Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n° 22-13.969
Mots clés : Prêt immobilier – établissement de crédit – clause d’indexation – clause abusive – qualité de professionnel
EXTRAITS :
« Il en résulte qu’étant réputée agir conformément à son objet, la SCI a agi à des fins professionnelles et ne pouvait donc invoquer à son bénéfice le caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt. »
ANALYSE :
La société Caisse de Crédit Mutuel (ci-après la banque) a accordé à la société civile immobilière Masill (ci-après la SCI) deux prêts immobiliers par le biais d’actes datés du 27 octobre 2005 et du 2 juin 2006. Ces prêts devaient être remboursés en plusieurs versements mensuels en francs suisses.
Le 17 janvier 2019, la SCI a assigné la banque en nullité des clauses d’indexation des contrats de prêt. Cette action visait également à déclarer abusives certaines de ces clauses, à établir la responsabilité de la banque, et à demander réparation des préjudices subis.
Les juges du fond ont rejeté la demande de la SCI visant à déclarer comme abusives et réputées non écrites les clauses d’indexation en se fondant sur les motifs suivants lesquels les clauses étaient claires et compréhensibles sur le plan grammatical, et en affirmant que celles-ci indiquaient de manière transparente le risque de variation des taux de change.
Les juges du fond retiennent qu’on peut attendre d’une SCI, qui avait en l’espèce contracté deux prêts pour des investissements de défiscalisation, qu’elle lise attentivement les contrats rédigés de manière compréhensible et accepter les risques liés aux variations des taux de change, avec toutes les conséquences économiques qui en découlent.
La SCI a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Besançon rendu le 25 janvier 2022.
Se fondant implicitement sur le revirement de la Cour de cassation à la suite de la jursprudence de la CJUE (Cass. civ. 1ère, 20 avril 2022, 20-13.316, 19-11.599, n° 19-11600), la SCI énonce qu’une clause qui définit l’élément essentiel d’un contrat peut être considérée comme abusive si elle n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible. La clarté et la compréhensibilité d’une clause contractuelle ne se limitent pas seulement à une compréhension grammaticale formelle, mais impliquent également que le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif, puisse comprendre le fonctionnement concret d’une clause, notamment en ce qui concerne les conséquences financières potentiellement importantes, telles qu’une variation des taux de change. Et sur cet aspect la SCI estime que les juges du fond n’ont pas examiné si les clauses expliquaient de manière transparente le mécanisme réel de conversion des devises étrangères, ni les conséquences économiques potentiellement significatives d’une telle variation.
La Cour de cassation écarte cependant le grief en substituant aux motifs critiqués un motif de pur droit lié au défaut d’applicabilité de la législation sur les clauses abusives.
Elle énonce « qu’une société civile immobilière agit en qualité de professionnelle lorsqu’elle souscrit des prêts immobiliers pour financer l’acquisition d’immeubles conformément à son objet ».
La première chambre civile se fonde sur les constatations des juges du fond selon lequelles « la SCI avait souscrit deux prêts immobiliers afin d’acquérir des immeubles à des fins d’investissement locatif ».
Pour en déduire qu’il s’agit là d’une finalité professionnelle, la Cour de cassation relève qu’elle est réputée agir conformément à son objet. On reconnaît ici le principe de spécialité des personnes morales.
La Cour de cassation a donc pu considérer que la SCI avait agi en tant que professionnelle et que par conséquent la SCI ne pouvait pas bénéficier de la protection contre les clauses abusives dans les contrats de prêt. Il en découle qu’elle ne pouvait invoquer le caractère abusif des clauses d’indexation et demander qu’elles soient réputées non écrites.
Une difficulté aurait pu naître du fait que l’activité d’une SCI n’est ni libérale, ni commerciale, ni artisanale, ni a fortiori commerciale puisqu’elle est précisément civile.
Or, le professionnel est selon le droit européen, transposé à l’article liminaire du code de la consommation « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ».
Pour autant la solution est pleinement conforme au droit européen. La CJUE considère que « le législateur de l’Union a consacré une conception particulièrement large de la notion de «professionnel», laquelle vise «toute personne physique ou morale» dès lors qu’elle exerce une activité rémunérée et n’exclut de son champ d’application ni les entités poursuivant une mission d’intérêt général ni celles qui revêtent un statut de droit public » (CJUE, 3 oct. 2013, aff. C-59/12, Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs). En d’autres termes, une personne peut agir en qualité de professionnelle même si son activité ne figure pas dans la liste énumérée dans la définition.
Voir également :
– CJUE, 3 oct. 2013, aff. C-59/12, Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs