Cour de cassation
Arrêt du 24 janvier 1995

Chambre civile 1
Audience publique du 24 janvier 1995
Rejet.
N° de pourvoi : 92-18227
Publié au bulletin 1995 I N° 54 p. 38
Président : M. de Bouillane de Lacoste .
Rapporteur : Mme Delaroche.
Avocat général : Mme Le Foyer de Costil.
Avocats : la SCP de Chaisemartin et Courjon, la SCP Defrénois et Levis.

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que le 18 novembre 1982, la société Héliogravure J. D. a conclu avec l’établissement public Électricité de France (EDF) un contrat de fourniture d’énergie électrique haute tension ; que, se plaignant de coupures de courant survenues au cours du mois de janvier 1987 et de l’année 1988, elle a assigné EDF aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 784 230 francs en réparation du préjudice causé par ces interruptions ; qu’EDF a opposé que celles-ci étaient la conséquence d’une grève menée par une partie de son personnel, revêtant le caractère de force majeure ; qu’elle a demandé reconventionnellement le paiement de la somme de 567 084,49 francs représentant le montant de sa facture du mois de janvier 1987 ; que l’arrêt attaqué (Douai, 14 mai 1992) a écarté la demande d’indemnisation formée au titre des interruptions survenues en janvier 1987 en retenant que la situation conflictuelle avait fait naître pour EDF un état de contrainte caractérisant le cas de force majeure ; qu’ayant, pour les coupures survenues en 1988, considéré qu’EDF ne rapportait pas la preuve qu’il s’agissait d’interruptions entrant dans la définition de l’article XII, alinéa 5, du contrat et assimilables à des cas de force majeure, il a procédé au calcul de l’indemnisation conformément à la clause de l’alinéa 3 du même article, limitant, à moins de faute lourde établie, le montant de la somme destinée à réparer le dommage causé à l’usager, écartant en cela les prétentions de la société Héliogravure J. D. selon lesquelles cette clause devait être réputée non écrite en application des articles 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 et 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978 ; qu’enfin, procédant à la compensation entre l’indemnité ainsi calculée et la somme de 70 891,72 francs, dette non contestée par la société Héliogravure J. D., il a condamné cette dernière au paiement de la somme de 496 192,77 francs outre intérêts à compter du 7 juin 1990 ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Héliogravure J. D. fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué alors, selon le moyen, d’une part, qu’en relevant d’office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de ce que la grève des employés EDF constituait un événement extérieur car “ lorsqu’ils cessent collectivement d’exécuter leurs prestations en application du droit de grève qui leur est reconnu par la Constitution et par la loi, ils ne se trouvent plus placés sous l’autorité de l’employeur qui ne dispose d’aucun moyen pour les contraindre à accomplir pour son compte les tâches nécessaires à la satisfaction des besoins des usagers “, la cour d’appel a violé l’article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d’autre part, que le fait des préposés qui se mettent en grève ne constitue pas en soi un événement extérieur à l’entreprise, nécessaire à la caractérisation de la force majeure de nature à l’exonérer de sa responsabilité ; que, dès lors, en statuant de la sorte, la cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ; alors, de surcroît, qu’une grève générale et de grande ampleur dans le service public et nationalisé est loin de constituer en principe un événement imprévisible ; que, dès lors, en écartant la force majeure à raison des seules caractéristiques susvisées de la grève, sans caractériser concrètement l’imprévisibilité, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard du texte précité ;

Mais attendu que dans ses conclusions signifiées le 5 février 1992, EDF avait fait valoir que la grève avait été lancée par les grandes centrales syndicales pour protester contre la politique salariale dans le secteur public et nationalisé et qu’elle-même ne pouvait ni interdire à son personnel de faire grève, ni décider d’une mesure de réquisition, ni disposer d’un personnel intérimaire suffisamment qualifié ; que, sans relever un moyen d’office, la cour d’appel, qui a recherché dans les circonstances de la cause ainsi invoquées si celles-ci caractérisaient l’existence de la force majeure, a retenu que c’était effectivement en raison d’un mouvement de grève d’une grande ampleur, affectant l’ensemble du secteur public et nationalisé et par là même extérieur à l’entreprise, qu’EDF n’avait pu prévoir et qu’elle ne pouvait ni empêcher en satisfaisant les revendications de ses salariés, compte tenu de la maîtrise du gouvernement sur ces décisions relatives aux rémunérations, ni surmonter d’un point de vue technique, que ce service public n’avait pu, en janvier 1987, fournir de manière continue le courant électrique ainsi qu’il y était contractuellement tenu envers la société Héliogravure J. D. ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Héliogravure J. D. fait aussi grief à l’arrêt de s’être prononcé ainsi qu’il l’a fait alors, selon le moyen, d’une part, qu’en se fondant sur le fait que ladite société disposait d’un personnel d’encadrement compétent dans le domaine juridique, ce que n’avait nullement soutenu EDF, la cour d’appel a violé l’article 7 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d’autre part, qu’est un consommateur celui qui contracte hors de sa sphère habituelle d’activité et de sa spécialité ; que les contrats souscrits auprès de EDF sont des contrats types qui ne peuvent être négociés en raison du monopole de ce service public, ce qui place les commerçants, quand ils contractent, dans la même situation qu’un simple particulier ; qu’en estimant que la société Héliogravure J. D., entreprise d’imprimerie, était un utilisateur professionnel de l’énergie électrique qui ne pouvait bénéficier des dispositions de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, la cour d’appel a violé l’article 35 de cette loi, ainsi que l’article 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978 ;

Mais attendu que les dispositions de l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu les articles L. 132-1 et L. 133-1 du Code de la consommation et l’article 2 du décret du 24 mars 1978 ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant ; que, par ces motifs substitués, la décision se trouve légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
Décision attaquée : Cour d’appel de Douai, 1992-05-14
Dalloz, 1995-06-15, n° 23, p. 327, note G. Paisant