Cour de cassation
Arrêt 8 du décembre 2009

1ère chambre civile

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 132-1, alinéa 1er, du code de la consommation ;

Attendu qu’aux termes de ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;

Attendu qu’en vertu d’un contrat d’amodiation conclu le 18 mai 2000 avec la société P… (la société), concessionnaire de l’exploitation du port de plaisance de D… pour une durée de cinquante ans à compter du 1er janvier 1972, M. X… est devenu amodiataire d’un poste d’amarrage et de mouillage pour une durée fixée par l’article 1er du contrat à celle de la concession ; qu’ayant vendu son bateau, il a, par lettre du 13 juin 2006, notifié la résiliation du contrat avec effet au 20 juin 2006, précisant être à jour des charges afférentes à l’emplacement en cause ; qu’assigné en paiement d’un complément de charges portuaires au titre de l’année 2006 et des charges de l’année 2007, il a opposé le caractère abusif de la clause fixant la durée de l’amodiation à celle de la concession ;

Attendu que, pour écarter le caractère abusif de la clause litigieuse et condamner M. X… à payer à la société les sommes par elle réclamées, le jugement attaqué énonce, d’abord, que la durée du contrat, qui est longue, s’explique par la nature du contrat portant occupation du domaine maritime de l’État, qu’elle a été contradictoirement acceptée par l’amodiataire lors de la signature du contrat, qu’elle s’impose donc aux deux parties et qu’il n’existe pas de déséquilibre entre les droits et obligations des deux parties, tenues l’une comme l’autre par cette durée, ensuite, que, si l’article 5 du contrat interdit à l’amodiataire de céder ou de sous-louer l’emplacement, cette règle est toutefois limitée par le règlement de police applicable au port de plaisance qui prévoit, en son article 27, alinéa 2, qu’en cas de vente d’un navire, le poste d’accostage concerné ne peut faire l’objet d’un transfert de jouissance, de la part du titulaire, au profit du nouveau propriétaire sans un accord formel du concessionnaire, de sorte qu’il appartient à M. X… de faire le nécessaire et qu’il ne peut se voir déchargé de ses obligations contractuelles concernant la durée de la convention, enfin, que, s’il est établi et non contesté que la société a mis l’emplacement à la disposition de tiers, ce fait constitue l’application de l’article 26 du règlement précité qui l’autorise à disposer de l’emplacement toutes les fois que l’amodiataire le libère pendant plus de sept jours sans effectuer une déclaration d’absence ;

Qu’en se déterminant ainsi, quand l’article 1er du contrat d’amodiation a pour objet et pour effet de maintenir l’amodiataire dans les liens contractuels pendant la durée de la concession en lui imposant de payer les charges portuaires afférentes à l’emplacement amodié, sans lui réserver la faculté de résilier la convention pour un motif légitime, et alors que, d’une part, l’article 5 lui interdit de céder ou sous-louer l’emplacement, tandis que le règlement de police du port ne prévoit la possibilité d’un transfert de jouissance du poste d’accostage qu’en cas de vente d’un navire et assujettit ce transfert à un accord formel du concessionnaire, et que, d’autre part, la société est autorisée à disposer de l’emplacement au profit de tiers passé un délai d’inoccupation de sept jours, de sorte que la société ne justifie pas d’un préjudice en cas de résiliation moyennant un préavis de sept jours ; qu’il en résulte un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; que la clause contenue à l’article 1er du contrat d’amodiation est donc abusive et, partant, réputée non écrite ; que, dès lors, la juridiction de proximité a violé, par refus d’application, les dispositions du texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 5 juin 2008, entre les parties, par la juridiction de proximité de Pont-L’Evêque ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction de proximité de Lisieux ;

Condamne la société Port D… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Port Deauville à verser à M. X… la somme de 2.000 € ; rejette la demande de la société.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille neuf.