Cour d’appel de Colmar, 27 avril 2022, n° RG 20/00594
Clauses abusives – banque – change – prêt en devise – suisse – prêt – risque – déséquilibre significatif – recevabilité – prescription
EXTRAITS :
– Sur la prescription de l’action :
(…)
Il est de jurisprudence constante que la demande tendant à voir réputer non écrites certaines clauses d’un contrat de prêt ne s’analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’est pas soumise à la prescription quinquennale ni à aucun délai de prescription, qu’ainsi la demande des consorts [M]-[T] tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses litigieuses des contrats de prêts conclus avec la Banque CIC-EST n’est pas prescrite.
(…)
– Sur le caractère abusif des clauses litigieuses :
(…)
Force est de constater, qu’il ressort de ces clauses que le montant du prêt est libellé en devise, que le risque de change est totalement à la charge de l’emprunteur et que le bénéfice de change profite à l’emprunteur, qu’ainsi elles ont été rédigées de manière claire et compréhensible. Par ailleurs, il ressort du contrat, des pièces produites versées aux débats et des écritures des consorts [M]-[T] que Monsieur [M] percevait ses revenus en francs suisses et qu’il était salarié en Suisse, qu’ainsi, le contrat de prêt consenti en francs suisses ne pouvait pas créer de déséquilibre significatif mais était au contraire adapté à la situation de Monsieur [M]. Le changement allégué dans la situation personnelle de Monsieur [M] en 2015 ne suffit pas à lui seul à caractériser d’abusives les clauses litigieuses.
Ainsi, il convient de rejeter la demande des consorts [M]-[T] tendant à faire réputer non écrites les clauses afférentes au risque de change et au remboursement des prêts en devises des offres de prêt du 5 mai 2006 et du 29 septembre 2004.
ANALYSE :
En l’espèce, afin de financer l’achat d’un appartement et d’un immeuble, Mme. [T] et M. [M] ont contacté la banque CIC Est. Trois prêts immobiliers ont été contractés :
- Un premier prêt contracté par M. [M] dont le montant est de 92 941 CHF remboursable sur 180 mois dont les échéances sont payables le 05 de chaque mois, consenti à un taux de 1,960 % indexé sur le taux LIBOR 12M MOY/M, en vertu d’une offre de prêt du 29 septembre 2004 ;
- Un second prêt contracté par M. [M] et Mme [T] d’un montant de 168 960 CHF remboursable sur une durée de 245 mois dont les échéances sont payables le 05 de chaque mois, consenti à un taux de variable de 2,546 % indexé sur le taux LIBOR 12M MOY/M en vertu d’une offre de prêt du 05 mai 2006 ;
- Un troisième prêt contracté par M. [M] et Mme [T] d’un montant de 337 920 CHF remboursable sur une durée de 245 mois dont les échéances sont payables le 05 de chaque mois, consenti à un taux variable de 2,546 % indexé sur le taux LIBOR 12M MOY/M en vertu d’une offre de prêt du 05 mai 2006.
Le 27 juillet 2017, le conseil de Mme [T] et de M. [M] a adressé un courrier de réclamation à la BANQUE relative au non-respect de son devoir de mise en garde vis-à-vis des conséquences et risques liés aux disparités de change de leur prêt en devises.
Par jugement du 10 décembre 2019, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a dit que M. [M] et Mme [T] ont qualité et intérêt à agir, mais a déclaré toutes les demandes des consorts [M]-[T] irrecevables comme étant prescrites.
Le 29 janvier 2020, les consorts [M]-[T] interjettent appel de cette décision, et le 19 février 2020, la banque CIC Est se constitue intimée.
Par leurs dernières conclusions du 31 août 2021, les consorts [M]-[T] demandent à la Cour d’infirmer le jugement du 10 décembre 2019 et de statuer à nouveau, afin notamment de dire que leur action est recevable et de juger que les clauses afférentes au risque de change et au remboursement des prêts en devises des offres de prêt du 05 mai 2006 et du 29 septembre 2004 sont abusives et réputées non écrites.
La Cour d’appel de Colmar se prononce donc, notamment, sur la question relative à la prescription de la demande des consorts [M]-[T], mais également sur celle relative au caractère abusif des clauses litigieuses.
Sur la question relative à la prescription de la demande, la Cour relève qu’une clause réputée non écrite est non avenue par le seul effet de la loi et qu’il est de jurisprudence constante que la demande tendant à voir réputer non écrites certaines clauses d’un contrat de prêt ne s’analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’est pas soumise à la prescription quinquennale ni à aucun délai de prescription. De ce fait, la demande des consorts [M]-[T] tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses litigieuses des contrats de prêts conclus avec la Banque CIC-Est n’est pas prescrite.
Sur le caractère abusif des clauses litigieuses :
La Cour rappelle qu’il est constant que l’exigence du caractère clair et compréhensible de la clause ne peut pas se réduire au seul aspect formel et grammatical de sa rédaction. Il convient donc de vérifier que le contenu de la clause était suffisamment clair et compréhensible pour un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, pour pouvoir prévoir, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent.
S’agissant d’une clause relative au risque de change, cette exigence doit être comprise de telle sorte qu’un consommateur puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est libellé mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.
Selon la Cour puisque Monsieur [M] percevait ses revenus en francs suisses et qu’il était salarié en Suisse ; le contrat de prêt consenti en francs suisses ne pouvait pas créer de déséquilibre significatif mais était au contraire adapté à la situation de Monsieur [M]. Le changement allégué dans la situation personnelle de Monsieur [M] en 2015 ne suffisait pas à lui seul à caractériser d’abusives les clauses litigieuses.
Cette solution, justifiée par le fait que l’emprunteur percevait ses revenus en francs suisse, constitue donc une dérogation à la jurisprudence de la CJUE du 10 juin 2021 dans laquelle les emprunteurs percevaient leurs revenus en euros (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, aff. C-609/19).