Tribunal administratif
Un Tribunal administratif juge abusive une clause limitative de responsabilité d’origine réglementaire

TA DE SAINT-MARTIN, 30 NOVEMBRE 2023, RG 2300108

TA DE SAINT-MARTIN, 30 NOVEMBRE 2023, RG 2300108 

– contrat d’abonnement – clause exonératoire de responsabilité – clause abusive  

 

EXTRAITS  

« Les dispositions citées au point précédent organisent une répartition des responsabilités sur le réseau entre le distributeur d’eau, qui prend en charge les frais et les dommages résultant de l’existence du branchement ainsi qu’une partie des frais relatifs au système de comptage, dans les cas prévus par l’article 5 du règlement cité au point précédent, et les abonnés, qui prennent en charge les frais relatifs au branchement résultant de leur faute, l’autre partie des frais relatifs au système de comptage, ainsi que les dommages causés par l’existence ou le fonctionnement des installations privées ou par leur défaut d’entretien, de renouvellement ou de mise en conformité sans qu’il leur soit possible, dans ce cas, d’établir une faute du distributeur. Ce faisant, au regard de l’ensemble des stipulations du contrat et contrairement à ce que soutient la société générale des eaux Guadeloupe, ces dispositions exonèrent de toute responsabilité le distributeur d’eau dans le cas où une fuite dans les installations privées de l’abonné, dommage tenant donc à leur fonctionnement, résulterait d’une faute commise par le service en amont du réseau. Par suite, et sans que les caractéristiques particulières du service public de l’eau, que la société générale des eaux Guadeloupe évoque de manière vague, ne le justifient, ces dispositions, qui s’insèrent, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion, présentent un caractère abusif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation. ». 

 

 

ANALYSE   

 

Le tribunal administratif de Saint-Marin (TA ci-après) a été saisi par la cour d’appel de Basse-Terre au sujet d’un contrat d’abonnement en eau potable conclu entre quatre consommateurs et la société générale des eaux Guadeloupe. A la suite de désordres apparus en 2013 et causés par une fuite de canalisation du réseau commun enterré, situé sur le terrain de la copropriété, différents consommateurs ont assigné la société générale des eaux Guadeloupe et le syndicat des copropriétaires de la résidence les jardins de l’Indigo ainsi que la société Sprimbarth Cap Caraïbes devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre. 

 

Le 22 juin 2016, le tribunal a condamné in solidum le délégataire et le syndic à payer aux consorts D la somme de 38 657 euros en réparation de leur préjudice matériel et de jouissance ainsi que la somme globale de 2 500 euros en réparation de leurs préjudices moraux. La société Générale des eaux Guadeloupe a interjeté appel de ce jugement. Par son arrêt du 27 octobre 2022, la cour d’appel de Basse-Terre a saisi le tribunal administratif de Saint-Martin sur la question du caractère abusif des clauses du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, et a sursis à statuer dans l’attente de la réponse du tribunal. 

 

La TA de Paris rappelle en préambule de sa décision qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu’elle est saisie d’une question préjudicielle en appréciation de validité d’un acte administratif, de trancher d’autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l’autorité judiciaire. Ainsi, le TA de Paris ne se prononce dans cette décision que sur la question préjudicielle qui lui a été posée par la CA de Basse-Terre, à savoir se prononcer sur la question préjudicielle « du caractère abusif des clauses du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 au sens du code de la consommation ». 

 

Pour considérer qu’elles étaient abusives, la cour se fonde sur l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version en vigueur du 3 juillet 2010 au 1er juillet 2016 et rappelle notamment que « Le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service ». 

 

Ainsi, elle en a déduit qu’il y’avait lieu d’affirmer que l’article 6-2 du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 présente un caractère abusif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation en ce qu’il exonère de toute responsabilité le distributeur d’eau en présence d’une fuite dans les installations privées de l’abonné qui résulterait d’une faute commise par le service en amont du réseau. Ainsi cette répartition des responsabilités sur le réseau entre le distributeur d’eau et les abonnés présente un caractère abusif en ce qu’elle fait peser sur l’abonné une responsabilité que doit supporter le distributeur d’eau. Autrement dit, elle a déduit que les droits et obligations des parties étaient déséquilibrées au détriment des abonnés. La clause était donc abusive.  

 

Cette décision se situe dans le droit fil de la décision du Conseil d’Etat Société des Eaux du Nord qui avait étendu le bloc de légalité à la législation sur les clauses abusives (CE, 11 juill. 2001, n°221458 ) 

 

Voir également : 

Recommandation n° 01-01 : distribution d’eau (complémentaire à la n° 85-01 du 19 novembre 1982)
Recommandation n° 85-01 : distribution d’eau