Cour de justice de l'Union européenne
Le délai de prescription des créances découlant de la nullité d’un contrat comportant des clauses abusives ne doit pas être moins favorable pour le consommateur que pour le professionnel

CJUE, 14 Décembre 2023, aff.C-28-22 TL WE

CJUE 2023-12-14 C-28-22 TL WE 

 

Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère contenant des clauses abusives concernant le taux de change – Nullité de ce contrat – Actions en restitution – Délai de prescription  

 

EXTRAIT  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, 

 

doivent être interprétés en ce sens que : 

 

ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, à la suite de l’annulation d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un professionnel, en raison de clauses abusives contenues dans ce contrat, le délai de prescription des créances de ce professionnel découlant de la nullité dudit contrat commence à courir uniquement à partir de la date à laquelle ce dernier devient définitivement inopposable, alors que le délai de prescription des créances de ce consommateur découlant de la nullité du même contrat commence à courir à partir de la date à laquelle celui-ci a pris connaissance, ou aurait dû raisonnablement prendre connaissance, de la nature abusive de la clause entraînant cette nullité. 

 

 

 

ANALYSE   

Les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation des articles 6 et 7 de la Directive 93/13, à la lumière du principe d’effectivité. Ces articles traitent respectivement du caractère non contraignant des clauses abusives dans les contrats de consommation et des moyens mis en œuvre par les Etats membre pour faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. La question centrale est de savoir si l’interprétation jurisprudentielle du droit national, qui fixe des délais de prescription différents pour les professionnels et les consommateurs dans le cas de contrats annulés pour clauses abusives, est conforme au droit de l’Union. 

La Cour rappelle que les États membres sont responsables de la mise en œuvre de la Directive 93/13 dans leurs ordres juridiques respectifs. Cependant, cette mise en œuvre doit respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. L’équivalence exige que les modalités de protection des consommateurs ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne. L’effectivité signifie que ces modalités ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union. 

La Cour souligne que toute asymétrie des voies de droit, notamment dans les délais de prescription entre les professionnels et les consommateurs, peut porter atteinte à l’effectivité de la protection des consommateurs prévue par la Directive 93/13. Elle met en avant le risque que cette asymétrie incite les professionnels à retarder ou prolonger les procédures, privant ainsi les consommateurs de leur droit à une réparation et portant atteinte à l’effet dissuasif de la directive. Dans le cas présent, la Cour européenne de justice émet des réserves quant à l’asymétrie des voies de droit en Pologne, où le délai de prescription des créances du consommateur commence à courir avant celui du professionnel, créant ainsi une inégalité de traitement. 

Ainsi, la Cour conclut que les articles 6 et 7 de la Directive 93/13, interprétés à la lumière du principe d’effectivité, s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national qui crée une asymétrie des délais de prescription entre les professionnels et les consommateurs dans le cas de contrats annulés pour clauses abusives. Pour remédier à cette situation, la Cour recommande que les délais de prescription pour les créances des professionnels et des consommateurs devraient commencer à courir au même moment, à savoir à partir de la date à laquelle la nullité du contrat est constatée de manière définitive par une juridiction compétente.  

Cette réponse de la Cour assure un principe d’égalité de traitement entre les professionnels et les consommateurs en matière de délais de prescription.