Cour d'appel
Est jugée non abusive la clause stipulant la déchéance du terme en cas de falsification de documents

CA Paris, 6 novembre 2024, RG n°22/17017

CA Paris, 6 novembre 2024, RG n°22/17017 

Contrat de prêt immobilier – résiliation anticipée – défaut de loyauté – production de faux documents justificatifs  

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EXTRAITS : 

« L’article 1103 du code civil dispose que ‘Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits’ et l’article 1104 précise que ‘Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi’. 

En l’espèce, l’offre de crédit immobilier signée par M. [J] stipule en page 8 des conditions générales du contrat de prêt une clause dénommée :’Exigibilité anticipée – Déchéance du terme’ selon laquelle :’le prêt sera résilié et les sommes prêtées deviendront immédiatement exigibles par notification faite à l’emprunteur dans l’un ou l’autre des cas suivants (…) falsification des documents ou faux documents fournis ayant concouru à l’octroi du crédit consenti’. 

Une telle clause n’est que l’application du principe directeur selon lequel les conventions doivent se former de bonne foi. 

C’est d’ailleurs également pour cette raison qu’elle ne saurait être qualifiée d’abusive, pas même au regard des dispositions spécifiques et par principe, protectrices, du droit de la consommation. 

En effet, l’article L. 212-1 du code de la consommation dispose qu’est abusive la clause qui a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. 

Aussi, la Commission des clauses abusives, dans sa recommandation n°04-03 relative aux crédits immobiliers (…) ‘Recommande que soient éliminées des contrats de prêt immobilier les clauses ayant pour objet ou pour effet : 9 – De laisser croire que le prêteur peut prononcer la déchéance du terme en cas d’inobservation d’une quelconque obligation ou en cas de déclaration fausse ou inexacte relative à une demande de renseignements non essentiels à la conclusion du contrat, et sans que le consommateur puisse recourir au juge pour contester le bien-fondé de cette déchéance’. Par ailleurs la Commission des clauses abusives dans son avis n° 05-03 du 24 février 2005, repris en jurisprudence, selon lequel les clauses de résiliation anticipée présentent un caractère abusif, soit lorsqu’elles prévoient des causes de résiliation étrangères aux manquements aux obligations essentielles de l’emprunteur, soit lorsqu’elles se rapportent à des informations qui ne sont pas de nature à éclairer le prêteur sur le risque de défaillance de l’emprunteur. 

En l’espèce, comme jugé par le tribunal, la clause querellée portant exigibilité anticipée du prêt en cas de défaillance de l’emprunteur pour dissimulation ou falsification volontaire d’informations essentielles à la conclusion du contrat, contrairement à ce soutient M. [J] ne peut être considérée comme laissée à la discrétion du prêteur, puisqu’elle se trouve déterminée par un événement précis dont il n’a pas la maîtrise, à savoir la remise volontaire de ces informations par l’emprunteur. Ce mécanisme, qui permet au contraire à l’emprunteur d’obtenir le financement nécessaire à l’acquisition d’un bien immobilier sur la base de ses propres déclarations sans que la fiabilité de celles-ci ne soit systématiquement remise en cause par le prêteur en l’absence d’anomalie apparente, n’a pas pour effet de créer à son détriment, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. 

Il est indiscutable en l’espèce, que les renseignements communiqués à la banque lors de la demande de prêt du 23 janvier 2019 (pièce 3 de la banque : demande de crédit, et pièce 4 : justificatifs remis à l’appui de la demande) concernent des éléments essentiels qui ont été déterminants du consentement de l’établissement prêteur dès lors que les informations recueillies dans ce document lors de la souscription du prêt ont pour unique but de renseigner le prêteur sur les revenus et la consistance du patrimoine de l’emprunteur afin de déterminer sa capacité de remboursement et d’évaluer le risque potentiel d’endettement né de l’octroi du prêt, ce que ne pouvait d’ailleurs pas ignorer M. [J] en signant l’offre de prêt, dont il a certifié le contenu ‘sincère et véritable’ et en reconnaissant ‘avoir été informé par le Prêteur de la nécessité de fournir des éléments exacts et complets pour pouvoir procéder à une évaluation appropriée de ma solvabilité’. 

La clause en litige ne constitue pas en conséquence une clause abusive, de sorte que le prêteur était fondé à se prévaloir de la déchéance du terme sur laquelle une discussion au fond se trouve engagée quant à la matérialité des manquements contractuels allégués. 

Dès lors que la clause critiquée ne revêt pas de caractère abusif justifiant qu’elle soit réputée non écrite – ou nulle, comme l’écrit M. [J] au dispositif de ses conclusions, le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a écarté ce moyen. » 

ANALYSE : 

En l’espèce, la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Ile de France a octroyé, le 5 février 2019, à un emprunteur particulier un prêt immobilier, après l’émission d’une offre préalable et son acceptation par ce dernier. Ce prêt était destiné au financement de l’acquisition d’un logement à usage de résidence principale, et cautionné par la société Compagnie Européenne des Garanties et des Cautions.  

Par un courrier recommandé, doublé d’une lettre simple, en date du 22 janvier 2021, la banque a prononcé la déchéance du terme en application de la clause « Exigibilité anticipée – Déchéance du terme » du contrat de prêt, invoquant la falsification des relevés de compte fourni par l’emprunteur lors de sa demande de financement.  

La banque a plus tard assigné par acte d’huissier l’emprunteur en résiliation du contrat de prêt et paiement. La banque a également appelé en garantie la société de cautionnement, qui a réglé le solde du prêt réclamé par la banque (entre autres sommes), et est intervenue volontairement à l’instance introduite par la banque, afin d’obtenir le paiement de la somme qu’elle avait versée.  

De ses prétentions, l’emprunteur a invoqué le caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée, et demandé de faire déclarer irrecevable la demande d’intervention volontaire de la société de cautionnement.  

Le Tribunal judiciaire de Bobigny a débouté l’emprunteur de ses demandes. Le juge de première instance a en effet considéré que la clause en litige, ne créant pas de déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat de prêt, n’était pas abusive. Le tribunal a appuyé son raisonnement sur plusieurs arguments, tenant notamment au fait que la banque devait respecter une obligation de déclarer tout soupçon sur l’origine des fonds (en vertu de l’article L.561-2 et s. du Code monétaire financier) ; que la clause ne limitait ni ne privait l’emprunteur de ses facultés de résiliation unilatérale et de recours au juge pour contester l’application de la clause ; que l’absence de mise en demeure ne pouvait être reprochée à la banque en présence d’une production de faux documents vraisemblablement non-régularisable.  

L’emprunteur a interjeté appel de la décision de première instance, maintenant que la clause de déchéance du terme appliquée était abusive.  

La Cour d’appel de Paris, au visa des articles 1103 et 1104 du Code civil, a analysé la clause litigieuse. Cette clause nommée « Exigibilité anticipée – Déchéance du terme » stipulait que : « le prêt sera résilié et les sommes prêtées deviendront immédiatement exigibles par notification faite à l’emprunteur dans l’un ou l’autre des cas suivants (…) falsification des documents ou faux documents fournis ayant concouru à l’octroi du crédit consenti ».  

Selon le juge de second degré, une telle clause ne constituait que l’application simple des principes de loyauté et de bonne foi contenus dans les articles précités du Code civil. « Par principe », elle ne pouvait être considérée comme abusive au sens des dispositions protectrices du droit de la consommation, ne créant pas de déséquilibre significatif au regard de l’article L.212-1 du Code de la consommation.  

A l’appui d’une recommandation et d’un avis de la Commission des clauses abusives (recommandation n°04-03 et avis n°05-03), la Cour d’appel a rejeté l’argument de l’emprunteur selon lequel la clause aurait été discrétionnaire, en ce que celle-ci reposait sur un évènement déterminé, à savoir la fourniture volontaire par le candidat au crédit d’informations essentielles à l’évaluation de ses revenus et patrimoine, ainsi que de ses capacités de remboursement, évènement qui ne dépendant aucunement de la volonté de la banque. Le juge d’appel a affirmé que le mécanisme de la clause était de manière générale favorable à l’emprunteur, qui ne supportait pas de remises en cause systématiques de ses déclarations par la banque,  dans le cadre de l’obtention d’un financement. En l’espèce, en signant le contrat de prêt, l’emprunteur s’était engagé à certifier la véracité des informations essentielles qu’il avait fournies à la banque.  

Au regard de ces éléments, la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance et rejeté le caractère abusif de la clause.  

Voir également : 

CCA, recommandation n°04-03, Prêt immobilier   

CCA, avis n°05-03, Prêt personnel (clause de résiliation)