Cour de justice de l'Union européenne
Le juge ne peut rejeter la suspension du paiement d’un contrat de prêt comportant des clauses abusives

CJUE, 15 juin 2023, aff. C-287/22, - Getin Noble Bank

CJUE, 15 juin 2023, aff. C-287/22, – Getin Noble Bank

Mots clés : Prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère – demande d’octroi de mesures provisoires 

 

 

EXTRAIT  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, 

Doivent être interprétés en ce sens que :  

ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut rejeter une demande d’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tendant à la suspension, dans l’attente d’une décision définitive relative à l’invalidation du contrat de prêt conclu par ce consommateur au motif que ce contrat de prêt comporte des clauses abusives, du paiement des mensualités dues en vertu dudit contrat de prêt, lorsque l’octroi de ces mesures provisoires est nécessaire pour assurer la pleine efficacité de cette décision.»   

 

ANALYSE 

Dans le cadre d’un litige relatif à la nullité d’un contrat de prêt hypothécaire en raison de la suppression de clauses abusives qu’il contient, lesquelles étaient relatives à la conversion en francs suisses (CHF) du montant au taux d’achat fixé par la banque avec un taux d’intérêt variable, et les mensualités calculées en CHF, remboursables en PLN au taux de vente du CHF, la Cour de justice a été saisie de la question de la possibilité pour une juridiction nationale de rejeter l’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tenant à la suspension de l’exécution d’un tel contrat. 

La Cour expose que l’objectif de la directive 93/13 d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs transparaît à l’article 6 paragraphe 1 de ladite directive. Cet article impose aux États membres de veiller à ce que les clauses contractuelles ne lient pas le consommateur, et ce, sans que celui-ci ait besoin de former un recours et d’obtenir un jugement confirmant le caractère abusif de ces clauses. (Arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08, EU:C:2009:350) 

Elle rappelle que le principe d’autonomie procédurale, en vertu duquel les Etats membres sont libres de définir les modalités internes dans le cadre desquelles le constat du caractère abusif d’une clause et les effets juridiques concrets de celui-ci, doit s’exercer tout en respectant le principe d’effectivité, de manière à ne pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’union. 

Une jurisprudence antérieure a pu s’opposer à une réglementation nationale ne permettant pas au juge national d’adopter des mesures provisoires, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale, cette réglementation étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par ladite directive (est cité en ce sens l’arrêt Aziz, 14 mars 2013, C-415/11, EU:C:2013:164). 

La Cour rappelle en outre qu’il a pu être estimé nécessaire d’octroyer des mesures provisoires notamment lorsqu’il existe un risque pour le consommateur de payer, au cours d’une procédure juridictionnelle des mensualités plus élevées que celui effectivement dû si la clause concernée devait être écartée (Fernández Oliva e.a., C-568/14 à C-570/14, EU:C:2016:828). 

Elle en conclut que la protection garantie aux consommateurs par la directive 93/13 (en particulier es articles 6 et 7 de celle-ci), requiert que le juge national puisse octroyer une mesure provisoire appropriée, si cela est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir en ce qui concerne le caractère abusif de clauses contractuelles. 

La Cour expose, en invoquant l’effectivité de la protection assurée par la directive, que si un juge constate sur le fond, que suite à la suppression d’une clause pour laquelle il existe des indices suffisants de son caractère abusif, le contrat ne peut objectivement plus être exécuté, et qu’il faudra restituer au consommateur les sommes indûment versées, le rejet d’une demande provisoire qui a pour objectif de suspendre le paiement des mensualités revient à rendre inefficace la décision qui interviendra de manière définitive sur le fond. Ces mesures provisoires pourraient en effet être nécessaires pour garantir l’effectivité de la décision à venir sur le devenir du contrat en raison de la clause abusive, sur la clause résolutoire et l’effectivité de la protection assurée par la directive.  

La Cour considère qu’en l’espèce, cette situation est caractérisée. Elle ajoute qu’ici le consommateur a versé à la banque un montant supérieur à la somme empruntée avant d’engager la procédure et relève, en l’absence de cette mesure provisoire, une possible détérioration de la situation financière du consommateur.  

Au regard de ses développements, la Cour a donc estimé qu’une jurisprudence dans laquelle est refusé l’octroi de mesures provisoires tendant à la suspension des mensualités du contrat de prêt comportant des clauses abusives, alors que ces mesures sont dans l’intérêt du consommateur, et visent notamment  à assurer la pleine effectivité de la décision définitive d’invalidation du contrat eu égard le caractère abusif des clauses, n’est pas conforme au principe d’effectivité, et n’est pas compatible avec l’article 6 §1 et l’article 7 §1 de la directive 93/13. Les juridictions nationales sont en effet tenues de garantir la pleine effectivité de la directive, et ce notamment en modifiant une jurisprudence établie qui serait contraire au droit de l’Union européenne. 

Une telle solution semble ouvrir la possibilité pour le consommateur d’agir en référé pour solliciter la suspension des mensualités sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile.