Cour de cassation
Un contrat conclu entre deux professionnels exclut le mécanisme de relevé d’office du juge des clauses abusives

Cass. com, 11 octobre 2023, n° 22-10.521 

Cass. com, 11 octobre 2023, n° 22-10.521 

 

Mots clés : Contrats entre professionnels – conditions générales – clauses abusives – qualité de professionnel – notion de non-professionnel – déséquilibre significatif  

 

EXTRAITS : 

 

« Dès lors que la lettre de mission du 7 juillet 2005 avait un rapport direct avec l’activité de la société Jego, ce dont il résulte que cette dernière n’était pas un non-professionnel, au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à la vérification prétendument omise ». 

 

ANALYSE : 

 

La société Ambulances Daniel Jego (société Jego) a confié à la société d’expertise comptable Aria expertise conseils (société Aria) une mission de présentation de ses comptes annuels et d’établissement des bulletins de paie de ses salariés, selon une lettre de mission datée du 7 juillet 2005. 

 

Les conditions générales d’intervention de la société Aria, notamment l’article 5 intitulé « Responsabilité », stipulent que toute demande de dommages et intérêts doit être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre. 

 

Le 13 octobre 2016, la société Jego a assigné la société Aria en responsabilité, alléguant que des erreurs avaient été commises dans le calcul des heures supplémentaires des salariés par la société Aria. 

 

L’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 26 octobre 2021 a fait l’objet d’un pourvoi en cassation par la société Jego.  

 

En l’espèce, la société Jego reproche à la cour de ne pas avoir vérifié d’office si la clause de forclusion de trois mois limitait de manière excessive le droit à réparation du préjudice subi ou entravait au moins l’exercice de son action en justice en imposant un délai très court. La société Jego soutient que cette clause crée un déséquilibre significatif au détriment d’une partie non professionnelle dans le domaine des contrats d’expertise comptable, ce qui rend la clause abusive. Selon la société Jego, en omettant d’effectuer cette vérification, la cour d’appel aurait ignoré son office.  

En effet, selon la société Jego, le juge a l’obligation d’examiner, voire de soulever lui-même, le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments nécessaires pour constater un déséquilibre significatif en défaveur de la partie non professionnelle.  

Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en soulignant que le litige impliquait deux professionnels, excluant ainsi l’application des dispositions sur les clauses abusives destinées à protéger les non-professionnels.  

Il convient de rappeler que dans un contrat conclu entre deux professionnels, le juge n’est pas tenu d’analyser, même d’office, la nature abusive d’une clause contractuelle. Le relevé d’office lui incombe en revanche lorsque le contrat est conclu entre un professionnel et un consommateur ou entre un professionnel et un non-professionnel.  

Or, en l’espèce, le statut de non-professionnel ne peut être attribué à la société Jego uniquement en raison de son absence de spécialisation dans les domaines comptables et d’expertise-comptable. La Cour, afin d’étayer son raisonnement et d’exclure l’application du mécanisme des clauses abusives, souligne qu’il existe un lien direct entre la lettre de mission du 7 juillet 2005 et l’activité de la société Jego, établissant ainsi sa qualité de professionnelle. Par conséquent, celle-ci ne peut être considérée comme un non-professionnel au sens de l’article L132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 23 août 2001. 

La solution serait la même, avec un raisonnement juridique différent, sous l’empire de l’article liminaire du Code de la consommation qui définit désormais le non professionnel « toute personne morale n’agissant pas à des fins professionnelles ».  

Il en résulte que la Cour d’appel n’était pas tenue d’examiner ou de soulever d’office le caractère abusif de la clause des conditions générales, étant donné que la société Jego ne relève pas du statut de non-professionnel.