Le juge de l’exécution juge abusive une clause de déchéance du terme dans un prêt notarié

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS, 11 JANVIER 2024, n° RG 23/00185

Tribunal Judiciaire de Paris, Service du Juge de l’éxécution, 11 janvier 2024, RG 23/00185 

 

– contrat de crédit – déchéance du terme – mise en demeure – saisie immobilière – acte notarié 

 

EXTRAIT 

(…) la directive de 1993 ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un notaire ayant établi, dans le respect des exigences formelles, un acte authentique concernant un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de procéder à l’apposition de la formule exécutoire sur ledit acte ou de refuser de procéder à sa suppression alors que, ni à un stade ni à un autre, un contrôle du caractère abusif des clauses dudit contrat n’a été effectué (CJUE, Ier octobre 2015, C-32/15, sur question préjudicielle hongroise). 

Tel est le cas en France, où la loi n’impose pas au notaire de s’assurer de l’absence de clauses abusives dans les contrats qu’il reçoit en la forme authentique. 

(…) le prêt stipule à la rubrique « Exigibilité immédiate », §1, p. 18, que le contrat est résilié et que les sommes dues deviennent immédiatement exigibles, après mise en demeure de l’emprunteur restée infructueuse dans le délai fixé par ce courrier pour remédier à l’inexécution contractuelle au cas, notamment, de retard de paiement d’une échéance durant plus de 30 jours.  

En ce qu’elle laisse à l’entière appréciation du prêteur le délai séparant la mise en demeure de la résiliation du contrat, cette clause comporte un déséquilibre significatif des droits et obligations respectives du professionnel et du consommateur, au détriment du second». 

 

ANALYSE 

Une banque a consenti à un consommateur deux prêts par actes notariés, destinés au refinancement de sa résidence principale. Sur le fondement de ces deux actes authentiques, la banque a saisi les droits réels de l’emprunteur sur un immeuble au 110 boulevard de la Chapelle et 4 rue des Islettes à Paris. La banque a assigné l’emprunteur en orientation pour vente forcée du bien saisi et fixation de sa créance. L’emprunteur a contesté la validité des clauses des contrats de prêt et a demandé l’annulation de la procédure de saisie immobilière. 

 

Le juge de l’exécution commence par énoncer qu’en vertu de la jurisprudence de la CJUE, il  est, d’une manière générale, au stade de l’exécution forcée d’un quelconque titre exécutoire, nonobstant l’autorité de chose jugée pouvant lui être attachée, tenu d ‘examiner d ‘office le caractère abusif des clauses du contrat ayant donné lieu à I ‘émission ou à la constitution de ce titre, pourvu qu’il dispose des éléments de droit et de fait permettant cet examen, au premier chef desquels le contrat.  

 

Il rappelle ensuite que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a reconnu au juge de l’exécution le pouvoir de statuer sur la nullité d’un engagement résultant d ‘un acte notarié (Cass. 2e Civ. , 18 juin 2009, n 08-10.843, publié). Il en déduit que « pouvant annuler toute clause d’un contrat passé en la forme authentique fondant les poursuites, le juge de l’exécution peut aussi dire qu’une telle clause est réputée non écrite comme abusive et en tirer les conséquences ». Il observe que cette solution est d’autant plus nécessaire que « la directive de 1993 ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un notaire ayant établi, dans le respect des exigences formelles, un acte authentique concernant un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de procéder à l’apposition de la formule exécutoire sur ledit acte ou de refuser de procéder à sa suppression alors que, ni à un stade ni à un autre, un contrôle du caractère abusif des clauses dudit contrat n’a été effectué (CJUE, Ier octobre 2015, C-32/15, sur question préjudicielle hongroise) ». Il remarque que « tel est le cas en France, où la loi n’impose pas au notaire de s’assurer de l’absence de clauses abusives dans les contrats qu’il reçoit en la forme authentique ». 

 

S’étant reconnu compétent pour juger du caractère abusif de la clause d’un prêt notarié, le juge de l’exécution analyse la stipulation du contrat de prêt aux termes de laquelle « le contrat est résilié et (…) les sommes dues deviennent immédiatement exigibles, après mise en demeure de l’emprunteur restée infructueuse dans le délai fixé par ce courrier pour remédier à l’inexécution contractuelle au cas, notamment, de retard de paiement d’une échéance durant plus de 30 jours ». Il juge qu’ « en ce qu’elle laisse à l’entière appréciation du prêteur le délai séparant la mise en demeure de la résiliation du contrat, cette clause comporte un déséquilibre significatif des droits et obligations respectives du professionnel et du consommateur, au détriment du second ». 

 

Il déduit du caractère non écrit de cette clause que « la déchéance du terme est rétroactivement privée de fondement juridique et que le contrat de prêt, selon le tableau d’amortissement annexé au contrat authentique, est toujours en cours. De là, seule est exigible, partant susceptible d’exécution forcée, la somme correspondant aux échéances mensuelles impayées prévues à ce tableau d’ amortissement, à I ‘ exclusion du capital restant dû et des pénalités contractuelles ». 

 

Ayant recalculé la créance de la banque, il observe que celle-ci est fondée à poursuivre le recouvrement de ses créances exigibles par voie de saisie immobilière et qu’il n’y a lieu ni d’annuler la procédure ni de radier le commandement.