Conseil d'État
Arrêt du 6 juillet 2005

ce050706.htm

Conseil d’État statuant au contentieux N° 261991
Publié au Recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
Mme Laurence Marion, Rapporteur
M. Donnat, Commissaire du gouvernement
M. Stirn, Président

SCP Thomas-Raquin, Benabent ; Le Prado

Vu la requête, enregistrée le 21 novembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par la société D…, et la société D… & B…, dont le siège social est … ; la société D… et la société D… & B… demandent au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir le refus du ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, exprimé par une lettre du 22 septembre 2003, d’abroger les articles 14 et 15 du décret du 14 mai 1988 et les articles 21 et 22 du décret du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics de marchandises pour lesquels il n’existe pas de contrat type spécifique ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 82-1153 modifiée, d’orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Laurence Marion, Auditeur,

– les observations de la SCP Thomas-Raquin, Bénabent, avocat de la société Chronopost et de Me Le Prado, avocat de la fédération des entreprises de transport et de logistique de France,

– les conclusions de M. Francis Donnat, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la société D… et la  société D… & B… demandent l’annulation pour excès de pouvoir du refus du ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, exprimé par une lettre du 22 septembre 2003, d’abroger les articles 14 et 15 du décret du 4 mai 1988 et les articles 21 et 22 du décret du 6 avril 1999 ;

Sur les interventions de la société Chronopost et de la fédération des entreprises de transport et logistique de France :

Considérant que la société Chronopost et la fédération des entreprises de transport et logistique de France ont intérêt au maintien de la décision attaquée ; que par suite leurs interventions sont recevables ;

Sur les conclusions dirigées contre la lettre du 22 septembre 2003 en tant qu’elle concerne les articles 14 et 15 du décret du 4 mai 1988 :

Considérant que dans sa lettre du 22 septembre 2003, le ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, s’est borné à informer les sociétés requérantes que le décret du 4 mai 1988 dont elles demandent l’abrogation avait été abrogé par le décret du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n’existait pas de contrat type spécifique ; que par suite la lettre du 22 septembre 2003, en tant qu’elle concerne le décret du 4 mai 1988, n’a pas le caractère d’une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir ; qu’ainsi les conclusions des sociétés D… et D… & B… sont irrecevables en tant qu’elles portent sur les articles 14 et 15 du décret du 4 mai 1988 ;

Sur les conclusions dirigées contre le refus d’abroger les articles 21 et 22 du décret du 6 avril 1999 :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la fédération des entreprises de transport et logistique de France ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 132-1 du code de la consommation : Dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat…  Les clauses abusives sont réputées non écrites. ;

Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la loi d’orientation sur les transports intérieurs du 30 décembre 1982 : Tout contrat de transport public de marchandises ou tout contrat relatif au déménagement doit comporter des clauses précisant la nature et l’objet du transport ou du déménagement, les modalités d’exécution du service en ce qui concerne le transport proprement dit et les conditions d’enlèvement et de livraison des objets transportés, les obligations respectives de l’expéditeur, du commissionnaire, du transporteur, du déménageur et du destinataire, et le prix du transport ou du déménagement ainsi que celui des prestations accessoires prévues. De même, le contrat de commission de transport doit faire l’objet de dispositions identiques. Sans préjudice de dispositions législatives en matière de contrat et à défaut de convention écrite définissant les rapports entre les parties au contrat sur les matières mentionnées à l’alinéa précédent, les clauses de contrats types s’appliquent de plein droit. Ces contrats types sont établis par décret, après avis des organismes professionnels concernés et du conseil national des transports. ;

Considérant que le contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n’existe pas de contrat type spécifique a été approuvé, en application de ces dispositions législatives, par le décret du 6 avril 1999 ; que les règles applicables en cas de pertes et avaries sont fixées par l’article 21 de ce contrat type et les règles relatives au délai d’acheminement et à l’indemnisation pour retard à la livraison par l’article 22 ; que le troisième alinéa de cet article 22 dispose que : En cas de préjudice prouvé résultant d’un retard à la livraison du fait du transporteur, celui-ci est tenu de verser une indemnité qui ne peut excéder le prix du transport (droits, taxes et frais divers). Le donneur d’ordre a toujours la faculté de faire une déclaration d’intérêt spécial à la livraison qui a pour effet de substituer le montant de cette déclaration au plafond de l’indemnité fixé à l’alinéa précédent ; que les sociétés requérantes soutiennent que ces dispositions présenteraient un caractère abusif au sens des dispositions précitées de l’article L. 132-1 du code de la consommation ;

Mais considérant que les dispositions contestées ne s’appliquent qu’à défaut de convention écrite particulière entre les parties ; qu’elles ménagent en outre au donneur d’ordre la possibilité de faire à la livraison une déclaration d’intérêt spécial qui a pour effet de substituer le montant de cette déclaration au plafond d’indemnisation qu’elles prévoient ; qu’au surplus l’application de ce plafond est en toute hypothèse écartée en cas de faute lourde du transporteur ; que, dans ces conditions, les clauses du contrat type approuvées par le décret dont l’abrogation a été demandée par les sociétés requérantes ne présentent pas un caractère abusif au sens des dispositions de l’article L. 132-1 du code de la consommation ; que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par le décret du 6 avril 1999 doit, par suite, être écarté ;

Considérant que l’article 5 de la loi du 30 décembre 1982 dispose que : Sont considérés comme des transports publics tous les transports de personnes ou de marchandises, à l’exception des transports qu’organisent pour leur propre compte des personnes publiques ou privées ; que le décret du 6 avril 1999 s’applique aux transports publics ainsi définis ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n’existe pas de contrat type spécifique ne seraient applicables qu’aux entreprises du secteur public et introduiraient en conséquence une distorsion de concurrence à leur profit manque en fait ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation du refus du ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer d’abroger les articles 21 et 22 du contrat type annexé au décret du 6 avril 1999 ;

Sur les conclusions de la société Chronopost tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que la société Chronopost, intervenante en défense, n’est pas partie à la présente instance au sens des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par suite, ces dispositions font obstacle à ce que ce que soit mis à la charge de l’État la somme que la société Chronopost demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
Article 1er : Les interventions de la société Chronopost et de la fédération des entreprises de transport et logistique de France sont admises.

Article 2 : La requête de la société D… et de la société D… & B… est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société Chronopost tendant à l’application de l’article L. 761-1 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société D… , à la société D… & B… , à la société Chronopost, à la fédération des entreprises de transport et logistique de France, au Premier ministre et au ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer.