Cour de cassation
La Cour de cassation impose au banquier un devoir d’information sur les risques résultant des clauses d’un prêt multidevises.

Cass. civ. 1ère, 7 septembre 2022, n°20-20.827

Cass. civ. 1ère, 7 septembre 2022, n°20-20.827 

Prêt libellé en devises étrangères — Obligation d’information de la banque — Fonctionnement concret du mécanisme financier — Évaluation des conséquences économiques négatives — Hypothèse de dépréciation de la monnaie 

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ;  

En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné́ de base légale à sa décision ».  

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, une banque consent un prêt multidevises à un emprunteur d’un montant de 585 000 euros ou « l’équivalent, à la date du tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». L’emprunteur agit contre la banque en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l’avenir et au paiement de dommages-intérêts. Celui-ci invoque l’irrégularité d’une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d’information et de mise en garde.   

La Cour d’appel retient que l’offre de prêt ne comporte pas de clauses abusives et rejette la demande de l’emprunteur tendant au remboursement du prêt sur la base du capital originellement emprunté en euros soit la somme de 585 000 euros. L’emprunteur forme un pourvoi en cassation. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.  

La Première Chambre civile de la Cour de cassation énonce au visa de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 que « lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger ».  

Reprenant le revirement de jurisprudence qu’elle avait opéré dans un arrêt du 30 mars 2022 (Cass  civ. 1ère, 30 mars n°19-20.717), la Cour de cassation induit du principe de transparence matérielle des clauses un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives des clauses « devises étrangères ».  

En effet, l’exigence de transparence des clauses ne concerne pas uniquement le caractère compréhensible de celles-ci sur un plan formel et grammatical. Le professionnel doit aussi fournir une information permettant « au consommateur moyen de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, gr. ch., 3 mars 2020, Gomez del Moral Guash, aff. C-125/18, pt. 49,).  

De plus, la CJUE retient que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il s’agit d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 – BNP Paribas Personal Finance).  

Par conséquent, la Cour de cassation reprend la solution dégagée dans l’arrêt BNP Paribas pour consacrer un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses.  

 

 

Voir également : 

-  CJCE, 10 juin 2021, C-776/19 – BNP Paribas Finance