COUR D’APPEL DE PARIS, 3 OCTOBRE 2024, RG n°24/03904
– saisie immobilière – commandement de payer – clause abusive – exigibilité de la créance – vente forcée.
EXTRAITS
« Il résulte de l’article L.311-2 du code des procédures civiles d’exécution que pour procéder à une saisie immobilière le créancier doit être muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.
L’article L.212-1 alinéa 1er du code de la consommation dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Il énonce en son second alinéa que le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat.
Par un arrêt du 22 mars 2023 (n°21-16.044) et dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne issue des arrêts du 26 janvier 2017 et 8 décembre 2022, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a décidé qu’était abusive comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, une clause d’un contrat de prêt immobilier prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, rappelant dans un arrêt du même jour qu’il incombait au juge d’examiner d’office l’existence d’un tel abus.
En l’espèce, la clause « déchéance du terme et exigibilité du présent prêt » est ainsi rédigée : « En cas de survenance de l’un quelconque des cas de déchéance du terme visés ci-après, le prêteur pourra se prévaloir de l’exigibilité immédiate du présent prêt, en capital, frais, intérêts et accessoires, sans qu’il soit besoin d’aucune formalité judiciaire et après une mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours :
– en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues en vertu du/des prêts du présent financement,
– (‘). »
Il en résulte qu’un court délai de préavis de 15 jours est prévu en faveur du consommateur emprunteur pour lui permettre de régulariser sa dette et éviter la résiliation de plein droit. Ainsi, contrairement à ce que soutient le Crédit Agricole, compte tenu de l’enjeu et des conséquences considérables d’un telle clause pour l’emprunteur qui se voit contraint de rembourser dans un délai très bref la totalité des sommes restant dues au titre du prêt au bon vouloir du prêteur, sans respect d’un délai de préavis d’une durée raisonnable, cette clause est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur. Elle est donc abusive et doit être réputée non écrite.
ANALYSE
En l’espèce, la société Crédit Agricole, créancière, a engagé une procédure de saisie immobilière contre des débiteurs en raison du non-paiement des échéances d’un prêt immobilier contracté le 22 juin 2017. Le 30 mars 2022, un commandement de payer valant saisie a été délivré, visant un bien immobilier. Les débiteurs ont contesté cette saisie en invoquant l’inexigibilité de la créance.
En première instance, le tribunal judiciaire de Meaux a été saisi pour annuler le commandement de payer, mais a rejeté cette demande. Le juge de l’exécution a, cependant, retenu le caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée. Les débiteurs ont interjeté appel, demandant l’annulation du commandement et la reprise des paiements.
La Cour d’appel de Paris a été saisie de plusieurs questions..
Elle devait d’abord déterminer si la clause d’exigibilité anticipée du contrat de prêt était abusive, puis si le commandement de payer valant saisie immobilière était valable en l’absence de réception de la lettre de mise en demeure par les débiteurs, et enfin si les débiteurs pouvaient obtenir l’annulation de la saisie et la reprise des paiements des échéances du prêt.
La Cour d’appel de Paris a confirmé en partie le jugement de première instance, retenant la créance du Crédit Agricole à la somme de 17 396,12 euros, et a débouté les débiteurs de leurs demandes d’annulation du commandement de payer et de reprise des paiements. Elle a motivé sa décision en reconnaissant le caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée en raison du préavis insuffisant de 15 jours, non conforme aux exigences de la CJUE et de la Cour de cassation. Cependant, elle a maintenu la validité du commandement de payer pour les échéances échues, malgré l’absence de réception effective de la mise en demeure par les débiteurs, et a rejeté la demande de reprise des paiements en raison de l’absence de preuves suffisantes des démarches entreprises pour vendre le bien ou des difficultés financières.
Voir également :