Recommandation N°82-01
Contrats proposés par les transporteurs terrestres de marchandises et les commissionnaires de transport

BOCC du 27/03/1982

La Commission des clauses abusives

Vu le chapitre IV de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services;

Vu les articles 1152 et 1231 du code civil;

Vu les articles 96 et suivants du code de commerce;

Vu les articles 42 et suivants du nouveau code de procédure civile;

Entendu les représentants des professionnels et des usagers intéressés.

Considérant que, si les contrats de transport de marchandises et de commission de transport sont, dans leur majorité, conclus entre professionnels, certains d’entre eux sont conclus par des expéditeurs non professionnels ou consommateurs; et qu’en outre, dans certains contrats conclus entre professionnels, les destinataires sont des non-professionnels ou consommateurs;

Considérant qu’à l’exception des commissionnaires – groupeurs, dont les conditions générales ont été homologuées par décision ministérielle du 18 janvier 1971, les transporteurs et commissionnaires établissent librement les contrats qu’ils proposent à leurs clients, du moment que l’envoi est inférieur à 5 tonnes pour les transports ferroviaires et à 3 tonnes pour les transports routiers; que, dès lors, les conditions générales faites aux non-professionnels ou consommateurs sont, réserve faite de celles des commissionnaires – groupeurs, dépourvues de caractère réglementaire et qu’elles constituent de simples offres contractuelles;

Considérant que, dans pareils contrats, les non-professionnels ou consommateurs adhèrent, sans bien les connaître, à des clauses dont certaines résultent d’un abus de puissance économique de la part des transporteurs et commissionnaires, et procurent à ces derniers des avantages excessifs;

Considérant que les transporteurs et commissionnaires remettent à leurs clients, lors de l’expédition de la marchandise, un document succinct qui reproduit un bref extrait des conditions générales, mais que celles-ci sont rarement portées dans leur intégralité à la connaissance des clients;

Considérant que les expéditeurs et destinataires risquent dès lors de se voir opposer des clauses qu’ils n’ont pas pu connaître avant de s’engager; que, pour éviter ce risque, il est nécessaire que les conditions générales soient d’une part affichées auprès de tous les guichets, d’autre part reproduites sur les documents remis aux expéditeurs et destinataires et signées par eux;

Considérant qu’il convient d’éliminer de ces documents la clause se référant à des conditions générales qui n’y sont pas reproduites;

Considérant que certains transporteurs ou commissionnaires se réservent dans leurs conditions générales le droit de modifier le lieu de la livraison après la conclusion du contrat; que l’incertitude ainsi créée peut entraîner une gêne importante pour le destinataire; que le contractant professionnel doit indiquer de façon précise et définitive le lieu de livraison dans les documents remis à l’expéditeur et au destinataire;

Considérant que certains transporteurs ou commissionnaires se réservent le droit de suspendre l’application des stipulations relatives aux délais de transport et aux garanties correspondantes; que cette clause, de même que la précédente, dispense le contractant professionnel de respecter ses obligations, en fonction de circonstances dont il est seul juge et qui ne présentent pas nécessairement les caractères de la force majeure; que les clauses de ce type sont abusives et doivent être supprimées;

Considérant que certains contrats de transport ou de commission prévoient que, si un envoi ne peut être livré à domicile du fait de l’absence du destinataire, celui-ci est autorisé à demander une nouvelle livraison à domicile, mais qu’il doit alors payer un droit de deuxième présentation; que cette exigence paraît abusive, car un destinataire non professionnel ou consommateur ne peut attendre indéfiniment chez lui le passage du transporteur; qu’une telle clause ne cesserait d’être abusive que si le destinataire était préalablement informé du moment de la première présentation;

Considérant que le code de commerce (art. 99, 103 et 104) rend les transporteurs de marchandises et les commissionnaires de transport responsables envers leurs clients des pertes, avaries ou retards, sauf si ces dommages ont été causés par une force majeure; que les clauses exonératoires de responsabilité sont nulles quand elles sont stipulées par un transporteur pour le cas de perte ou d’avarie (art. 103, dernier alinéa); qu’elles sont valables dans les autres cas;

Considérant que, valables ou nulles, les clauses exonératoires de responsabilité créent un avantage injustifié et excessif pour le contractant professionnel; que, certes, la commission n’a rencontré ce genre de clause dans aucun des contrats dont elle a eu connaissance; qu’il lui paraît cependant nécessaire, pour éviter toute ambiguïté, d’en dénoncer le caractère abusif;

Considérant que les contrats de transport et de commission portent très généralement des clauses limitant la responsabilité des transporteurs et commissionnaires en cas de perte, d’avarie ou de retard;

Considérant que les clauses limitatives laissent à la charge de l’expéditeur ou du destinataire la preuve de l’étendue du dommage subi; que cette preuve est relativement aisée en cas d’avarie, mais qu’elle est beaucoup plus difficile, sinon impossible, en cas de perte ou de retard;

Considérant qu’il convient dès lors de recommander le remplacement des clauses limitatives, en cas de perte et de retard, par des clauses pénales, fixant l’indemnité à un chiffre forfaitaire raisonnable, calculé d’après le dommage moyen causé par une perte ou par un retard à des contractants non professionnels ou consommateurs;

Considérant que la clause limitative peut en revanche être admise pour le cas d’avarie, la limite étant alors égale à l’indemnité prévue pour le cas de perte;

Considérant que les clauses fixant ou limitant l’indemnité due par le transporteur ou le commissionnaire ne sont admissibles que si l’expéditeur a la possibilité de choisir un autre régime d’indemnisation, sur la base d’une valeur déclarée ou d’un intérêt déclaré; que le transporteur ou commissionnaire doit clairement informer l’expéditeur, avant la signature du contrat, de l’option qui lui est offerte et du prix correspondant à chacune des branches de l’option;

Considérant que les contrats de transport et de commission portent parfois une clause autorisant le transporteur ou commissionnaire à souscrire une assurance de dommages pour le compte de son client; que cette clause doit être supprimée, car elle est dangereuse pour les non-professionnels ou consommateurs, qui ignorent le contenu de la police et qui, de surcroît, peuvent penser que la souscription d’une assurance libère le transporteur ou commissionnaire de sa responsabilité; que les dommages causés par les pertes, avaries ou retards doivent, sauf cas de force majeure, être réparés par les transporteurs ou commissionnaires, auxquels il appartient de souscrire éventuellement une assurance de responsabilité pour leur propre compte;

Considérant que les non-professionnels ou consommateurs ignorent généralement les dispositions de l’article 105 du code de commerce; que, faute d’envoyer dans les trois jours la lettre recommandée prévue par ce texte, ils sont privés du droit d’agir contre le transporteur, si évidente que soit la responsabilité de ce dernier; que la commission a proposé, dans son rapport pour l’année 1980, la modification de l’article 105, mais que, dans l’état actuel du droit, ce texte est encore en vigueur;

Considérant que les non-professionnels ou consommateurs ignorent également les dispositions de l’article 108 du code de commerce, en vertu duquel l’action en responsabilité contre le transporteur ou le commissionnaire est prescrite par le délai d’un an;

Considérant qu’il convient donc de porter les dispositions des articles 105 et 108 à la connaissance des expéditeurs et destinataires, au moyen d’une mention très apparente figurant sur les documents qui leur sont remis;

Considérant que certains contrats de transport ou de commission portent des clauses plus strictes encore que les dispositions des articles 105 et 108, obligeant par exemple le destinataire à inscrire des réserves dès la livraison; que, certes, le destinataire peut avoir intérêt à émettre rapidement des réserves écrites, de façon à se ménager une preuve, mais qu’il est abusif de lui en faire une obligation et d’assortir cette obligation d’une fin de non-recevoir que la loi n’a pas prévue;

Considérant qu’il est abusif, plus généralement, d’imposer aux non-professionnels ou consommateurs des délais de réclamation ou de prescription plus brefs que ceux des articles 105 et 108 du code de commerce;

Considérant que certains contrats de transport ou de commission attribuent compétence, en cas de litige, au tribunal dans le ressort duquel se trouve le siège social du transporteur ou du commissionnaire; que cette clause est nulle, en vertu de l’article 48 du nouveau code de procédure civile, dès lors que l’un des contractants est un non-professionnel ou un consommateur; mais que ce dernier ignore généralement la nullité de la clause, dont la présence peut le dissuader d’agir en justice; qu’il convient donc de recommander, une fois de plus, l’élimination des clauses dérogeant aux règles légales de compétence;

Considérant que la présente recommandation ne s’applique aux transports internationaux que dans la mesure où des dispositions de conventions internationales ne s’y opposent pas,

Recommande:

A. – 1° que les conditions générales des transporteurs et commissionnaires soient affichées de façon apparente auprès de tous les guichets où est perçu le prix du transport;

2° que les conditions générales susceptibles d’être opposées à l’expéditeur ou au destinataire soient intégralement, lisiblement et clairement reproduites sur le document qui leur est respectivement remis avant la conclusion du contrat;

3° que, lors de la conclusion du contrat, la signature des contractants soit apposée au bas des conditions générales;

4° que les documents remis à l’expéditeur et au destinataire indiquent de façon précise le lieu de la livraison;

5° que les documents remis par les transporteurs terrestres aux expéditeurs et destinataires reproduisent de façon très apparente les indications suivantes:

 » En cas de perte ou d’avarie, le client a intérêt à émettre des réserves écrites, précises et détaillées sur le bulletin de livraison en présence du transporteur ou de ses employés.

 » Que ces réserves aient été prises ou non, le destinataire doit adresser au transporteur, en cas de perte partielle ou d’avarie, une lettre recommandée dans laquelle il décrit le dommage constaté. La lettre doit être envoyée dans les trois jours, non compris les jours fériés, qui suivent l’arrivée de la marchandise. Si cette dernière formalité, ou toute autre prévue par l’article 105 du code de commerce, n’est pas accomplie, l’expéditeur et le destinataire sont privés du droit d’agir en responsabilité contre le transporteur.

 » L’action en justice doit être intentée dans l’année qui suit l’arrivée de la marchandise.  »

6° que les documents remis par les commissionnaires de transport aux expéditeurs et destinataires reproduisent de façon très apparente les indications suivantes:

 » En cas de perte ou d’avarie, le client a intérêt à émettre des réserves écrites précises et détaillées sur le bulletin de livraison, en présence du commissionnaire, du transporteur ou de leurs employés.

 » L’action en justice doit être intentée dans l’année qui suit l’arrivée de la marchandise.  »

7° que les clauses limitant la responsabilité des transporteurs et commissionnaires soient, en cas de perte et de retard, remplacées par des clauses pénales fixant l’indemnité à un chiffre forfaitaire raisonnable et mentionnant clairement la possibilité d’obtenir une indemnité supérieure à des conditions définies dans le contrat;

B. – Que soient éliminées des contrats proposés par les transporteurs terrestres de marchandises et les commissionnaires de transport les clauses ayant pour objet ou pour effet:

1° de se référer à des conditions générales non signées par l’expéditeur et le destinataire;

2° de dispenser le contractant professionnel de respecter ses obligations en fonction de circonstances ne présentant pas les caractères de la force majeure;

3° d’obliger le destinataire à payer des frais de deuxième présentation dans le cas où il n’a pas été préalablement informé du moment de la première présentation;

4° de déroger au principe en vertu duquel le transporteur et le commissionnaire sont responsables des pertes, avaries ou retards, sauf dans le cas de force majeure;

5° de subordonner l’application d’une clause pénale, en cas de perte ou de retard, à la preuve de l’étendue du dommage subi;

6° de fixer ou limiter à un chiffre trop bas l’indemnité due par le contractant professionnel en cas de perte, d’avarie ou de retard;

7° de fixer ou limiter l’indemnité sans avertir clairement l’expéditeur qu’il peut obtenir une indemnité supérieure, sur la base d’une valeur déclarée ou d’un intérêt déclaré, à des conditions définies dans le contrat;

8° d’autoriser le transporteur ou le commissionnaire à souscrire une assurance de dommages pour le compte de l’expéditeur ou du destinataire;

9° d’imposer au contractant non professionnel ou consommateur des délais de réclamation ou de prescription inférieurs à ceux des articles 105 et 108 du code de commerce;

10° de déroger aux règles légales de compétence.

Délibéré sur le rapport de M. Jean Calais-Auloy dans les séances des 6 janvier 1981, 15 mai 1981, 19 juin 1981, 10 juillet 1981, 16 octobre 1981 et 20 novembre 1981.