Recommandation N°81-02
Construction de maisons individuelles selon un plan établi à l’avance et proposé par le constructeur

BOSP du 16/01/1981

La commission des clauses abusives,

Vu le chapitre IV de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services;

Vu le code civil, notamment ses articles 1792 et suivants et 2270;

Vu le code de la construction et de l’habitation, notamment ses articles L. 231-1 et suivants, R. 231-1 et suivants;

Vu la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction;

Entendu les représentants des professionnels intéressés.

Considérant que, malgré la réglementation en vigueur, de nombreux contrats habituellement proposés aux acquéreurs de maisons individuelles à construire selon un plan établi à l’avance comportent des clauses qui dérogent à cette protection, la rendent inopérante ou aboutissent à déséquilibrer totalement le contrat conclu au profit du seul professionnel; qu’il convient tant dans l’intérêt de la protection des consommateurs que dans celui des professionnels en vue d’un assainissement des pratiques commerciales, d’éliminer de telles clauses;

Considérant que les contrats de construction de maisons individuelles sont des contrats synallagmatiques; que les clauses faisant dépendre la validité du contrat signé par les représentants des deux parties d’une confirmation par le professionnel ont pour effet d’engager unilatéralement le consommateur et de lui faire verser des sommes, alors que le professionnel, lui, n’est pas encore engagé; que de telles clauses contraires à l’équilibre des obligations contractées ont déjà été dénoncées par la commission des clauses abusives dans sa recommandation n° 80-03 C.C.A. du 8 août 1980;

Considérant que de nombreux contrats posent en principe l’inopposabilité au professionnel des documents publicitaires établis par lui ou des maisons témoins exposées par lui; que, cependant, la consultation de ces documents et la visite de ces maisons constituent l’un des éléments déterminants du consentement du consommateur au contrat qui lui est proposé;

Considérant que l’article 45-1 de la loi du 27 juillet 1971, devenu les articles L. 231-1 et suivants susvisés du code de la construction et de l’habitation, dispose que le contrat est toujours conclu sous la condition suspensive d’octroi des autorisations administratives et qu’en cas de refus de celles-ci toutes les sommes versées par le consommateur devront lui être remboursées; que, cependant, certains contrats prévoient que le professionnel pourra conserver certaines sommes au titre des frais de dossier, des plans ou des études; que ces clauses sont contraires aux dispositions formelles de la loi et qu’elles ont pour effet d’annuler la protection que le législateur a ainsi voulu accorder à l’acquéreur;

Considérant que l’article *R. 231-9 du code de la construction et de l’habitation ouvre la possibilité pour l’une ou l’autre partie de prévoir la résiliation du contrat dans le mois qui suit sa signature; que si de nombreux contrats stipulent bien cette faculté, ils la réservent au seul professionnel;

Considérant que la plupart des contrats prévoient que le prix indiqué correspond à une construction réalisée sur un terrain de résistance normale; que le consommateur, non technicien, ne peut savoir ce qu’est un terrain de résistance normale et se trouve exposé à de nombreux frais supplémentaires qu’il ne pouvait prévoir et dont il ne peut vérifier le bien-fondé; qu’il appartient au professionnel, qui est, lui, un technicien averti et compétent, de s’assurer, avant la signature définitive du contrat, de la nature du terrain et qu’aucun supplément ne pourra être réclamé de ce chef, après la signature du contrat;

Considérant que de nombreux contrats stipulent que le professionnel pourra, pendant toute la durée des travaux, interdire l’accès du chantier à toute personne, y compris le consommateur acquéreur; que, certes, le professionnel doit être protégé contre toute immixtion abusive du consommateur sur le chantier; que, cependant, le consommateur est en droit de vérifier l’état d’avancement des travaux qui conditionnent les paiements, et la manière dont ces travaux sont effectués; qu’il convient, conformément aux usages du bâtiment, de prévoir dans les contrats une visite hebdomadaire du chantier à laquelle le consommateur pourra participer;

Considérant que selon la réglementation en vigueur (art. *R. 231-4 du code de la construction et de l’habitation susvisé), le prix fixé dans le contrat doit comprendre tous les frais et honoraires et ne peut plus être modifié, sauf avenants expressément acceptés par le consommateur; que, cependant, certains contrats parviennent à tourner cette protection par diverses clauses mettant à la charge de l’acquéreur, en sus du prix convenu, le coût des plans ou encore la remise en état du terrain ou de la voirie, ou même en rendant obligatoire pour le consommateur la signature des avenants proposés par le professionnel;

Considérant que de nombreux contrats prévoient des délais draconiens pour le paiement du prix des travaux, certains exigeant le paiement sous vingt-quatre heures ou quarante-huit heures; qu’un délai de quinze jours après présentation des situations paraît raisonnable; qu’au surplus, les sanctions prévues par contrat en cas de retard du consommateur dans ses paiements sont souvent exagérées; que, certes, de telles clauses pénales sont toujours réductibles par le juge aux termes de l’article 1152 du code civil, mais que le consommateur l’ignorant bien souvent, ces clauses qui vont jusqu’à prévoir, à la seule volonté du professionnel, la résiliation du marché et le paiement intégral du prix, dés le moindre retard dans les paiements, pèsent anormalement sur la volonté du consommateur; qu’il peut, au demeurant, avoir des motifs parfaitement fondés pour retarder un paiement qui ne correspondrait pas à l’avancement réel des travaux;

Considérant qu’inversement, les professionnels insèrent dans les contrats des clauses particulièrement favorables à leurs intérêts en ce qui concerne les délais d’exécution de leurs travaux; que ces délais, fixés par le contrat, ne doivent pouvoir être augmentés qu’en cas de force majeure, de cas fortuit ou d’intempéries; que tous les autres motifs d’allongement des délais doivent être interdits; que naturellement, en cas d’allongement des délais pour des motifs étrangers au contrat, les révisions de prix doivent être neutralisées;

Considérant que les contrats prévoient généralement, en cas de retard du professionnel dans l’exécution de ses travaux, des pénalisations dérisoires;

Considérant que la réception des travaux est un acte important de l’opération de construction; que la plupart des contrats contiennent des clauses qui ont pour effet, sinon pour finalité, d’obliger le consommateur à prononcer la réception sans réserves quand bien même les travaux ne seraient pas achevés ou que de nombreux défauts apparents existeraient; qu’en effet, la majorité des contrats stipulent que le consommateur n’a le choix qu’entre prononcer la réception sans aucune réserve ou refuser cette réception, auquel cas le professionnel ne lui remettra pas les clefs, et ce quand bien même les réserves ne porteraient que sur quelques vices apparents ou travaux de finition; que ces clauses pèsent de manière excessive sur la volonté du consommateur qui, pressé de prendre possession, accepte bien souvent de signer une réception sans réserves qui ne correspond ni à sa volonté ni à la réalité;

Considérant que les garanties dues par le professionnel sont clairement définies par les articles 1792 et suivants du code civil; que toutes les clauses limitant dans le temps ou dans l’étendue des réparations la garantie de parfait achèvement, la garantie biennale et la garantie décennale dues par le professionnel sont illégales et doivent être éliminées des contrats;

Considérant, en ce qui concerne la résiliation du contrat par le consommateur, que le professionnel est en droit de demander le règlement des travaux qu’il a effectués, des frais qu’il a exposés et du bénéfice qu’il était en droit d’espérer si le contrat avait été mené à son terme; que, par contre, les clauses du contrat prévoyant, outre le paiement des travaux et des frais, des indemnités forfaitaires allant jusqu’à 30 p. 100 du montant global du marché, sont manifestement excessives;

Considérant que toutes les clauses compromissoires ou celles obligeant le consommateur à recourir à une mesure d’expertise amiable préalable sont abusives; que de même sont abusives toutes les clauses faisant attribution de compétence au tribunal du siège social du professionnel, ou au tribunal de commerce,

Recommande:

Que soient éliminées des contrats habituellement conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, acquéreurs de maisons individuelles à construire selon un plan établi à l’avance, les clauses ayant pour objet ou pour effet:

1° de prévoir lors de la signature du contrat un engagement immédiat et définitif du consommateur et un engagement éventuel du professionnel;

2° de reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat dans le mois qui suit sa signature sans que cette même faculté soit explicitement reconnue au consommateur;

3° de rendre inopposable au professionnel ses propres documents publicitaires ou la référence à ses maisons d’exposition;

4° de permettre au professionnel, contrairement à la loi, en cas de refus du permis de construire, de conserver tout ou partie des sommes versées par le consommateur;

5° de permettre au professionnel de modifier unilatéralement le prix convenu en fonction de la nature du terrain;

6° d’interdire l’accès du consommateur au chantier pendant toute la durée des travaux, la faculté pour le consommateur de participer à une réunion hebdomadaire sur le chantier pendant toute la durée des travaux devant être précisée dans le contrat;

7° de majorer le prix déterminé par le contrat notamment pour cause de travaux supplémentaires autrement que par voie d’avenants librement acceptés par le consommateur;

8° de prévoir pour le paiement des acomptes un délai inférieur à quinze jours à dater de la présentation des situations;

9° de fixer les pénalités dues par le consommateur, en cas de retard dans les paiements, à des sommes supérieures au montant correspondant aux usages et normes en vigueur dans le bâtiment;

10° de prévoir la résiliation du contrat, en cas de retard dans les paiements, sans que celle-ci ait été précédée d’une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, ladite résiliation ne pouvant intervenir moins d’un mois après cette mise en demeure;

11° de décharger le professionnel de son obligation d’exécuter les travaux dans les délais prévus par le contrat et notamment de prévoir des causes légitimes de retard autres que les intempéries et les cas de force majeure;

12° d’accorder au consommateur, en cas de retard du professionnel dans l’exécution de ses travaux, des indemnités et pénalités disproportionnées avec celles qui sanctionnent les retards du consommateur dans ses paiements;

13° de supprimer ou de réduire la faculté pour le consommateur d’émettre des réserves lors de la réception des travaux, et notamment de subordonner la remise des clefs à une réception sans réserves;

14° de subordonner la remise des clefs au paiement intégral du prix et de faire ainsi obstacle au droit du consommateur de consigner les sommes restant dues entre les mains d’un séquestre;

15° de réduire les garanties dues par le professionnel en vertu des articles 1792 et suivants du code civil;

16° d’attribuer au professionnel, en cas de résiliation du contrat du fait du consommateur, une indemnité supérieure au montant des travaux qu’il a effectués, des frais qu’il a exposés et du bénéfice qu’il était en droit d’espérer si le contrat avait été mené à son terme;

17° d’imposer le recours à un arbitrage pour un litige qui n’est pas encore né ou le recours à une expertise amiable préalablement à toute action en justice; de déroger aux règles légales de compétence territoriale ou d’attribution.

Délibéré sur le rapport de Me Bihl dans les séances des 16 septembre et 18 novembre 1980, où siégeaient M. P. Lutz, conseiller à la Cour de cassation, président, MM. R. Bernard, L. Bihl, J. Calais-Auloy, Y. Cotte, R. Grise, B. Gross, P. Leclercq, P. Marleix, N. Renaudin, J. Semler-Collery, P. Simonet, membres.

 

Voir également :

Recommandation n° 91-03
Jurisprudence relative aux clauses abusives dans le secteur de l’immobilier