11421, point 25, ainsi que du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C-570/07 et C-571/07, Rec. p. I-4629, point 36).

78      Or, force est de constater que tel est précisément le cas en l’espèce.

79      En particulier, s’agissant de la troisième question, il y a lieu de relever que l’interprétation du règlement n° 1896/2006 est dépourvue de toute pertinence au regard de la décision que la juridiction de renvoi est appelée à rendre dans le litige dont elle est saisie. En effet, d’une part, il convient de constater que, comme il ressort du dossier soumis à la Cour, les faits du litige au principal n’entrent pas dans le champ d’application de ce règlement, lequel, conformément à son article 1er, paragraphe 1, vise uniquement les litiges transfrontaliers, mais demeurent soumis exclusivement aux dispositions du code de procédure civile. D’autre part, il importe de préciser que ce règlement, ainsi qu’il ressort expressément de son dixième considérant, ne remplace ni n’harmonise les mécanismes de recouvrement de créances incontestées prévus par le droit national.

80      En ce qui concerne la quatrième question, il apparaît de manière manifeste que les dispositions des articles 5, paragraphe 1, sous l) et m), 6 ainsi que 10, paragraphe 2, sous l), de la directive 2008/48, dont l’interprétation est sollicitée par la juridiction de renvoi, ne trouvent pas à s’appliquer ratione temporis au litige au principal, en tant que celui-ci concerne l’exécution prétendument incorrecte par M. X… du contrat de crédit conclu le 28 mai 2007 entre ce dernier et B….

81      En effet, il suffit de relever à cet égard que, conformément aux articles 27, 29 et 31 de la directive 2008/48, celle-ci est entrée en vigueur le 11 juin 2008 et que les États membres devaient adopter les mesures nécessaires pour se conformer à cette directive avant le 11 juin 2010, date à partir de laquelle a été abrogée la directive 87/102. En outre, l’article 30, paragraphe 1, de la même directive a expressément prévu qu’elle ne s’applique pas aux contrats de crédit en cours à la date d’entrée en vigueur des mesures nationales de transposition.

82      Quant à la cinquième question, visant à savoir, d’une part, si l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/48 oblige l’établissement de crédit à notifier la fin anticipée du crédit ou du prêt pour pouvoir appliquer le taux des intérêts moratoires et, d’autre part, si le principe de l’interdiction de l’enrichissement non justifié, énoncé à l’article 7 de cette même directive, est susceptible d’être invoqué lorsque ledit établissement de crédit demande non seulement le remboursement du capital, mais également des intérêts de retard particulièrement élevés, il importe de relever d’emblée que, par cette question, comme il ressort du dossier soumis à la Cour, la juridiction de renvoi a entendu, en réalité, se référer aux articles correspondants de la directive 87/102, lesquels sont seuls congruents à l’objet visé à ladite question.

83      Toutefois, en admettant même que telle est la portée réelle de la cinquième question (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 1999, Teckal, C-107/98, Rec. p. I-8121, points 34 et 39), force est de constater que, comme l’a également relevé Mme l’avocat général aux points 99 et 100 de ses conclusions, rien dans la décision de renvoi n’indique que le litige au principal porte sur une problématique concernant soit l’obligation d’information préalable du consommateur au sujet de toute modification du taux d’intérêt annuel, soit la restitution d’un bien au créancier donnant lieu à un enrichissement non justifié de ce dernier.

84      Il apparaît ainsi de manière manifeste que la cinquième question est de nature hypothétique, l’interprétation desdites dispositions de la directive 87/102 ne présentant aucun lien avec l’objet du litige au principal.

85      S’agissant, enfin, de la sixième question, visant à savoir si, à défaut de transposition de la directive 2005/29, l’article 11, paragraphe 2, de celle-ci doit être interprété en ce sens qu’un juge national peut examiner d’office le caractère déloyal d’une pratique consistant à insérer dans le texte d’un contrat une clause d’intérêts moratoires, il suffit de constater que, comme l’a également relevé Mme l’avocat général au point 106 de ses conclusions, rien dans la décision de renvoi n’indique que le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell, ayant rendu l’ordonnance de rejet de la demande d’injonction de payer, aurait considéré comme une pratique commerciale déloyale, au sens de la directive susmentionnée, le fait pour B… d’avoir introduit dans le contrat de crédit qu’elle a conclu avec M. Calderón Camino une clause d’intérêts moratoires telle que celle en cause au principal.

86      Il importe de constater également que, dans sa décision, la juridiction de renvoi développe des considérations explicatives de ladite question en faisant expressément référence à «l’éventuelle pratique déloyale de l’établissement bancaire».

87      Par conséquent, il apparaît de manière manifeste que l’interprétation de la directive 2005/29 présente un caractère purement hypothétique au regard de l’objet du litige au principal. Dans ce contexte, l’absence de transposition de cette directive s’avère également sans pertinence pour la solution dudit litige.

88      Dès lors, eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de déclarer irrecevables les troisième à sixième questions posées par la juridiction de renvoi.

Sur les dépens

89      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier.

2)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que l’article 83 du décret royal législatif 1/2007, portant refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires (Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias), du 16 novembre 2007, qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjue120614.htm

ANALYSE 1

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive 93/13/CCE, domaine d’application, législation ne permettant pas au juge d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause, portée.

Résuné : La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier.

ANALYSE 2

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive 93/13/CCE, domaine d’application, législation permettant au juge de modifier une clause dont il a constaté le caractère abusif, portée.

Résumé :  L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que l’article 83 du décret royal législatif 1/2007, portant refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires (Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias), du 16 novembre 2007, qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause.

cjue120426.htm

Affaire C 472/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Pest Megyei Bíróság (Hongrie), par décision du 25 août 2010, parvenue à la Cour le 29 septembre 2010, dans la procédure

Nemzeti Fogyasztóvédelmi Hatóság

contre

I…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), A. Borg Barthet, J.-J. Kasel et Mme M. Berger, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. A. Calot Escobar,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér ainsi que par Mmes K. Szíjjártó et Z. Tóth, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. G. Rozet et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 décembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, paragraphes 1 et 3, et 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive») ainsi que des points 1, sous j), et 2, sous d), de l’annexe de cette directive.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours d’intérêt public dirigé par le Nemzeti Fogyasztóvédelmi Hatóság (Office national pour la protection des consommateurs, ci-après le «NFH») contre I… (ci-après «I…»), au sujet de l’usage par cette dernière de clauses prétendument abusives dans ses contrats conclus avec des consommateurs.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3        Le vingtième considérant de la directive énonce:

«considérant que les contrats doivent être rédigés en termes clairs et compréhensibles; que le consommateur doit avoir effectivement l’occasion de prendre connaissance de toutes les clauses […]».

4        Aux termes de l’article 1er de la directive:

«[…]

2.       Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives […] ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive.»

5        L’article 3 de cette directive prévoit:

«1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

[…]

3.      L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

6        En vertu de l’article 4 de la même directive:

«1.      Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.      L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.»

7        L’article 5 de la directive dispose:

«Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. […]»

8        L’article 6 de la directive énonce:

«1.      Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.

[…]»

9        L’article 7 de ladite directive est libellé comme suit:

«1.      Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2.      Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.

3.      Dans le respect de la législation nationale, les recours visés au paragraphe 2 peuvent être dirigés, séparément ou conjointement, contre plusieurs professionnels du même secteur économique ou leurs associations qui utilisent ou recommandent l’utilisation des mêmes clauses contractuelles générales, ou de clauses similaires.»

10      Aux termes de l’article 8 de la directive:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur.»

11      L’annexe de cette directive énumère les clauses visées à l’article 3, paragraphe 3, de celle-ci:

«1.      Clauses ayant pour objet ou pour effet:

[…]

j)      d’autoriser le professionnel à modifier unilatéralement les termes du contrat sans raison valable et spécifiée dans le contrat;

[…]

l)      de prévoir que le prix des biens est déterminé au moment de la livraison, ou d’accorder au vendeur de biens ou au fournisseur de services le droit d’augmenter leurs prix, sans que, dans les deux cas, le consommateur n’ait de droit correspondant lui permettant de rompre le contrat au cas où le prix final est trop élevé par rapport au prix convenu lors de la conclusion du contrat;

[…]

2.      Portée des points g), j) et l)

[…]

b)      […]

Le point j) ne fait pas […] obstacle à des clauses selon lesquelles le professionnel se réserve le droit de modifier unilatéralement les conditions d’un contrat de durée indéterminée pourvu que soit mis à sa charge le devoir d’en informer le consommateur avec un préavis raisonnable et que celui-ci soit libre de résilier le contrat.

[…]

d)      Le point l) ne fait pas obstacle aux clauses d’indexation de prix pour autant qu’elles soient licites et que le mode de variation du prix y soit explicitement décrit.»

Le droit national

12      L’article 209 du code civil prévoit:

«1.      Une clause contractuelle générale, ou une clause contractuelle non individuellement négociée d’un contrat de consommation, est abusive si, au mépris des exigences de bonne foi et d’équité, elle détermine, unilatéralement et sans justification, les droits et obligations des parties découlant du contrat de façon à désavantager le cocontractant de celui qui impose la clause contractuelle en question.

[…]»

13      Aux termes de l’article 209/A du code civil:

«1.      La partie lésée peut contester les clauses abusives qui figurent dans le contrat en tant que conditions générales contractuelles.

2.      Sont nulles les clauses abusives qui figurent dans des contrats de consommation en tant que conditions générales contractuelles ou que le professionnel a rédigé de manière unilatérale, au préalable et sans négociation individuelle. La nullité ne peut être invoquée que dans l’intérêt du consommateur.»

14      L’article 209/B du code civil dispose:

«1.      La déclaration de nullité d’une clause abusive qui figure dans un contrat de consommation en tant que condition générale contractuelle, prévue à l’article 209/A, paragraphe 2, de ce même code, peut également être demandée au juge par un organisme à désigner par un texte spécifique. La déclaration de nullité de la clause abusive réalisée par le juge vaudra à l’égard de toute partie ayant conclu un contrat avec un professionnel utilisant ladite clause.

2.      L’organisme à désigner par un texte spécifique peut également demander la déclaration de nullité de toute condition générale contractuelle qui a été rédigée en vue de conclure des contrats avec des consommateurs et qui a été rendue publique, quand bien même elle n’aurait pas encore été utilisée.

3.      Si le juge constate, dans le cadre de la procédure visée au paragraphe 2, que la condition générale litigieuse est abusive, il la déclarera nulle en cas d’utilisation (future), avec effet à l’égard de toute partie concluant un contrat avec tout professionnel ayant rendu publique la clause. Toute personne utilisant la clause contractuelle abusive devra satisfaire aux demandes formulées par un consommateur sur le fondement de la décision. En outre, la décision judiciaire doit interdire l’utilisation de la condition générale contractuelle abusive à toute personne l’ayant rendue publique.

[…]»

15      Conformément à l’article 39 de la loi n° CLV de 1997 relative à la protection des consommateurs:

«1.      L’autorité de protection des consommateurs, l’organisme social chargé de la représentation des intérêts des consommateurs, ou le ministère public peut engager, à l’encontre de toute personne dont une activité contraire à la loi concerne un nombre important de consommateurs ou cause un préjudice important, une action en défense de la collectivité des consommateurs concernés ou en réparation dudit préjudice. Cette action peut être intentée quand bien même l’identité des consommateurs lésés ne peut pas être établie.

[…]»

16      Aux termes de l’article 132 de la loi n° C de 2003 sur les communications électroniques:

«1.      Les règles relatives à la conclusion du contrat d’abonnement s’appliquent à la modification de chaque contrat d’abonnement. Les conditions générales contractuelles peuvent permettre que la modification de chaque contrat d’abonnement s’opère conformément aux dispositions du paragraphe 2.

2.      Le prestataire de service ne peut modifier unilatéralement le contrat d’abonnement que dans les cas suivants:

a)      en cas de réunion des conditions prévues par chaque contrat d’abonnement ou dans les conditions générales contractuelles, sous réserve que la modification n’implique aucune modification substantielle des conditions du contrat, dans la mesure où la législation ou les règles relatives aux communications électroniques n’en disposent pas autrement;

b)      si une modification de la législation ou une décision des autorités le justifie,

ou

c)      si un changement substantiel des circonstances le justifie.

3.      Constitue une modification substantielle un changement relatif aux conditions nécessaires pour bénéficier du service ou aux indicateurs correspondant à un objectif de qualité.

4.      Si le prestataire de service est autorisé à modifier unilatéralement les conditions générales contractuelles dans les cas déterminés par celles-ci, il est tenu d’en informer les abonnés, dans les conditions prévues par la présente loi, en respectant un préavis d’au moins trente jours avant la prise d’effet de ladite modification; il est également tenu d’informer les abonnés des conditions applicables à la faculté de résiliation qui en découle. Dans un tel cas, l’abonné bénéficie du droit de résilier avec effet immédiat le contrat dans les huit jours qui suivent l’envoi de la notification de modification.

5.      Lorsque la modification comporte des stipulations défavorables à l’abonné, ce dernier bénéficie du droit de résilier le contrat d’abonnement, sans autres conséquences juridiques, dans les quinze jours à compter de ladite notification. L’abonné ne peut toutefois pas résilier le contrat d’abonnement lorsqu’il s’est engagé à bénéficier du service pour une durée déterminée, dès lors qu’il a conclu le contrat en considération des avantages qui en découlent et que la modification n’a pas d’incidence sur les avantages obtenus. Lorsque la modification a une incidence sur les avantages obtenus et que l’abonné résilie le contrat d’abonnement, le prestataire de service ne peut pas réclamer à l’abonné le montant de l’avantage au titre de la période postérieure à la résiliation du contrat.

[…]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      Le NFH conteste, dans le cadre d’un recours d’intérêt public, la pratique d’I… consistant à exiger, dans le cadre des contrats à durée déterminée dits «contrats de fidélité» et postérieurement à la conclusion de ces contrats, que le consommateur prenne en charge des frais qui n’avaient pas été initialement convenus par les parties.

18      Ainsi qu’il ressort du dossier, I…, en sa qualité d’opérateur de téléphonie fixe, a introduit dans les conditions générales des contrats (ci-après les «CG»), en vigueur à partir du 1er janvier 2008, une clause prévoyant des «frais de mandat», à savoir des coûts appliqués en cas de paiement des factures par mandat postal. Conformément à ladite clause, «si l’abonné règle le montant de la facture au moyen d’un mandat postal, le prestataire de service est en droit de facturer les frais supplémentaires qui en résultent (tels que les frais postaux)». En outre, les CG ne contenaient aucune disposition précisant le mode de calcul de ces frais de mandat.

19      Le NFH a été saisi d’un grand nombre de plaintes de consommateurs, sur la base desquelles il a estimé que la clause figurant dans les CG visée au point précédent était abusive au sens de l’article 209 du code civil. I… ayant refusé de modifier cette clause, le NFH a saisi le Pest Megyei Bíróság en vue d’obtenir une déclaration de nullité de la clause contestée en tant que clause abusive ainsi que le remboursement automatique et rétroactif des abonnés concernant les sommes indûment perçues et facturées au titre des «frais de mandat». Cette juridiction a toutefois estimé que la solution du litige dépendait de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union.

20      Dans ces conditions, le Pest Megyei Bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive […] peut-il être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle abusive ne lie aucun consommateur lorsqu’un organisme désigné par la loi et dûment habilité sollicite au nom des consommateurs, dans le cadre d’un recours d’intérêt public (action de groupe), la constatation de la nullité de ladite clause abusive figurant dans un contrat de consommation?

Lorsqu’un recours d’intérêt public a été intenté et qu’il tend au prononcé d’une condamnation au bénéfice de consommateurs qui ne sont pas parties au litige ou d’une interdiction de l’utilisation d’une condition générale contractuelle abusive, l’article 6, paragraphe 1, de la directive […] peut-il être interprété en ce sens que ladite clause abusive figurant dans des contrats de consommation ne lie aucun des consommateurs concernés ni aucun autre consommateur dans le futur, de sorte que la juridiction est tenue d’appliquer d’office les conséquences juridiques qui en découlent?

2)      Compte tenu des points 1, sous j), et 2, sous d), de l’annexe de la directive applicable selon l’article 3, paragraphe 3, de la directive […], l’article 3, paragraphe 1, de cette même directive peut-il être interprété en ce sens que, lorsque le professionnel prévoit une modification unilatérale des conditions contractuelles sans décrire clairement le mode de variation du prix ni spécifier de raison valable dans le contrat, ladite clause est abusive de plein droit?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la seconde question

21      Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, à la lumière des points 1, sous j), et 2, sous d), de l’annexe de la directive, l’article 3, paragraphes 1 et 3, de celle-ci doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un professionnel prévoit, dans une clause figurant dans les CG des contrats de consommation, une modification unilatérale des frais liés au service à fournir, sans pour autant décrire clairement le mode de fixation desdits frais ni spécifier de raison valable de cette modification, ladite clause est abusive.

22      À cet égard, il importe de rappeler que la compétence de la Cour porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce (arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C-137/08, non encore publié au Recueil, point 44). Il en ressort que la Cour doit se limiter, dans sa réponse, à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée.

23      Conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive, l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. Cette exclusion ne saurait, cependant, s’appliquer à une clause portant sur un mécanisme de modification des frais des services à fournir au consommateur.

24      S’agissant d’une clause contractuelle prévoyant une modification du coût total du service à fournir au consommateur, il y a lieu de relever que, au regard des points 1, sous j) et l), ainsi que 2, sous b) et d), de l’annexe de la directive, devrait notamment être exposé le motif ou le mode de variation dudit coût, le consommateur disposant du droit de mettre fin au contrat.

25      Ladite annexe, à laquelle renvoie l’article 3, paragraphe 3, de la directive, ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive des clauses qui peuvent être déclarées abusives (voir arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM, C 243/08, Rec. p. I 4713, points 37 et 38; VB Pénzügyi Lízing, précité, point 42, ainsi que ordonnance du 16 novembre 2010, Pohotovost, C 76/10, non encore publiée au Recueil, points 56 et 58).

26      Si le contenu de l’annexe en cause n’est pas de nature à établir automatiquement et à lui seul le caractère abusif d’une clause litigieuse, il constitue, cependant, un élément essentiel sur lequel le juge compétent peut fonder son appréciation du caractère abusif de cette clause. En l’occurrence, la lecture des dispositions de l’annexe de la directive, visées au point 24 du présent arrêt, permet de constater que, aux fins de l’appréciation du caractère abusif d’une clause telle que celle en cause dans l’affaire au principal, est pertinente, notamment, la question de savoir si les raisons ou le mode de variation des frais liés au service à fournir étaient spécifiés et si les consommateurs disposaient d’un droit de mettre fin au contrat.

27      En outre, d’une part, ainsi qu’il ressort du vingtième considérant de ladite directive, le consommateur doit avoir effectivement l’opportunité de prendre connaissance de toutes les clauses figurant dans les CG et des conséquences desdites clauses. D’autre part, l’obligation de formuler les clauses d’une façon claire et compréhensible est énoncée à l’article 5 de la directive.

28      Par conséquent, dans le contexte de l’appréciation du caractère «abusif» au sens de l’article 3 de la directive, revêt une importance essentielle la possibilité, pour un consommateur, de prévoir, sur la base de critères clairs et compréhensibles, les modifications, par un professionnel, des CG en ce qui concerne les frais liés au service à fournir.

29      Lorsque certains aspects du mode de variation des frais liés au service à fournir sont spécifiés par les dispositions législatives où réglementaires impératives au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive, ou que lesdites dispositions prévoient, pour un consommateur, le droit de mettre fin au contrat, il est essentiel que ledit consommateur soit informé par le professionnel desdites dispositions.

30      Il appartient à la juridiction nationale statuant dans la procédure en cessation, initiée dans l’intérêt public, au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, d’apprécier, au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive, le caractère abusif d’une clause telle que celle en cause dans l’affaire au principal. Dans le cadre de cette appréciation, ladite juridiction devra vérifier notamment si, à la lumière de toutes les clauses figurant dans les CG des contrats de consommation dont la clause litigieuse fait partie, ainsi que de la législation nationale prévoyant les droits et les obligations qui pourraient s’ajouter à ceux prévus par les CG en cause, les raisons ou le mode de variation des frais liés au service à fournir sont spécifiés d’une façon claire et compréhensible et, le cas échéant, si les consommateurs disposent d’un droit de mettre fin au contrat.

31      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question qu’il appartient à la juridiction nationale statuant dans la procédure en cessation, initiée dans l’intérêt public, au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, d’apprécier, au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive, le caractère abusif d’une clause figurant dans les CG des contrats de consommation par laquelle un professionnel prévoit une modification unilatérale des frais liés au service à fournir, sans pour autant décrire clairement le mode de fixation desdits frais ni spécifier de raison valable de cette modification. Dans le cadre de cette appréciation, ladite juridiction devra vérifier notamment si, à la lumière de toutes les clauses figurant dans les CG des contrats de consommation dont la clause litigieuse fait partie, ainsi que de la législation nationale prévoyant les droits et les obligations qui pourraient s’ajouter à ceux prévus par les CG en cause, les raisons ou le mode de variation des frais liés au service à fournir sont spécifiés d’une manière claire et compréhensible et si, le cas échéant, les consommateurs disposent d’un droit de mettre fin au contrat.

Sur la première question

32      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la constatation de nullité d’une clause abusive faisant partie de CG des contrats de consommation dans le cadre d’une action en cessation, visée à l’article 7 de ladite directive, intentée à l’encontre d’un professionnel dans l’intérêt public et au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, produise, conformément à ladite législation, des effets à l’égard de tous les consommateurs ayant conclu un contrat auquel s’appliquent les mêmes CG, y compris à l’égard de ceux qui n’étaient pas parties à la procédure en cessation, et, d’autre part, si les juridictions nationales sont tenues, également dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national.

33      Afin de répondre à la première partie de cette question, il importe, à titre liminaire, de rappeler que le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêt du 15 mars 2012, Perenicová et Perenic, C 453/10, non encore publié au Recueil, point 27 et jurisprudence citée).

34      S’agissant des actions impliquant un consommateur individuel, la Cour a jugé que, eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la directive oblige les États membres à prévoir que les clauses abusives «ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux». Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêt Perenicová et Perenic, précité, point 28 et jurisprudence citée).

35      En ce qui concerne des actions en cessation initiées dans l’intérêt public, telles que celle en cause dans l’affaire au principal, il convient de relever que, si la directive ne vise pas à harmoniser les sanctions applicables dans l’hypothèse d’une reconnaissance du caractère abusif d’une clause dans le cadre desdites actions, l’article 7, paragraphe 1, de la directive oblige néanmoins les États membres à veiller à ce que des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

36      Ainsi qu’il ressort du paragraphe 2 de cette disposition, les moyens susmentionnés comprennent la possibilité pour des personnes ou des organisations ayant un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir les tribunaux afin de faire déterminer si des clauses rédigées en vue d’une utilisation généralisée présentent un caractère abusif et d’obtenir, le cas échéant, leur interdiction (voir arrêt du 24 janvier 2002, Commission/Italie, C 372/99, Rec. p. I 819, point 14).

37      À cet égard, il importe d’ajouter que la nature préventive et l’objectif dissuasif des actions en cessation, ainsi que leur indépendance à l’égard de tout conflit individuel concret, impliquent que de telles actions puissent être exercées alors même que les clauses dont l’interdiction est réclamée n’auraient pas été utilisées dans des contrats déterminés (voir arrêt Commission/Italie, précité, point 15).

38      La mise en œuvre effective dudit objectif exige, ainsi que l’a relevé en substance Mme l’avocat général au point 51 de ses conclusions, que les clauses des CG des contrats de consommation déclarées abusives dans le cadre d’une action en cessation dirigée contre le professionnel concerné, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, ne lient ni les consommateurs qui sont parties à la procédure en cessation ni ceux qui ont conclu avec ce professionnel un contrat auquel s’appliquent les mêmes CG.

39      Dans l’affaire au principal, la législation nationale prévoit que la déclaration, par une juridiction, de nullité d’une clause abusive figurant dans les CG des contrats de consommation s’applique à tout consommateur ayant conclu un contrat avec un professionnel utilisant cette clause. Ainsi qu’il ressort des éléments du dossier dans l’affaire au principal, l’objet du litige concerne l’utilisation par le professionnel concerné des conditions générales contenant la clause contestée dans des contrats conclus avec plusieurs consommateurs. À cet égard, il importe de constater que, comme l’a relevé Mme l’avocat général aux points 57 à 61 de ses conclusions, une législation nationale telle que celle visée au présent point satisfait aux exigences de l’article 6, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive.

40      En effet, l’application d’une sanction de nullité d’une clause abusive à l’égard de tous les consommateurs qui ont conclu un contrat de consommation auquel s’appliquent les mêmes CG garantit que ces consommateurs ne sont pas liés par ladite clause, sans pour autant exclure d’autres types de sanctions adéquates et efficaces prévues par les législations nationales.

41      En ce qui concerne la seconde partie de la première question portant sur les conséquences que les juridictions nationales sont tenues de tirer d’une constatation, dans le cadre d’une action en cessation, du caractère abusif d’une clause faisant partie des CG des contrats de consommation, il convient d’emblée de rappeler que la faculté pour le juge national d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle constitue un moyen propre à contribuer à la réalisation de l’objectif visé à son article 7 (voir arrêt du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C 168/05, Rec. p. I 10421, point 27 et jurisprudence citée). La nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive assure aux consommateurs justifient, en outre, que ledit juge soit tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle (voir arrêt Mostaza Claro, précité, point 38).

42      Les juridictions nationales qui constatent le caractère abusif d’une clause des CG sont tenues, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive, de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national, afin que les consommateurs ne soient pas liés par ladite clause (voir arrêt Perenicová et Perenic, précité, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

43      Il en ressort que, lorsque le caractère abusif d’une clause faisant partie des CG des contrats de consommation a été reconnu dans le cadre d’une action en cessation telle que celle en cause dans l’affaire au principal, les juridiction nationales sont tenues, également dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national afin que ladite clause ne lie pas les consommateurs ayant conclu un contrat auquel s’appliquent les mêmes CG.

44      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive, doit être interprété en ce sens que:

–        il ne s’oppose pas à ce que la constatation de nullité d’une clause abusive faisant partie des CG des contrats de consommation dans le cadre d’une action en cessation, visée à l’article 7 de ladite directive, intentée à l’encontre d’un professionnel dans l’intérêt public et au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, produise, conformément à ladite législation, des effets à l’égard de tous les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes CG, y compris à l’égard des consommateurs qui n’étaient pas parties à la procédure en cessation;

–        lorsque le caractère abusif d’une clause des CG a été reconnu dans le cadre d’une telle procédure, les juridictions nationales sont tenues, également dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national, afin que ladite clause ne lie pas les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes CG.

Sur les dépens

45      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      Il appartient à la juridiction de renvoi statuant dans la procédure en cessation, initiée dans l’intérêt public, au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, d’apprécier, au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, le caractère abusif d’une clause figurant dans les conditions générales des contrats de consommation par laquelle un professionnel prévoit une modification unilatérale des frais liés au service à fournir, sans pour autant décrire clairement le mode de fixation desdits frais ni spécifier de raison valable de cette modification. Dans le cadre de cette appréciation, ladite juridiction devra vérifier notamment si, à la lumière de toutes les clauses figurant dans les conditions générales des contrats de consommation dont la clause litigieuse fait partie, ainsi que de la législation nationale prévoyant les droits et les obligations qui pourraient s’ajouter à ceux prévus par les conditions générales en cause, les raisons ou le mode de variation des frais liés au service à fournir sont spécifiés d’une manière claire et compréhensible et si, le cas échéant, les consommateurs disposent d’un droit de mettre fin au contrat.

2)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive, doit être interprété en ce sens que:

–        il ne s’oppose pas à ce que la constatation de nullité d’une clause abusive faisant partie des conditions générales des contrats de consommation dans le cadre d’une action en cessation, visée à l’article 7 de ladite directive, intentée à l’encontre d’un professionnel dans l’intérêt public et au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, produise, conformément à ladite législation, des effets à l’égard de tous les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales, y compris à l’égard des consommateurs qui n’étaient pas parties à la procédure en cessation;

–        lorsque le caractère abusif d’une clause des conditions générales des contrats a été reconnu dans le cadre d’une telle procédure, les juridictions nationales sont tenues, également dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national, afin que ladite clause ne lie pas les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales.

Signatures

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Numéro : cjue120426.htm

ANALYSE 1

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, clause relative à la modification unilatérale des frais liés au service à fournir, obligation de vérification incombant à la juridiction.

Résumé : Il appartient à la juridiction de renvoi statuant dans la procédure en cessation, initiée dans l’intérêt public, au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, d’apprécier, au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, le caractère abusif d’une clause figurant dans les conditions générales des contrats de consommation par laquelle un professionnel prévoit une modification unilatérale des frais liés au service à fournir, sans pour autant décrire clairement le mode de fixation desdits frais ni spécifier de raison valable de cette modification. Dans le cadre de cette appréciation, ladite juridiction devra vérifier notamment si, à la lumière de toutes les clauses figurant dans les conditions générales des contrats de consommation dont la clause litigieuse fait partie, ainsi que de la législation nationale prévoyant les droits et les obligations qui pourraient s’ajouter à ceux prévus par les conditions générales en cause, les raisons ou le mode de variation des frais liés au service à fournir sont spécifiés d’une manière claire et compréhensible et si, le cas échéant, les consommateurs disposent d’un droit de mettre fin au contrat.

ANALYSE 2

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, effet du constat de non-écriture d’une clause sur les contrats conclus par des consommateurs non partie à la procédure en cessation.

Résumé : L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la constatation de nullité d’une clause abusive faisant partie des conditions générales des contrats de consommation dans le cadre d’une action en cessation, visée à l’article 7 de ladite directive, intentée à l’encontre d’un professionnel dans l’intérêt public et au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, produise, conformément à ladite législation, des effets à l’égard de tous les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales, y compris à l’égard des consommateurs qui n’étaient pas parties à la procédure en cessation.

ANALYSE 3

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, constat de non-écriture d’une clause, pouvoir d’office du juge relativement aux consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales.

Résumé : L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive, doit être interprété en ce sens que lorsque le caractère abusif d’une clause des conditions générales des contrats a été reconnu dans le cadre d’une procédure en cessation, les juridictions nationales sont tenues, dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national, afin que ladite clause ne lie pas les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales.

Dans l’affaire C‑453/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okresný súd Prešov (Slovaquie), par décision du 31 août 2010, parvenue à la Cour le 16 septembre 2010, dans la procédure

X…, Y…

contre

S…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 septembre 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Pereničová et M. Perenič, par Mes I. Šafranko et A. Motyka, advokáti,

–        pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Rozet, A. Tokár et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 novembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29), et des dispositions de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales») (JO L 149, p. 22), ainsi que sur l’incidence que l’application de la directive 2005/29 pourrait avoir sur la directive 93/13.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme X… et M. Y… à S…, établissement non bancaire accordant des crédits à la consommation, au sujet d’un contrat de crédit conclu entre les intéressés et cette société.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

La directive 93/13

3        Les septième, seizième, vingtième ainsi que vingt et unième considérants de la directive 93/13 prévoient respectivement:

«considérant que les vendeurs de biens et les prestataires de services seront, de cette façon, aidés dans leur activité de vente de biens et des prestations de services, à la fois dans leur propre pays et dans le marché intérieur; que la concurrence sera ainsi stimulée, contribuant de la sorte à accroître le choix des citoyens de la Communauté, en tant que consommateurs;

[…]

considérant […] que, dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur; que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes;

[…]

considérant que les contrats doivent être rédigés en termes clairs et compréhensibles; que le consommateur doit avoir effectivement l’occasion de prendre connaissance de toutes les clauses […];

considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel; que, si malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives».

4        Aux termes de l’article 3 de la directive 93/13:

«1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

[…]

3.      L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

5        L’article 4 de cette directive prévoit:

«1.      […] [L]e caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.      L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.»

6        L’article 5 de ladite directive dispose:

«Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. […]»

7        Aux termes de l’article 6 de la même directive:

«1.      Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.

[…]»

8        L’article 8 de la directive 93/13 énonce:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur.»

9        L’annexe de la directive 93/13 énumère les clauses visées à l’article 3, paragraphe 3, de cette dernière:

«1.      Clauses ayant pour objet ou pour effet:

[…]

i)      [de] constater de manière irréfragable l’adhésion du consommateur à des clauses dont il n’a pas eu, effectivement, l’occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat;

[…]»

La directive 2005/29

10      L’article 2 de la directive 2005/29 est rédigé dans les termes suivants:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[…]

c)      ‘produit’: tout bien ou service, y compris les biens immobiliers, les droits et les obligations;

d)      ‘pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs’ (ci-après également dénommées ‘pratiques commerciales’): toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs;

e)      ‘altération substantielle du comportement économique des consommateurs’: l’utilisation d’une pratique commerciale compromettant sensiblement l’aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause et l’amenant par conséquent à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement;

[…]

k)      ‘décision commerciale’: toute décision prise par un consommateur concernant l’opportunité, les modalités et les conditions relatives au fait d’acheter, de faire un paiement intégral ou partiel pour un produit, de conserver ou de se défaire d’un produit ou d’exercer un droit contractuel en rapport avec le produit; une telle décision peut amener le consommateur, soit à agir, soit à s’abstenir d’agir;

[…]»

11      L’article 3 de cette directive énonce:

«1.      La présente directive s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l’article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit.

2.      La présente directive s’applique sans préjudice du droit des contrats, ni, en particulier, des règles relatives à la validité, à la formation ou aux effets des contrats.

[…]

4.      En cas de conflit entre les dispositions de la présente directive et d’autres règles communautaires régissant des aspects spécifiques des pratiques commerciales déloyales, ces autres règles priment et s’appliquent à ces aspects spécifiques.

5.      Pendant une période de six ans à compter du 12 juin 2007, les États membres ont la faculté de continuer à appliquer des dispositions nationales dont la présente directive opère le rapprochement, plus restrictives ou plus rigoureuses que la présente directive et qui mettent en œuvre des directives incluant des clauses d’harmonisation minimale. Ces mesures doivent être essentielles pour garantir que les consommateurs soient protégés de manière adéquate contre les pratiques commerciales déloyales et doivent être proportionnées à cet objectif à atteindre. […]

[…]»

12      L’article 5 de ladite directive prévoit:

«1.      Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

2.      Une pratique commerciale est déloyale si:

a)      elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle,

et

b)      elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu’une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs.

3.      Les pratiques commerciales qui sont susceptibles d’altérer de manière substantielle le comportement économique d’un groupe clairement identifiable de consommateurs parce que ceux-ci sont particulièrement vulnérables à la pratique utilisée ou au produit qu’elle concerne en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité, alors que l’on pourrait raisonnablement attendre du professionnel qu’il prévoie cette conséquence, sont évaluées du point de vue du membre moyen de ce groupe. […]

4.      En particulier, sont déloyales les pratiques commerciales qui sont:

a)      trompeuses au sens des articles 6 et 7,

ou

b)      agressives au sens des articles 8 et 9.

[…]»

13      Aux termes de l’article 6 de la même directive:

«1.      Une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci-après et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement:

[…]

d)      le prix ou le mode de calcul du prix, ou l’existence d’un avantage spécifique quant au prix;

[…]»

14      L’article 7 de la directive 2005/29 énonce:

«1.      Une pratique commerciale est réputée trompeuse si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances ainsi que des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

2.      Une pratique commerciale est également considérée comme une omission trompeuse lorsqu’un professionnel, compte tenu des aspects mentionnés au paragraphe 1, dissimule une information substantielle visée audit paragraphe ou la fournit de façon peu claire, inintelligible, ambiguë ou à contretemps, ou lorsqu’il n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte et lorsque, dans l’un ou l’autre cas, le consommateur moyen est ainsi amené ou est susceptible d’être amené à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

[…]»

15      L’article 11 de cette directive dispose:

«1.      Les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l’intérêt des consommateurs.

[…]»

16      Aux termes de l’article 13 de ladite directive:

«Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et mettent tout en œuvre pour en assurer l’exécution. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.»

La réglementation nationale

17      L’article 52 du code civil slovaque énonce:

«1)      Il convient d’entendre par ‘contrat conclu avec un consommateur’ tout contrat, quelle qu’en soit la forme juridique, conclu entre un fournisseur et un consommateur.

2)      Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur ainsi que toute autre disposition régissant une relation juridique dans laquelle un consommateur s’est engagé s’appliquent toujours dans un sens favorable au consommateur partie au contrat. Les conventions ou accords contractuels distincts dont le contenu ou la finalité visent à tourner ces dispositions sont dénuées de validité.

[…]

4)      Il convient d’entendre par ‘consommateur’ toute personne physique qui, pour la conclusion et l’exécution d’un contrat de consommation, n’agit pas dans le cadre de son activité commerciale ou d’une autre activité économique.»

18      L’article 53 de ce code prévoit:

«1)      Un contrat conclu avec un consommateur ne doit pas contenir de dispositions créant, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties contractantes (clause abusive). N’est pas considérée comme abusive une clause contractuelle relative à l’objet principal de l’exécution et à l’adéquation du prix, si cette clause est formulée de façon précise, claire et compréhensible, ou si la clause abusive a fait l’objet d’une négociation individuelle.

[…]

4)      Sont considérées comme des clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur notamment les dispositions qui:

[…]

k)      imposent, à titre de pénalité, au consommateur qui n’a pas satisfait à ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé,

[…]

5)      Les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur sont dénuées de validité.»

19      L’article 4 de la loi n° 258/2001 relative aux crédits à la consommation dispose:

«1)      Le contrat de crédit à la consommation doit être établi par écrit, sous peine d’invalidité, et le consommateur en reçoit un exemplaire.

2)      Le contrat de crédit à la consommation doit contenir, outre des éléments généraux,

[…]

j)      le taux annuel effectif global [ci-après le ‘TAEG’] et le total des frais associés au crédit à la charge du consommateur, calculés sur la base de données valables au moment de la conclusion du contrat,

[…]

Si le contrat de crédit à la consommation ne contient pas les éléments indiqués au paragraphe 2, [sous] j), le crédit consenti est réputé exempt d’intérêts et de frais.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20      Par leur recours, les requérants au principal demandent à la juridiction de renvoi de constater la nullité du contrat de crédit qu’ils ont conclu avec S…, établissement non bancaire accordant des crédits de consommation sur la base de contrats standardisés. Il ressort de la décision de renvoi que le crédit en cause au principal a été accordé aux requérants au principal le 12 mars 2008.

21      En vertu de ce contrat, S… a accordé aux requérants au principal un crédit de 150 000 SKK (4 979 euros) devant être remboursé en 32 versements mensuels de 6 000 SKK (199 euros) auxquels s’ajoute un trente-troisième versement égal au montant du crédit octroyé. Les requérants au principal sont ainsi tenus de rembourser un montant de 342 000 SKK (11 352 euros).

22      Le TAEG a été fixé dans ledit contrat à 48,63 %, alors que, conformément au calcul effectué par la juridiction de renvoi, il est, en réalité, de 58,76 %, S… n’ayant pas inclus dans son calcul des frais afférents au crédit accordé.

23      En outre, il ressort de la décision de renvoi que le contrat en cause au principal contient plusieurs clauses défavorables aux requérants au principal.

24      La juridiction de renvoi relève qu’une déclaration de nullité de ce contrat de crédit à court terme dans son ensemble, prononcée en raison du caractère abusif de certaines de ses clauses, serait plus avantageuse pour les requérants au principal que le maintien de la validité des clauses non abusives dudit contrat. En effet, dans le premier cas, les consommateurs concernés seraient contraints de payer uniquement les intérêts de retard, au taux de 9 %, et non pas l’ensemble des frais afférents au crédit accordé, qui seraient beaucoup plus élevés que ces intérêts.

25      Estimant que la solution du litige dépend de l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union, l’Okresný súd Prešov (tribunal d’arrondissement de Prešov) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le cadre de protection des consommateurs instauré à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 […] autorise-t-il à décider, dans le cas où il existe des clauses abusives dans un contrat conclu avec un consommateur, que le contrat dans son ensemble ne lie pas le consommateur lorsque cela est plus avantageux pour celui-ci?

2)      Les éléments qui caractérisent la pratique commerciale déloyale selon la directive 2005/29 […] permettent-ils de décider que, lorsque l’entrepreneur indique dans le contrat un [TAEG] inférieur à la réalité, ce procédé de l’entrepreneur vis-à-vis du consommateur peut être considéré comme une pratique commerciale déloyale? La directive 2005/29 […] admet-elle, en présence d’une pratique commerciale déloyale constatée, une quelconque incidence sur la validité du contrat de crédit et sur la réalisation de l’objectif des articles 4, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, si l’invalidité du contrat est plus avantageuse pour le consommateur?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

26      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux juridictions nationales de décider, dans le cas où elles constatent l’existence de clauses abusives dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, que ledit contrat dans son ensemble ne lie pas le consommateur au motif que cela est plus avantageux pour ce dernier.

27      Afin de répondre à cette question, il importe à titre liminaire de rappeler que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 25; du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, Rec. p. I‑4713, point 22, et du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, Rec. p. I‑9579, point 29).

28      Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 oblige les États membres à prévoir que les clauses abusives «ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux». Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir arrêts Mostaza Claro, précité, point 36; Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 30, et du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C‑137/08, non encore publié au Recueil, point 47).

29      En ce qui concerne l’incidence d’une constatation du caractère abusif des clauses contractuelles sur la validité du contrat concerné, il importe de souligner que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, in fine, de la directive 93/13, ledit «contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives».

30      Dans ce contexte, les juridictions nationales qui constatent le caractère abusif des clauses contractuelles sont tenues, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, d’une part, de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national, afin que le consommateur ne soit pas lié par lesdites clauses (voir arrêt Asturcom Telecomunicaciones, précité, points 58 et 59, ainsi que ordonnance du 16 novembre 2010, Pohotovosť, C‑76/10, non encore publiée au Recueil, point 62), et, d’autre part, d’apprécier si le contrat concerné peut subsister sans ces clauses abusives (voir ordonnance Pohotovosť, précitée, point 61).

31      En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 28 du présent arrêt et que l’a relevé Mme l’avocat général au point 63 de ses conclusions, l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union dans le cadre de la directive 93/13 consiste à rétablir l’équilibre entre les parties, tout en maintenant, en principe, la validité de l’ensemble d’un contrat, et non pas à annuler tous les contrats contenant des clauses abusives.

32      S’agissant des critères qui permettent d’apprécier si un contrat peut effectivement subsister sans les clauses abusives, il y a lieu de relever que tant le libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 que les exigences relatives à la sécurité juridique des activités économiques militent en faveur d’une approche objective lors de l’interprétation de cette disposition de sorte que, comme l’a relevé Mme l’avocat général au points 66 à 68 de ses conclusions, la situation de l’une des parties au contrat, en l’occurrence le consommateur, ne saurait être considérée comme le critère déterminant réglant le sort futur du contrat.

33      Par conséquent, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne saurait être interprété en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi puisse se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux, pour le consommateur, de l’annulation dudit contrat dans son ensemble.

34      Cela étant établi, il importe néanmoins de relever que la directive 93/13 n’a procédé qu’à une harmonisation partielle et minimale des législations nationales relatives aux clauses abusives, tout en reconnaissant aux États membres la possibilité d’assurer au consommateur un niveau de protection plus élevé que celui qu’elle prévoit. Ainsi, l’article 8 de ladite directive prévoit expressément la possibilité pour les États membres d’«adopter ou [de] maintenir, dans le domaine régi par la […] directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur» (voir arrêt du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, C‑484/08, Rec. p. I‑4785, points 28 et 29).

35      Par conséquent, la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, une réglementation nationale permettant de déclarer nul dans son ensemble un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur et contenant une ou plusieurs clauses abusives lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

36      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi ne saurait se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble. Ladite directive ne s’oppose pas, cependant, à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, qu’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

Sur la seconde question

37      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’indication dans un contrat de crédit à la consommation d’un TAEG inférieur à la réalité est susceptible d’être considérée comme une pratique commerciale déloyale, au sens de la directive 2005/29. En cas de réponse positive à cette question, la Cour est interrogée sur les conséquences qu’il convient de tirer d’une telle constatation aux fins d’apprécier le caractère abusif des clauses de ce contrat, au regard de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, ainsi que la validité dudit contrat dans son ensemble, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de cette dernière directive.

38      Afin de répondre à cette question, il convient, tout d’abord, de rappeler que l’article 2, sous d), de la directive 2005/29 définit, en utilisant une formulation particulièrement large, la notion de «pratique commerciale» comme «toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs» (arrêts du 14 janvier 2010, Plus Warenhandelsgesellschaft, C-304/08, Rec. p. I-217, point 36, et du 9 novembre 2010, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, C‑540/08, non encore publié au Recueil, point 17).

39      Ensuite, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2005/29, lu en combinaison avec l’article 2, sous c), de celle-ci, cette directive s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises à l’égard des consommateurs avant, pendant ou après une transaction commerciale portant sur tout bien ou service. Conformément à l’article 5, paragraphe 4, de ladite directive, sont déloyales, en particulier, les pratiques trompeuses.

40      Enfin, ainsi qu’il ressort de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29, une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects énumérés à cet article 6, point 1, et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. Parmi les aspects qui sont visés par cette disposition figure, notamment, le prix ou le mode de calcul du prix.

41      Or, une pratique commerciale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, consistant à indiquer dans un contrat de crédit un TAEG inférieur à la réalité constitue une information fausse quant au coût total du crédit et, partant, au prix visé à l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2005/29. Dès lors que l’indication d’un tel TAEG amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement, ce qu’il appartient au juge national de vérifier, cette information fausse doit être qualifiée de pratique commerciale «trompeuse», au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

42      S’agissant de l’incidence de cette constatation sur l’appréciation du caractère abusif des clauses dudit contrat, au regard de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, il y a lieu de relever que cette disposition définit de façon particulièrement large les critères permettant d’effectuer une telle appréciation, en englobant expressément «toutes les circonstances» qui entourent la conclusion du contrat concerné.

43      Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé en substance Mme l’avocat général au point 125 de ses conclusions, la constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale constitue un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder son appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13.

44      Cet élément n’est cependant pas de nature à établir automatiquement et à lui seul le caractère abusif des clauses litigieuses. En effet, il appartient à la juridiction de renvoi de se prononcer sur l’application des critères généraux énoncés aux articles 3 et 4 de la directive 93/13 à une clause particulière qui doit être examinée en fonction de toutes les circonstances propres au cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C-237/02, Rec. p. I-3403, points 19 à 22; Pannon GSM, précité, points 37 à 43; VB Pénzügyi Lízing, précité, points 42 et 43, ainsi que ordonnance Pohotovosť, précitée, points 56 à 60).

45      En ce qui concerne les conséquences à tirer de la constatation selon laquelle l’indication erronée du TAEG constitue une pratique commerciale déloyale aux fins de l’appréciation, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la validité du contrat concerné dans son ensemble, il suffit de relever que la directive 2005/29 s’applique sans préjudice, conformément à son article 3, paragraphe 2, du droit des contrats, ni, en particulier, des règles relatives à la validité, à la formation ou aux effets des contrats.

46      Par conséquent, la constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale n’a pas d’incidences directes sur la question de savoir si le contrat est valide au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13.

47      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question qu’une pratique commerciale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, consistant à indiquer dans un contrat de crédit un TAEG inférieur à la réalité doit être qualifiée de «trompeuse», au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29, pour autant qu’elle amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. Il appartient au juge national de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal. La constatation du caractère déloyal d’une telle pratique commerciale constitue un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, son appréciation du caractère abusif des clauses du contrat relatives au coût du prêt accordé au consommateur. Une telle constatation n’a cependant pas d’incidences directes sur l’appréciation, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la validité du contrat de crédit conclu. Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi ne saurait se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble. Ladite directive ne s’oppose pas, cependant, à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, qu’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

2)      Une pratique commerciale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, consistant à indiquer dans un contrat de crédit un taux annuel effectif global inférieur à la réalité doit être qualifiée de «trompeuse», au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales»), pour autant qu’elle amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. Il appartient au juge national de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal. La constatation du caractère déloyal d’une telle pratique commerciale constitue un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, son appréciation du caractère abusif des clauses du contrat relatives au coût du prêt accordé au consommateur. Une telle constatation n’a cependant pas d’incidences directes sur l’appréciation, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la validité du contrat de crédit conclu.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjue120315.htm

ANALYSE 1

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, subsistance du contrat sans les clauses qualifiées d’abusives, impossibilité de se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble.

Résumé : L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi ne saurait se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble.

ANALYSE 2

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, subsistance du contrat sans les clauses qualifiées d’abusives, possibilité pour un Etat membre de prévoir qu’un contrat contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

Résumé : La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, ne s’oppose pas, cependant, à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, qu’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

ANALYSE 3

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, pratique commerciale déloyale, élément sur lequel le juge peut fonder son appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat.

Résumé : La constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale est un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, son appréciation du caractère abusif des clauses du contrat relatives au coût du prêt accordé au consommateur.

ANALYSE 4

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, pratique commerciale déloyale, absence d’incidence directe sur l’appréciation du caractére éventuellement abusif d’une clause.

Résumé : Le constat du caractère déloyal d’une pratique commerciale n’a pas d’incidences directes sur l’appréciation, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la validité du contrat de crédit conclu.

 

Dans l’affaire C‑137/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Budapesti II. és III. kerületi bíróság (Hongrie), par décision du 27 mars 2008, parvenue à la Cour le 7 avril 2008, dans la procédure

VB…

contre

F…

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts et J.-C. Bonichot, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. M. Ilešič, J. Malenovský, U. Lõhmus, E. Levits, A. Ó Caoimh, L. Bay Larsen et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

– pour le gouvernement hongrois, par Mmes J. Fazekas, R. Somssich et K. Borvölgyi ainsi que M. M. Fehér, en qualité d’agents,

– pour l’Irlande, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. A. M. Collins, S C,

– pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Báscones, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. M. Wissels, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. S. Ossowski et L. Seeboruth, en qualité d’agents, ainsi que par M. T. de la Mare, barrister,

– pour la Commission européenne, par MM. B. D. Simon et W. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juillet 2010,

rend le présent Arrêt

1/ La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VB…  à M. S… au sujet d’une demande d’injonction de payer.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3/ L’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est libellé comme suit:

«Dans les cas visés à l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour de justice est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale. Cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour aux parties en cause, aux États membres et à la Commission ainsi qu’à l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée.

Dans un délai de deux mois à compter de cette dernière notification, les parties, les États membres, la Commission et, le cas échéant, l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée ont le droit de déposer devant la Cour des mémoires ou observations écrites.

[…]».

4/ La directive a pour objet, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, de «rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur».

5/ L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive dispose:

«1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

[…]»

6/ L’article 3, paragraphe 3, de la directive fait référence à l’annexe de celle-ci qui contient une «liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives». Le point 1 de cette annexe vise les «[c]lauses ayant pour objet ou pour effet:

[…]

q) de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur […]».

7 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

8/ L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive énonce:

«1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.»

Le droit national

9/ À la date des faits au principal, étaient applicables le code civil, dans sa version résultant de la loi n° III de 2006, et le décret gouvernemental n° 18/1999 relatif aux clauses à considérer comme étant abusives dans les contrats conclus avec un consommateur.

10/ Conformément à l’article 209/A, paragraphe 2, du code civil, dans un contrat conclu avec un consommateur, une clause abusive qui est établie soit en tant que clause contractuelle générale, soit par avance et unilatéralement par le cocontractant du consommateur sans que cette clause ait été négociée individuellement, est nulle.

11/ Le décret gouvernemental n° 18/1999 classe les clauses contractuelles en deux catégories. Relèvent de la première catégorie les clauses contractuelles dont l’utilisation dans les contrats conclus avec les consommateurs est interdite et qui sont, en conséquence, nulles de plein droit. La seconde catégorie regroupe les clauses réputées abusives jusqu’à ce que la preuve contraire ait été apportée, l’auteur d’une telle clause pouvant renverser cette présomption.

12/ L’article 155/A, paragraphe 2, de la loi relative à la procédure civile dispose:

«Le tribunal décide de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle par ordonnance et sursoit simultanément à statuer. Le tribunal formule dans son ordonnance la question soumise à la Cour de justice en vue d’obtenir une décision à titre préjudiciel et communique les faits et la législation hongroise pertinents dans la mesure nécessaire pour permettre à la Cour de répondre à la question posée. Le tribunal notifie son ordonnance à la Cour de justice et l’envoie simultanément, pour information, au ministre ayant la Justice dans ses attributions.»

13/ Selon l’article 164, paragraphe 1, de ladite loi, la preuve des éléments de fait nécessaires pour trancher le litige incombe, en règle générale, à la partie qui a intérêt à ce que la juridiction les accepte comme avérés. Le paragraphe 2 du même article prévoit que la juridiction peut ordonner d’office des mesures d’instruction si la loi le permet.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Le 14 avril 2006, les parties au principal ont conclu un contrat de prêt destiné à financer l’achat d’une voiture.

15/ Lorsque M. S… n’a plus respecté ses obligations contractuelles, VB… a résilié ce contrat de prêt et a saisi la juridiction de renvoi afin d’obtenir le remboursement d’une créance s’élevant à 317 404 HUF ainsi que le paiement des intérêts échus sur le montant impayé et des frais.

16/ VB… n’a pas présenté sa demande d’injonction de payer devant la juridiction compétente dans le ressort de laquelle M. S… a sa résidence, mais s’est prévalue de la clause attributive de compétence juridictionnelle insérée dans ledit contrat de prêt qui soumet un éventuel litige entre les parties à la compétence de la juridiction de renvoi.

17/ L’injonction sollicitée a été prononcée dans le cadre d’une procédure dite «gracieuse», qui ne requiert pas que la juridiction concernée tienne une audience ou entende la partie adverse. Lors de l’adoption de cette injonction, la juridiction de renvoi ne s’est pas interrogée sur sa compétence territoriale non plus que sur la clause attributive de compétence juridictionnelle figurant dans le contrat de prêt.

18/ M. S… a formé une opposition contre cette injonction de payer devant la juridiction de renvoi, sans toutefois préciser les motifs de cette opposition. Cette dernière a eu pour conséquence juridique de rendre la procédure contradictoire, celle-ci se déroulant alors conformément aux dispositions du droit commun de la procédure civile.

19/ Ladite juridiction a constaté que M. S… n’avait pas sa résidence dans son ressort territorial, alors que les règles de procédure civile prévoient que la juridiction territorialement compétente pour connaître d’un litige tel que celui dont elle est saisie est celle dans le ressort de laquelle se trouve la résidence de la partie défenderesse.

20/ Dans ces conditions, le Budapesti II. és III. kerületi bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) La protection garantie aux consommateurs par la directive […] nécessite-t-elle de la part du juge national que celui-ci se prononce d’office, même en l’absence de demande à cette fin – et quel que soit le caractère, contentieux ou gracieux, de la procédure –, sur le caractère abusif d’une clause contractuelle invoquée devant lui, dans le cadre de l’examen de sa propre compétence territoriale?

2) Dans la mesure où la première question appelle une réponse affirmative, quels sont les critères que le juge national peut prendre en considération dans le cadre de cet examen, en particulier lorsqu’une clause contractuelle prévoit la compétence territoriale non pas des tribunaux dans le ressort desquels se trouve le siège du professionnel, mais de tribunaux d’un ressort différent, bien qu’ils se trouvent à proximité de ce siège?

3) L’article 23, premier alinéa, du [statut de la Cour], exclut-il la possibilité pour le juge national qui engage une procédure préjudicielle d’en informer aussi d’office, simultanément, le ministre ayant, dans son propre État membre, la Justice dans ses attributions?»

La procédure devant la Cour

21/ Par décision du président de la Cour du 13 février 2009, le traitement de l’affaire a été suspendu dans l’attente du prononcé de l’arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, Rec. p. I-4713).

22/ Par suite du prononcé dudit arrêt, la juridiction de renvoi a, le 2 juillet 2009, fait savoir à la Cour qu’elle considérait qu’il n’était plus nécessaire que la Cour réponde aux première et deuxième des questions posées dans sa décision du 27 mars 2008. En revanche, cette juridiction a indiqué qu’elle souhaitait toujours obtenir une réponse à la troisième question.

23/ En outre, ladite juridiction s’interroge sur le rôle de la Cour lorsqu’il s’agit de garantir l’application uniforme, dans tous les États membres, du niveau de protection des droits des consommateurs prescrit par la directive. À cet égard, elle déclare déduire des points 34 et 35 de l’arrêt Pannon GSM, précité, que les caractéristiques spécifiques de la procédure juridictionnelle qui se déroule dans le cadre du droit national entre le professionnel et le consommateur ne sauraient constituer un critère susceptible d’affecter la protection juridique dont doit bénéficier le consommateur en vertu des dispositions de la directive. Il résulterait notamment de ces points 34 et 35/ que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.

24/ Or, de l’avis de la juridiction de renvoi, les indications données par la Cour dans les points pertinents de l’arrêt Pannon GSM, précité, ne permettraient pas de trancher la question de savoir si le juge national ne peut examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle que lorsqu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ou si, au contraire, l’examen d’office de ce caractère abusif implique également que, dans le cadre de celui-ci, le juge national est tenu d’établir d’office les éléments de fait et de droit nécessaires audit examen.

25/ Eu égard à ces considérations, le Budapesti II. és III. kerületi bíróság a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes à titre complémentaire:

«1) La compétence de la Cour prévue à l’article [267 TFUE] inclut-elle celle d’interpréter la notion de «clause abusive» visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive […], ainsi que les clauses énumérées dans l’annexe de cette directive?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, la demande de décision préjudicielle sollicitant une telle interprétation peut-elle – dans l’intérêt d’une application uniforme pour tous les États membres du niveau de protection des droits des consommateurs garanti par la directive […] – porter sur la question de savoir de quels aspects le juge national peut ou doit tenir compte en cas d’application à une clause individuelle particulière des critères généraux fixés dans la directive?

3) Si le juge national, alors que les parties au litige n’ont formulé aucune demande à cet effet, remarque lui-même le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, peut-il procéder à une instruction d’office en vue de l’établissement des éléments de fait et de droit nécessaires à cette appréciation dans le cas où le droit procédural national n’autorise celle-ci que si les parties le demandent?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la troisième question posée initialement

26/ Par cette question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour s’oppose à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant la Justice dans ses attributions.

27/ À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour, qui prévoit que la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale et que cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour, entre autres et selon le cas, aux parties en cause, aux États membres et à la Commission, ainsi qu’à d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union, ne comporte aucune indication relative à d’autres mesures d’information susceptibles d’être prises par la juridiction nationale dans le cadre de sa décision de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

28/ Afin de répondre à la question posée, il convient de souligner que le système instauré à l’article 267 TFUE en vue d’assurer l’unité de l’interprétation du droit de l’Union dans les États membres institue une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales par une procédure étrangère à toute initiative des parties (voir arrêts du 10 juillet 1997, Palmisani, C‑261/95, Rec. p. I‑4025, point 31; du 12 février 2008, Kempter, C‑2/06, Rec. p. I‑411, point 41, et du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, Rec. p. I‑9641, point 90).

29/ En effet, le renvoi préjudiciel repose sur un dialogue de juge à juge, dont le déclenchement dépend entièrement de l’appréciation que fait la juridiction nationale de la pertinence et de la nécessité dudit renvoi (voir arrêts précités Kempter, point 42, et Cartesio, point 91).

30/ Compte tenu de ces principes qui sous-tendent le mécanisme préjudiciel et eu égard à la question posée, il importe de déterminer si l’obligation d’information dont il s’agit est susceptible d’avoir une incidence sur les facultés dont sont dotées les juridictions nationales en vertu de l’article 267 TFUE.

31/ À cet égard, il n’apparaît pas qu’une obligation telle que celle en cause au principal puisse être considérée comme une ingérence dans le mécanisme de dialogue juridictionnel instauré à l’article 267 TFUE.

32/ En effet, l’obligation faite aux juridictions nationales de l’État membre concerné d’informer le ministre de la Justice au moment de la transmission de la décision de renvoi à la Cour ne constitue pas une condition d’un tel renvoi. Ainsi, elle ne saurait avoir d’incidence sur le droit desdites juridictions d’introduire une demande de décision préjudicielle ni porter atteinte aux prérogatives qui sont conférées à celles-ci en vertu de l’article 267 TFUE.

33/ Par ailleurs, il n’apparaît pas qu’une éventuelle violation de cette obligation d’information emporte des conséquences juridiques susceptibles d’empiéter sur la procédure prévue à l’article 267 TFUE.

34/ En outre, et ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 74 de ses conclusions, aucun indice n’a été avancé, dont il pourrait être inféré que, en raison de l’obligation d’information dont il s’agit, les juridictions nationales de l’État membre concerné pourraient être dissuadées de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

35/ Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la troisième question posée initialement que l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions.

Sur les première et deuxième questions posées à titre complémentaire

36/ Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive et à l’annexe de cette dernière, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la directive.

37/ Afin de répondre auxdites questions, il convient de rappeler que la procédure instaurée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 8 novembre 1990, Gmurzynska-Bscher, C‑231/89, Rec. p. I‑4003, point 18, et du 12 mars 1998, Djabali, C‑314/96, Rec. p. I‑1149, point 17).

38 En ce qui concerne les dispositions du droit de l’Union susceptibles de faire l’objet d’un arrêt de la Cour en vertu de l’article 267 TFUE, il convient de rappeler que cette dernière est compétente pour statuer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union sans exception aucune (voir arrêts du 13 décembre 1989, Grimaldi, C‑322/88, Rec. p. 4407, point 8, et du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods, C‑11/05, Rec. p. I‑4285, points 35 et 36).

39/ Par conséquent, et s’agissant d’une réglementation relevant du droit de l’Union, la Cour peut être appelée par une juridiction nationale à interpréter les notions figurant dans un instrument de droit dérivé, telles que la notion de «clause abusive» visée par la directive et son annexe.

40/ À cet égard, la Cour a jugé que les articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la directive définissent, dans leur ensemble, les critères généraux permettant d’apprécier la nature abusive des clauses contractuelles auxquelles les dispositions de la directive s’appliquent (voir arrêt du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, C‑484/08, non encore publié au Recueil, point 33 et jurisprudence citée).

41/ Par ailleurs, une question semblable a été soulevée dans le cadre du renvoi préjudiciel qui a donné lieu à l’arrêt Pannon GSM, précité, en ce sens que, dans l’affaire à l’origine de cet arrêt, la juridiction de renvoi demandait à la Cour de lui fournir des indications relatives aux éléments que le juge national doit considérer afin d’apprécier le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle.

42/ À cet égard, la Cour, aux points 37 à 39 dudit arrêt, a relevé que l’article 3 de la directive ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, que l’annexe à laquelle renvoie l’article 3, paragraphe 3, de la directive ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives et que, selon l’article 4 de la directive, le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion.

43/ Dans ces conditions, la Cour, dans la réponse qu’elle a apportée à ladite question, a précisé qu’il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle réunit les critères requis pour être qualifiée d’«abusive», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive, et que, ce faisant, le juge national doit tenir compte du fait qu’une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être considérée comme abusive (voir arrêt Pannon GSM, précité, point 44).

44/ Il y a donc lieu de répondre aux première et deuxième questions posées à titre complémentaire que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

Sur la troisième question posée à titre complémentaire

45/ Par cette question, qui est libellée dans des termes très généraux, la juridiction de renvoi cherche à déterminer les responsabilités qui lui incombent, en vertu des dispositions de la directive, à partir du moment où cette dernière s’interroge sur le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive. Ladite juridiction demande notamment si, dans une telle situation, le juge national a l’obligation de procéder à une instruction d’office afin d’établir les éléments de fait et de droit nécessaires aux fins d’apprécier l’existence d’une telle clause, dans le cas où le droit national ne prévoit une telle instruction que si l’une des parties le demande.

46/ Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25; du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 25, ainsi que du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, Rec. p. I‑9579, point 29).

47/ La Cour a également jugé que, eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir arrêts précités Mostaza Claro, point 36, et Asturcom Telecomunicaciones, point 30).

48/ Afin d’assurer la protection voulue par la directive, la Cour a souligné que la situation d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (voir arrêts précités Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, point 27, Mostaza Claro; point 26, ainsi que Asturcom Telecomunicaciones, point 31).

49/ Ainsi, dans le cadre des fonctions qui lui incombent en vertu des dispositions de la directive, le juge national doit vérifier si une clause du contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi entre dans le champ d’application de cette directive. Dans l’affirmative, ledit juge est tenu d’apprécier, au besoin d’office, cette clause au regard des exigences de protection du consommateur prévues par ladite directive.

50/ En ce qui concerne le premier stade de l’examen devant être effectué par le juge national, il ressort des dispositions combinées des articles 1er et 3 de la directive que cette dernière s’applique à toute clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle.

51/ Afin de garantir l’efficacité de la protection des consommateurs voulue par le législateur de l’Union, le juge national doit donc, dans tous les cas et quelles que soient les règles de droit interne, déterminer si la clause litigieuse a fait ou non l’objet d’une négociation individuelle entre un professionnel et un consommateur.

52/ S’agissant du second stade dudit examen, il y a lieu de constater que la clause du contrat qui fait l’objet du litige au principal prévoit, ainsi que l’a indiqué le juge de renvoi, la compétence territoriale exclusive d’une juridiction qui n’est pas la juridiction dans le ressort de laquelle la partie défenderesse a sa résidence ni celle dans le ressort de laquelle se trouve le siège de la partie requérante, mais celle qui est située à proximité du siège de cette dernière tant sur le plan géographique que du point de vue des possibilités de transport.

53/ En ce qui concerne une clause qui avait été insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel et qui conférait une compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel était situé le siège du professionnel, la Cour a jugé, au point 24 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, qu’une telle clause devait être considérée comme abusive au sens de l’article 3 de la directive, dans la mesure où elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

54/ Il convient de relever que la clause au sujet de laquelle le juge national s’interroge dans l’affaire au principal, à l’instar d’une clause qui a pour objet de conférer compétence, pour tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège du professionnel, fait peser sur le consommateur l’obligation de se soumettre à la compétence exclusive d’un tribunal qui peut être éloigné de son domicile, ce qui est susceptible de rendre sa comparution plus difficile. Dans le cas de litiges portant sur des sommes limitées, les frais afférents à la comparution du consommateur pourraient se révéler dissuasifs et conduire ce dernier à renoncer à tout recours judiciaire ou à toute défense. Une telle clause entre ainsi dans la catégorie de celles ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice par le consommateur, catégorie visée au point 1, sous q), de l’annexe de la directive (voir arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 22).

55/ En outre, une telle clause attributive de juridiction exclusive permet au professionnel de regrouper l’ensemble du contentieux afférent à son activité professionnelle devant une juridiction unique, qui n’est pas celle du ressort du consommateur, ce qui tout à la fois facilite l’organisation de la comparution dudit professionnel et rend cette dernière moins onéreuse (voir, en ce sens, arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 23).

56/ Il y a lieu, dès lors, de répondre à la troisième question posée à titre complémentaire que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause.

Sur les dépens

57/ La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1) L’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions.

2) L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

3) Le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive 93/13 et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjue101109.htm

ANALYSE 1

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, renvoi préjudiciel, information par la juridiction du ministre ayant la Justice dans ses attributions, oui.

Résumé : L’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions

ANALYSE 2

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, compétences réciproques de la CJUE et du juge national.

Résumé : L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

ANALYSE 3

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, clause attributive de compétence, mesures d’instruction prises par le juge national.

Résumé : Le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive 93/13 et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause.