Cour de cassation
Arrêt du 1er février 2005

1ère chambre civile

Audience publique du 1 février 2005 Rejet
N° de pourvoi : 03-13779
Publié au bulletin
Président : M. ANCEL

La Cour de cassation, Première chambre civile, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu que l’U*** a sollicité devant le tribunal de grande instance de Grenoble la suppression, dans les contrats-types que la société T*** proposait aux particuliers dans le cadre de son activité de dépôt-vente, de différentes clauses qu’elle prétend abusives ;

que, par jugement en date du 6 septembre 1999, le tribunal de grande instance de Grenoble a déclaré la demande tendant à la suppression des dites clauses irrecevable comme sans objet en application des dispositions de l’article L. 421-6 du Code de la consommation au motif que la société T*** avait modifié les clauses litigieuses en proposant un nouveau contrat ; que, par arrêt en date du 10 février 2003 et sur appel de l’U*** qui soutenait qu’il n’avait pas été statué sur sa demande de dommages-intérêts, la cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement déféré en ce qu’il avait déclaré la demande irrecevable du chef des clauses modifiées, l’a réformé en ce qu’il avait déclaré la demande irrecevable quant aux clause maintenues et statuant à nouveau, a débouté l’U*** de l’ensemble de ses demandes ;

Sur les deux premiers moyens réunis :

Attendu que l’U*** reproche à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré irrecevable son action tendant à la condamnation de la société T***, professionnel du dépôt-vente, à supprimer les clauses abusives qui ne figureraient plus dans ses contrats actuellement proposés aux consommateurs ainsi qu’en dommages-intérêts, alors, selon les moyens :

1 / que le préjudice direct ou indirect porté aux intérêts collectifs des consommateurs dont une association régulièrement agréée peut obtenir réparation est réalisé dès que se trouve établie la transgression, par un professionnel, de la réglementation d’ordre public destinée à protéger l’ensemble des consommateurs et interdisant à celui-ci d’insérer des clauses abusives dans ses contrats ; qu’en rejetant l’action indemnitaire de l’exposante contre le professionnel, au prétexte que le risque ayant pu être porté à la collectivité des consommateurs par les clauses viciées avait été limité dans le temps, quand il résultait de ses énonciations qu’un risque avait bien découlé de l’insertion de clauses abusives dans les contrats en cause, ce qui suffisait pour reconnaître qu’un préjudice avait été porté à la collectivité des consommateurs, la cour d’appel a violé les articles L. 421-1 et L. 421-6 du Code de la consommation ;

2 / que, en raison du caractère à la fois dissuasif et indemnitaire d’une telle action, une association de défense des intérêts collectifs des consommateurs est en droit d’agir, contre le professionnel, aux fins de voir reconnaître le caractère abusif des clauses ayant été insérées dans un contrat proposé aux consommateurs, en suppression de celles-ci ainsi qu’en dommages-intérêts, dès lors que les contrats viciés ont été en vigueur ; qu’en déclarant l’action de l’exposante contre le professionnel du dépôt-vente sans objet pour les clauses 2-2, 7, 8 et 3-4 du contrat initial, au prétexte que ces stipulations n’étaient plus actuellement proposées aux consommateurs auxquels une nouvelle version était présentée depuis le mois de décembre 1998, bien que, tant pour sanctionner leur utilisation avérée que pour éviter la réitération de l’infraction, elle eût dû se prononcer sur leur caractère abusif et sur les conséquences en découlant, la cour d’appel a violé les articles L. 421-1 et L. 421-6 du Code de la consommation ;

Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel, qui a constaté qu’à partir du mois d’avril 1998, soit avant l’introduction de l’instance, la société T*** avait éliminé de ses contrats les clauses 2-2, 7,8 et 3-4 critiquées par l’U***, a exactement décidé que la demande de suppression de ces clauses était sans objet, partant irrecevable ;

qu’ensuite, si les associations agréées de défense des consommateurs sont en droit, dans l’exercice de leur action préventive en suppression de clauses abusives devant les juridictions civiles, de demander la réparation notamment par l’octroi de dommages-intérêts de tout préjudice direct ou indirect porté à l’intérêt collectif des consommateurs, la cour d’appel a souverainement décidé que le préjudice collectif allégué, relativement aux clauses sus-mentionnées, n’était pas démontré, ce dont il résulte qu’elle eût dû débouter l’U*** de sa demande indemnitaire de ce chef ; qu’aucun des griefs des premier et deuxième moyens n’est fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que l’U*** reproche à l’arrêt attaqué de l’avoir déboutée de son action contre la société T***, professionnel du dépôt-vente, alors, selon le moyen :

1 / que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, est abusive la clause qui a pour objet ou pour effet de créer au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; qu’il en va ainsi de la clause d’un contrat de dépôt-vente prévoyant que, passé un certain délai, le dépositaire pourra s’affranchir de son obligation de restitution et s’approprier ou disposer librement à son unique profit des objets non retirés ; qu’en décidant le contraire, au prétexte que l’article 5-4 du contrat prévoyait qu’un avis préalable serait adressé au déposant, la cour d’appel a violé les articles L. 132-1 du Code de la consommation et 1932 du Code civil ;

2 / qu’en considérant que la clause litigieuse était valable par cela seul qu’elle prévoyait qu’un avis préalable à l’action du professionnel serait adressé au consommateur, quand seule la prévision d’une lettre recommandée avec avis de réception impartissant au propriétaire des objets déposés un délai pour les récupérer, faute de quoi le dépositaire pourrait librement en disposer, aurait été de nature à conférer à une telle stipulation la régularité qui lui faisait défaut, la cour d’appel a derechef violé le texte susvisé ;

3 / qu’est également abusive la clause d’un contrat de dépôt-vente prévoyant que, dans le cadre d’une fourchette de prix déterminée intialement, le dépositaire pourra librement proposer à la vente les articles déposés, une telle clause autorisant le professionnel, sans possibilité de contrôle du déposant, à faire varier le prix en fonction d’éléments dépendant directement ou indirectement de sa volonté arbitraire ; qu’en décidant que l’article 6-3 du contrat ne créait aucun déséquilibre au détriment du consommateur, pour la raison inopérante que la fourchette de prix était librement débattue entre les parties, la cour d’appel a encore violé l’article L. 132-1 du Code de la consommation ;

Mais attendu que, selon la clause 5-4 du contrat de dépôt-vente dans sa version modifiée : « Si le déposant n’est pas venu retirer le ou les articles invendus dans les quinze jours suivant la résiliation du contrat ou l’expiration de la durée maximale d’un an ou six mois visée en 5-2 des présentes conditions, T*** pourra, après simple avis adressé au déposant (soit) – les faire livrer à l’adresse du déposant à ses frais, (soit) les détruire sans qu’aucun dédommagement ne puisse être réclamé au T*** par le déposant, (soit) en disposer ou les vendre librement à son profit sachant que le produit complet de cette vente lui sera acquis, sans rétrocession, à titre d’indemnisation pour frais de garde, d’assurance et frais de dossier. » ; que la cour d’appel, qui relève que le déposant qui a la possibilité de retirer les objets deux mois après le dépôt sans verser aucune indemnité au dépositaire est clairement informé de son obligation de se manifester à l’issue du contrat, obligation qui lui est rappelée par l’exigence d’une information préalable, en a justement déduit que la clause sus-visée n’entraînait pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au préjudice du consommateur ;

Et attendu que, selon la clause 6-3 dans la version modifiée du contrat : « En accord avec le déposant, il pourra être convenu à titre de prix de mise en vente initial et pendant les deux premiers mois une fourchette de prix à l’intérieur de laquelle T*** pourra librement proposer à la vente l’article déposé. Les deux extrêmes de la fourchette apparaîtront alors dans les « conditions particulières » à la colonne « prix de vente unitaire initial » ; que la cour d’appel, qui relève que dès lors qu’il s’agissait d’une fourchette de prix qui n’était pas obligatoire et était librement débattue entre les parties lors de la signature du contrat, la clause n’imposait pas une obligation, mais prévoyait une simple faculté, favorable au déposant puisqu’elle permettait d’adapter le prix à la demande, en a justement déduit qu’aucun déséquilibre entre les droits et obligations des parties n’était caractérisé ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l’U*** aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de l’U***  ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille cinq.