Cour de cassation
Dans le cadre de la procédure d’exequatur, le juge n’est pas compétent pour apprécier le caractère abusif d’une clause

Cass, civ, 1ère, 14 février 2024, n°22-22.742

Cass, civ, 1ère, 14 février 2024, n°22-22.742 

 

Procédure d’exequatur – ordre public international et national – principe d’effectivité – office du juge – clauses abusives  

 

 

EXTRAITS :  

 

  1. Selon les articles 34 et 45 du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I, la reconnaissance n’est refusée que si elle est manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat requis et, en aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.

 

  1. La contrariété à l’ordre public international s’entend d’une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’Union et donc dans celui de l’État membre requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans ces ordres juridiques (CJUE 16 juillet 2015, C-681/13, Diageo Brands).

 

  1. Lorsqu’il vérifie l’existence éventuelle d’une violation manifeste de l’ordre public de l’État requis, le juge de cet État doit tenir compte du fait que, sauf circonstances particulières rendant trop difficile ou impossible l’exercice des voies de recours dans l’État membre d’origine, les justiciables doivent faire usage dans cet État membre de toutes les voies de recours disponibles afin de prévenir en amont une telle violation (CJUE 16 juillet 2015, C-681/13, Diageo Brands).

 

  1. Le respect du principe d’effectivité ne saurait néanmoins aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (CJUE 17 mai 2022, C-600/19, Ibercaja Banco).

 

  1. En retenant, d’une part, que l’existence d’une éventuelle clause abusive dans le contrat de prêt ne pouvait être considérée en soi comme une violation qui heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’Etat français en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental et, d’autre part, qu’il n’appartenait pas au juge, eu égard à l’interdiction de toute révision au fond de la décision dont il était demandé l’exécution, d’apprécier le caractère abusif d’une telle clause, dont M. et Mme [U] ne s’étaient pas prévalus devant les juges Luxembourgeois, la cour d’appel a justifié sa décision.

 

 

 

ANALYSE :  

 

Dans sa décision du 14 juillet 2024, la première Chambre civile de la Cour de cassation souligne que les juridictions françaises sont incompétentes dans le cadre d’une procédure d’exequatur pour connaître le caractère abusif d’une clause dont les requérants ne se seraient pas prévalus dans le cadre de la procédure initiale.  

 

Elle justifie sa décision en s’appuyant sur la définition de l’ordre public national français qui suppose qu’une décision qui heurterait de manière inacceptable ledit ordre public serait inexécutable en France. La législation européenne relative aux clauses abusives n’est pas considérée par la Cour comme une atteinte aux principes fondamentaux de l’État français.  

 

Par ailleurs, la Cour de cassation ajoute qu’un litige ayant déjà fait l’objet d’une décision au fond dans un État de l’Union ne peut faire l’objet d’un second examen au fond dans un autre État membre. Ainsi, il incombe aux parties de procéder à l’épuisement de toutes les voies de recours disponibles dans l’État d’origine pour relever le caractère abusif d’une clause. Le principe d’effectivité ne peut être invoqué comme ultima ratio pour pallier l’inertie du consommateur.   

 

Ainsi, l’État effectuant la procédure d’exequatur n’est pas compétent pour apprécier le caractère abusif d’une clause, ce qui relève du fond, et ne peut qu’apprécier l’éventuelle contrariété à l’ordre public national de la décision rendue.  

 

 

Voir également :  

 

CJUE 16 juillet 2015, C-681/13, Diageo Brands 

CJUE 17 mai 2022, C-600/19, Ibercaja Banco