Recommandation N°82-04
Droit à réparation en cas de perte ou de détérioration des films confiés à des laboratoires photographiques ou cinématographiques

BOCC du 22/12/1982

La commission des clauses abusives,

Vu le chapitre IV de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services ;

Vu le code civil, et notamment ses articles 1152 et 1231 ;

Entendu les représentants des professionnels intéressés.

Considérant qu’il est d’usage courant pour les laboratoires photographiques ou cinématographiques et pour les négociants de reconnaître à leurs clients, expressément ou tacitement, le seul droit d’obtenir un nombre de films vierges équivalent à celui des films confiés au professionnel et perdus ou détériorés par le fait de ce dernier ;

Considérant que ce mode d’indemnisation est défavorable au consommateur ;

Considérant tout d’abord que cette réparation en nature ne permet pas toujours au consommateur d’être indemnisé de ses débours ; qu’en particulier, si la remise d’un film vierge peut paraître compenser la perte du film confié au professionnel, elle ne répare pas, en revanche, le dommage matériel subi par le consommateur qui a supporté certains frais comme, par exemple, les frais d’expédition de la pellicule au laboratoire de développement ;

Considérant ensuite que le mode de réparation prévu est à plus forte raison peu satisfaisant pour le consommateur lorsque ce dernier peut faire état d’un préjudice particulier ; qu’il en est ainsi lorsque les films perdus ou détériorés ont été pris ou tournés à l’occasion d’événements irréversibles de la vie comme notamment au cours de cérémonies familiales ou de voyages lointains ;

Considérant enfin qu’il est abusif d’imposer dans tous les cas au consommateur une indemnisation sous forme de remplacement ;

Considérant que la réparation forfaitaire actuellement pratiquée par les professionnels n’aboutit donc fréquemment qu’à réparer d’une manière insuffisante, voire même dérisoire, le dommage éprouvé par le non-professionnel ou consommateur ; que la clause analysée tombe incontestablement sous le coup des dispositions des articles 35 et suivants de la loi du 10 janvier 1978 ; qu’elle est tout d’abord prévue dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ; qu’elle concerne ensuite l’étendue des responsabilités ; qu’elle est imposée enfin au non-professionnel ou consommateur par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confère à cette dernière un avantage excessif ; qu’en définitive la clause étudiée doit être dénoncée comme abusive ;

Considérant toutefois que le caractère abusif de la clause examinée n’entraîne pas pour autant la condamnation de toute clause qui assurerait une réparation forfaitaire du préjudice invoqué par le non-professionnel ou consommateur ; que pour des raisons de simplicité et de rapidité il peut être de l’intérêt du non-professionnel ou consommateur de faire jouer à son profit une clause pénale ;

Considérant à cet égard que le professionnel peut proposer une réparation forfaitaire dont l’obtention ne suppose la preuve d’aucune faute de sa part et à la condition de présenter au non-professionnel ou consommateur un choix entre deux ou plusieurs valeurs déclarées, la valeur minimale de celle-ci ne pouvant être inférieure au prix du film vierge majoré des frais du consommateur et sa valeur maximale ne pouvant être inférieure au préjudice normalement prévisible causé par la perte ou la détérioration de films jugés importants par un consommateur ;

Considérant cependant qu’un tel système forfaitaire ne peut être jugé satisfaisant que si certaines conditions sont remplies ;

Considérant, en premier lieu, que le contrat doit laisser au consommateur la liberté d’accepter ou non le système de réparation forfaitaire qui lui est proposé, qu’au moment du dépôt du film, en vue de son traitement, il doit avoir la possibilité de refuser ce mode de réparation, ce qui lui laisse le droit de mettre éventuellement en jeu à une date ultérieure la responsabilité du professionnel sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle ;

Considérant, en second lieu, que le contrat doit laisser au consommateur, même s’il avait opté pour le système forfaitaire, la possibilité de choisir, après la réalisation du dommage, de mettre en jeu la responsabilité contractuelle du professionnel, à charge en ce cas de prouver la faute de ce dernier, ainsi que la réalité et l’importance du préjudice subi ;

Considérant enfin que le consommateur doit recevoir une information claire sur les choix qui lui sont offerts,

Recommande :

A. – Que soient éliminées des documents contractuels proposés à leurs clients non-professionnels ou consommateurs par les laboratoires photographiques ou cinématographiques et par les négociants les clauses ayant pour objet ou pour effet d’exonérer ces derniers de leur responsabilité en cas de pertes ou d’avaries des films ou de limiter leur responsabilité au simple remplacement des films perdus ou avariés par des films vierges ;

B. – Que figurent dans ces documents contractuels des clauses permettant une juste réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de pertes ou d’avaries des films, aux termes desquelles :

– le consommateur a le choix entre un système de réparation forfaitaire et la mise en jeu de la responsabilité du professionnel sur le fondement du droit commun de la responsabilité ;

– la réparation forfaitaire résulte elle-même d’une option offerte au consommateur entre deux ou plusieurs valeurs déclarées au moment de la conclusion du contrat en fonction de l’importance qu’il donne à ses travaux, sa valeur minimum ne pouvant être inférieure au prix des films vierges majoré des frais occasionnés et la valeur maximum ne pouvant être inférieure au préjudice normalement prévisible causé par la perte ou la détérioration de films jugés importants pour un consommateur ;

– après la réalisation du dommage, si la preuve de la faute est apportée, le consommateur, quand bien même aurait-il choisi le système de réparation forfaitaire, peut encore mettre en jeu la responsabilité du professionnel sur le fondement du droit commun de la responsabilité.

Délibéré sur le rapport de M. Bernard Gross, dans les séances des 19 mars, 18 juin, 9 juillet et 24 septembre 1982.

 

Voir également :

Jurisprudence relative aux clauses abusives dans le secteur du développement des pellicules photographiques