Recommandation N°85-01
Contrats de distribution de l’eau

BOCC du 17/01/1985

La commission des clauses abusives,

Vu le chapitre IV de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services ;

Vu le code civil ;

Vu le code des communes, et notamment ses articles L. 321-1, L. 321-5 et L. 322-1 ;

Vu le décret n° 47-1554 du 13 août 1947 portant approbation d’un cahier des charges type pour la concession d’une distribution publique d’eau potable ;

Vu le décret du 17 mars 1980 portant approbation d’un cahier des charges type pour l’exploitation par affermage d’un service de distribution publique d’eau potable ;

Entendu les représentants des professionnels intéressés.

Considérant que le service public de distribution d’eau est à la charge des communes ; que ces collectivités assurent, seules ou en se regroupant, ce service public industriel et commercial sous la forme de régie directe, de régie intéressée, de gérance, de concession ou d’affermage ; que, quel que soit le mode juridique de distribution, les relations entre l’usager et le service chargé de la distribution d’eau, communément appelé ‘service des eaux’, résultent d’un contrat d’abonnement appelé  » règlement du service d’eau  » ; que ce contrat se trouve, du fait de sa nature même, soumis, en ce qui concerne l’ensemble de ses stipulations, au régime du droit privé ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, d’une part, le  » service des eaux  » doit être regardé, quelle que soit sa qualification juridique comme un professionnel au sens des articles 35 et suivants de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 et que, d’autre part. les clauses des règlements du service d’eau peuvent faire l’objet de recommandations de la part de la commission des clauses abusives ; que dans l’hypothèse où certaines des clauses insérées dans le règlement du service d’eau ne feraient que reprendre une disposition de nature réglementaire insérée dans un cahier type de concession ou d’affermage régissant les relations entre la commune et le service des eaux, il appartient à la commission des clauses abusives, après avoir formulé sa recommandation de proposer, conformément à l’article 38 de la loi précitée, les modifications réglementaires qui lui paraissent souhaitables ;

Considérant que, dans de nombreuses communes, les droits et obligations des usagers du service des eaux ne sont pas consignés par écrit ; que l’ignorance dans laquelle se trouve ainsi l’abonné lui est préjudiciable ; qu’il convient ainsi qu’un document intitulé règlement du service d’eau soit établi pour chaque commune et remis aux usagers ;

Considérant que les abonnés du service des eaux adhèrent, souvent sans les connaître, à des clauses dont certaines résultent d’un abus de puissance économique de la part du service des eaux et procurent à celui-ci des avantages excessifs ; qu’ainsi qu’il est dit ci-dessus ces clauses n’ont généralement pas un caractère réglementaire et ne font pas l’objet d’une publication ; que pour permettre l’information complète et préalable de l’abonné, le document intitulé règlement du service d’eau doit lui être remis avant la conclusion de l’abonnement ; que pour les abonnements en cours, ce document devrait être remis dans les délais les plus brefs ;

Considérant de même que tout abonné doit connaître, avant sa mise en application, toute modification du règlement du service ; qu’il est abusif de le faire souscrire d’avance à toute modification ultérieure du règlement du service, l’abonné devant conserver la faculté de demander éventuellement à cette occasion la résiliation de son abonnement ;

Considérant que lorsque la distribution d’eau est assurée en régie directe par la commune ou par un regroupement de communes, le prix du mètre cube d’eau est fixé par délibération du conseil municipal ou par l’organe délibérant qui a l’obligation de voter le budget de la régie en équilibre ; que dans les autres modes de distribution, le prix du mètre cube d’eau ainsi que les modalités de révision de ce prix sont fixés par le règlement qui lie la ou les communes et la société distributrice ; que si les décisions de fixation de prix ont ainsi un caractère réglementaire, il importe que l’usager ait une bonne connaissance de ces éléments essentiels du contrat qui le lie au service des eaux ; qu’il convient donc que le prix du mètre cube d’eau au jour de la conclusion du contrat d’abonnement et les modalités de révision de ce prix figurent dans le règlement du service ;

Considérant que le service des eaux est responsable des travaux d’installation du branchement ; que si l’abonné a généralement la possibilité d’aménager la niche abritant le compteur, il doit le faire conformément aux directives du service des eaux ; que, de plus en plus fréquemment, le compteur est la propriété du service des eaux ; qu’il est ainsi abusif de mettre à la charge de l’abonné les conséquences dommageables causées par le gel du compteur, à défaut de faute prouvée de l’abonné ;

Considérant qu’en cas d’arrêt du compteur, il doit toujours être loisible à l’abonné d’apporter la preuve que sa consommation d’eau a pu, pour la période d’arrêt, être significativement différente de celle enregistrée pendant la période correspondante de l’année précédente ou de celle calculée par extrapolation sur une période déterminée de l’année en cours ;

Considérant que les règlements du service d’eau prévoient généralement que les frais de vérification des compteurs, d’ouverture et de fermeture des branchements, sont fixés à un montant correspondant à un certain nombre de mètres cubes d’eau ; que le prix du mètre cube d’eau peut varier dans des proportions importantes et connaître de fortes hausses ; que l’abonné n’a pas la possibilité, si le prix de l’eau s’accroît considérablement, de demander que le nombre de mètres cubes d’eau servant à la facturation d’interventions dont le coût économique est sans rapport avec le prix du mètre cube d’eau soit révisé en baisse ; qu’il conviendrait ainsi de dissocier ces frais du prix du mètre cube d’eau ;

Considérant que les règlements du service prévoient généralement une pénalité dans l’hypothèse où l’abonné use de l’eau autrement que pour son usage personnel et celui de ses locataires et en dispose, gratuitement ou non, en faveur de tout autre particulier ou intermédiaire ; que cette infraction a un caractère généralement bénin et ne saurait être assimilée à un piquage sur le branchement ou une modification du compteur ; qu’il y a ainsi lieu, si une clause pénale est maintenue dans cette hypothèse, de la fixer à un montant inférieur à celui prévu lors d’infractions plus graves ;

Considérant que la fermeture du branchement constitue une mesure d’une particulière gravité à laquelle il ne saurait être procédé sans mise en demeure préalable et ne peut se justifier qu’à titre conservatoire soit pour faire cesser un trouble préjudiciable aux autres abonnés ou aux installations, soit pour s’opposer à la commission d’un délit ;

Considérant que, hors les cas de force majeure, le service des eaux ne peut sans abus dégager, ainsi que cela a été relevé dans tous les règlements de service examinés, sa responsabilité pour les troubles de toute nature que peuvent causer une interruption générale ou partielle du service, l’insuffisance ou les brusques variations de pression ; que si des sanctions pécuniaires sont déjà prévues au profit de la collectivité par le cahier des charges type pour l’exploitation par affermage, ces sanctions ne sont pas exclusives de dommages et intérêts que peuvent demander les abonnés, tant dans le cas de l’affermage que dans l’hypothèse d’autres modes de gestion du service des eaux ;

Considérant que la fourniture d’eau à un abonné domestique consiste, non seulement à garantir un débit, une pression convenus, mais également une eau conforme aux qualités définies par les règlements sanitaires, que la fourniture d’eau ne présentant pas la qualité ainsi définie constitue une méconnaissance par le service des eaux de l’une de ses obligations essentielles ;

Considérant que la distribution d’eau est un service public ; que les candidats à l’abonnement qui réunissent les conditions prévues au règlement du service doivent nécessairement pouvoir bénéficier d’un abonnement et ce, dans un délai raisonnable ;

Considérant que seul le service des eaux est autorisé à effectuer le branchement ; que les règlements du service des eaux excluent généralement la responsabilité du service des eaux pour les conséquences dommageables d’accidents survenus sur la partie du branchement située au-delà du domaine public ; que cette clause est abusive dès lors que ces accidents peuvent résulter d’une faute du service des eaux, par exemple par suite d’un défaut de conception du branchement, et que les conséquences dommageables peuvent provenir d’une inaction lors d’une fuite signalée par l’abonné ;

Considérant que certains règlements du service prévoient l’inclusion d’une consommation minimale d’eau dans la tarification ; que, s’il est normal que la tarification comporte une partie fixe, correspondant à l’abonnement, celle-ci doit couvrir des frais indépendants de la consommation de l’abonné ; que l’intégration de l’équivalent d’une consommation minimale dans la tarification n’a aucun fondement économique ou juridique et peut conduire à un prix abusif du mètre cube d’eau réellement consommé pour des abonnés qui ont une faible consommation ; qu’il conviendrait ainsi d’éliminer toute référence à une consommation minimale ;

Considérant que certains règlements du service prévoient la souscription d’un abonnement payé d’avance comportant obligatoirement un minimum de consommation d’eau choisi au sein d’une gamme en fonction des consommations de l’abonné au cours des années antérieures ; que les excédents de consommation par rapport à ce minimum souscrit sont facturés à l’abonné ; qu’en revanche la consommation d’un volume d’eau moindre que le minimum souscrit ne donne droit à aucun remboursement, que cette dernière clause est abusive dès lors que l’abonné ne connaît pas sa consommation future qui peut varier sensiblement par rapport aux années précédentes ;

Considérant que certains règlements du service prévoient que dans l’hypothèse où le service des eaux n’a pu, du fait de l’usager, relever la consommation inscrite au compteur, un minimum de consommation d’eau est facturé et ne sera pas déduit de la consommation constatée à l’échéance suivante ; qu’une telle clause résulte manifestement d’un abus de puissance économique de la part du service des eaux et doit être supprimée ;

Considérant que les frais de fermeture, de réouverture du branchement et d’installation du compteur sont à la charge de l’abonné ; que ces frais doivent par eux-mêmes dissuader l’abonné de demander une résiliation de son abonnement pour une courte période ; que rien ne justifie, ainsi que le prévoient généralement les règlements du service des eaux, le paiement de l’abonnement pendant la période d’interruption si, après cessation de son abonnement sur sa propre demande, un abonné sollicite, dans un délai inférieur à un an par rapport à la fin de l’abonnement précédent, la réouverture du branchement et la réinstallation du compteur ;

Considérant que les règlements du service des eaux réservent généralement à celui-ci la faculté de contrôler les installations intérieures de l’abonné pour vérifier qu’elles n’ont pas d’actions nuisibles sur la distribution publique ; que ces vérifications peuvent éventuellement engager la responsabilité du service des eaux si elles provoquent des conséquences dommageables de toute nature à l’abonné ; qu’il est dès lors abusif de dégager dans tous les cas, ainsi que le font généralement les règlements du service, la responsabilité du service des eaux pour les contrôles effectués ;

Considérant que certains règlements du service des eaux prévoient un court délai, de l’ordre de quinze jours à un mois, au-delà duquel l’abonné ne peut plus contester le montant de la facture ; que cette clause est manifestement abusive ;

Considérant que certains règlements du service interdisent toute réclamation de la part de l’usager lors de la demande de paiement ; qu’il est abusif de paralyser ainsi le jeu de l’exception d’inexécution en obligeant l’abonné à payer alors qu’il a pu éventuellement constater que le service des eaux n’a pas rempli complètement ses obligations ;

Considérant que, dans l’hypothèse où la fermeture du branchement intervient à la demande de l’abonné suite à une modification du règlement du service décidée par le service des eaux, il est abusif de mettre à la charge de l’abonné les frais de fermeture du branchement, la modification du contrat n’étant pas de son fait ;

Considérant que certains règlements du service subordonnent la réouverture du branchement au paiement par le nouvel abonné des arriérés impayés par l’ancien abonné ; qu’une telle clause est abusive dès lors que le nouvel abonné n’est pas débiteur du service des eaux,

Recommande :

  1. — 1° que lors de la conclusion de l’abonnement au service de distribution d’eau, le règlement du service d’eau soit remis à l’abonné, à charge pour le service de justifier cette remise ;

2° que, de même, toute modification du règlement du service soit remise à l’abonné dans les mêmes conditions avant sa mise en application ;

3° que le prix du mètre cube d’eau à la date de la conclusion du contrat et les modalités de révision de ce prix soient inclus dans le règlement du service ;

4° que les règlements du service d’eau laissent à la charge du service des eaux les dommages causés par le gel du compteur, sauf pour le service des eaux à prouver une faute de l’abonné ;

5° que l’abonné ait la possibilité, en cas d’arrêt du compteur, d’apporter la preuve d’une variation de sa consommation d’eau par rapport à la période de référence prévue dans ce cas dans le règlement du service ;

6° que les frais de vérification des compteurs, d’ouverture et de fermeture des branchements soient dissociés du prix du mètre cube d’eau et calculés en fonction des coûts réellement supportés ;

7° que la pénalité encourue par l’abonné dans le cas d’usage à titre gratuit ou onéreux de l’eau ne soit ni manifestement excessive ni manifestement dérisoire par rapport au préjudice subi ;

8° que la fermeture d’un branchement à l’initiative du service des eaux soit obligatoirement précédée d’une mise en demeure préalable notifiée à l’abonné, excepté le cas où une telle mesure est le seul moyen d’éviter des dommages aux installations, de protéger les intérêts légitimes des autres abonnés ou de faire cesser un délit ;

9° qu’une clause du règlement de service prévoie, hors le cas de force majeure, la responsabilité du service des eaux à l’égard des abonnés pour les troubles de toute nature occasionnés par des accidents de service, notamment pour les cas d’interruption générale ou partielle du service non justifiée par une réparation, d’insuffisance ou de brusque variation de la pression d’eau, de présence d’air ou de sable dans les conduites, de fourniture d’eau non conforme aux règlements sanitaires ;

10° qu’une clause du règlement de service prévoie que le service des eaux est tenu, sur tout le parcours de la distribution, de fournir de l’eau à tout candidat à l’abonnement remplissant les conditions énoncées audit règlement et ce dans un délai fixé lors de la signature de l’abonnement ;

B– Que soient éliminées des règlements du service proposés par les collectivités ou sociétés qui assurent la distribution d’eau les clauses ayant pour objet ou pour effet :

1° de se référer à des conditions générales non remises à l’abonné suivant les modalités précisées dans la recommandation A, 1° ;

2° de faire souscrire d’avance l’abonné à toute modification ultérieure du règlement du service ;

3° d’exclure toute responsabilité du service des eaux pour les conséquences dommageables d’accidents survenus sur la partie du branchement située au-delà du domaine public ;

4° d’inclure, dans la tarification, une consommation minimale dans la partie fixe de l’abonnement ;

5° d’imposer à l’abonné de payer d’avance un abonnement pour un minimum de consommation d’eau choisi au sein d’une gamme, sans qu’il ait la possibilité d’obtenir, si sa consommation réelle est inférieure au minimum souscrit, le remboursement de la différence ;

6° de ne pas permettre de déduire de la consommation constatée lors d’un relevé du compteur la consommation forfaitaire facturée précédemment à l’abonné dont le compteur n’avait pu être relevé ;

7° d’imposer le paiement de l’abonnement pendant la période d’interruption si, après cessation de son abonnement sur sa propre demande, un abonné sollicite la réouverture du branchement et la réinstallation du compteur ;

8° de dégager entièrement la responsabilité du service des eaux lorsque celui-ci procède à des vérifications des installations intérieures de l’abonné ;

9° d’instituer un délai plus court que le délai légal pour contester le montant de la facture ;

10° de paralyser le jeu de l’exception d’inexécution en obligeant l’abonné à payer alors que le service des eaux n’a pas rempli ses obligations ;

11° de mettre à la charge de l’abonné les frais de fermeture du branchement lorsque cette fermeture intervient à la demande de l’abonné mais consécutivement à une modification du règlement du service décidée par le service des eaux ;

12° de subordonner la réouverture du branchement au paiement par le nouvel abonné non débiteur des arriérés impayés par l’ancien abonné ;

13° d’exclure, en sus du cas de force majeure, toute responsabilité du service des eaux pour les troubles de toute nature occasionnés par des faits de service.

Délibéré sur le rapport de M. André Schilte dans les séances des 9 juillet, 24 septembre, 15 octobre et 19 novembre 1982.

 

Voir également : recommandation n° 01-01