Cour de justice de l'Union européenne
Le juge doit interpréter de façon extensive une voie de recours afin de faire trancher la question du caractère éventuellement abusif d’une clause

CJUE, 9 avril 2024, Profi Credit Polska, C-582/21

CJUE, 9 avril 2024, Profi Credit Polska, C-582/21  

Principes d’équivalence et d’effectivité – Principe d’interprétation conforme du droit national – Législation nationale prévoyant une voie de recours extraordinaire permettant la réouverture d’une procédure civile clôturée par un jugement définitif – Application extensive de cette voie de recours – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Absence de vérification d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles 

EXTRAIT : 

« 2) Le principe d’interprétation conforme du droit national doit être interprété en ce sens que :  

Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si une disposition de droit national établissant une voie de recours extraordinaire, permettant à une partie de demander la réouverture d’une procédure clôturée par un jugement définitif si elle a été privée de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, peut faire l’objet d’une interprétation extensive de manière à inclure dans son champ d’application la situation dans laquelle le juge ayant fait droit à une demande d’un professionnel fondée sur un contrat conclu avec un consommateur, par un jugement définitif rendu par défaut, a omis d’examiner d’office ce contrat au regard de l’existence éventuelle de clauses abusives, en violation des obligations qui lui incombaient en vertu de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et dans laquelle il s’avérerait que les modalités procédurales de l’exercice par ce consommateur de son droit de former opposition à ce jugement par défaut sont de nature à engendrer un risque non négligeable que ledit consommateur y renonce et ne permettent, par conséquent, pas d’assurer le respect des droits que ce dernier tire de cette directive. Si une telle interprétation extensive n’est pas concevable en raison des limites que constituent les principes généraux du droit et l’impossibilité de procéder à une interprétation contra legem, le principe d’effectivité impose que le respect de ces droits soit assuré dans le cadre d’une procédure d’exécution de ce jugement par défaut ou d’une procédure subséquente distincte. » 

ANALYSE : 

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en grande chambre, est saisie du point de savoir si le principe d’interprétation du droit national doit être compris en ce sens qu’une disposition de droit national permettant la réouverture d’un jugement définitif peut être traduite de manière à inclure une situation où, dans un jugement par défaut, le juge n’a pas examiné d’office un contrat entre un consommateur et un professionnel pour y détecter d’éventuelles clauses abusives, en violation des obligations imposées par la directive 93/13/CEE. 

La CJUE rappelle qu’il appartient aux juridictions nationales de décider si et dans quelle mesure une disposition de droit national est susceptible d’être interprétée en conformité avec les dispositions pertinentes du droit de l’Union en vertu du principe d’interprétation conforme du droit national (CJUE, 17 avril 2018, Egengerber, C-414/16). Cependant, ce principe est limité par les principes généraux du droit et ne permet pas une interprétation contra legem du droit national (CJUE, 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C-261/20). La CJUE rappelle également que les autorités juridictionnelles ont l’obligation de procéder à l’examen d’office du caractère abusif de certaines clauses contenues dans un contrat conclu avec un consommateur (CJUE, 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C-419/18 et C-483/18).  

À la suite de ces rappels, la CJUE précise qu’il est nécessaire d’observer les modalités procédurales entourant l’exercice du droit de former opposition au jugement afin que celles-ci ne soient pas de nature à engendrer un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas opposition en raison de la violation de l’obligation d’examiner d’office le caractère éventuel abusif des clauses du contrat. Il s’agit, ainsi, d’une interprétation extensive de la législation nationale qui prévoit une voie de recours extraordinaire permettant la réouverture d’une procédure civile clôturée par un jugement définitif. 

 Par ailleurs, la CJUE rappelle que l’autonomie procédurale des États membres est subordonnée au respect des principes d’équivalence et d’effectivité. En effet, les États membres doivent s’assurer que les droits conférés par le droit de l’Union, comme la protection contre les clauses abusives (CJUE, 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C-419/18 et C-483/18), puissent être exercés de manière effective, sans obstacles procéduraux disproportionnés. Par conséquent, la CJUE affirme que si une telle interprétation extensive est impossible compte tenu de ses limites, le principe d’effectivité impose que les droits du consommateur soient protégés dans le cadre d’une procédure d’exécution.  

En telle hypothèse, lorsqu’un professionnel a obtenu un titre exécutoire contre un consommateur sans que le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat ne soit analysé, le juge saisi de l’exécution de ce titre peut procéder d’office à cet examen (CJUE 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C-49/14, point 55). La procédure d’exécution peut alors être suspendue jusqu’à ce que le juge compétent ait effectué le contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné afin que la protection des consommateurs par la directive 93/13 soit pleinement effective (CJUE, 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C-169/14 et CJUE, 17 mai 2022, Impuls Leasing România, C-725/19). 

Enfin, la CJUE ajoute que le consommateur, pour exercer pleinement et effectivement ses droits aux termes des articles 6§1 et 7§1 de la directive 93/13, peut invoquer dans une procédure subséquente distincte le caractère abusif des clauses du contrat et obtenir la réparation du préjudice financier causé par l’application des clauses (CJUE, 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C-600/19).  

La CJUE estime donc qu’il appartient à la juridiction nationale de permettre à une partie la réouverture d’un procès, même en cas de décision devenue définitive, si cette partie a été privée de la possibilité d’agir en appel en raison de la violation d’un droit. Ce principe peut faire l’objet d’une interprétation extensive dans la situation dans laquelle un juge ayant omis d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif de clauses contenues dans un contrat de consommation fait droit à la demande du professionnel dans un jugement rendu par défaut et la situation dans laquelle le consommateur pourrait, du fait des modalités procédurales, renoncer à son droit de former opposition au jugement. Le principe d’effectivité impose que le droit de faire opposition à une décision devenue définitive puisse se faire dans le cadre d’une procédure d’exécution de ce jugement rendu par défaut ou une procédure subséquente distincte si une interprétation extensive n’est pas concevable.